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Comment calculer le délai de prescription des infractions sexuelles sur mineur ? Par David Curiel et Anna-May Jacob Couderc, Avocats.
Parution : vendredi 19 avril 2024
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Les règles de prescription pénale et plus particulièrement en matière d’infractions sexuelles sur mineurs n’ont cessé d’évoluer ces dernières décennies.
Cet article propose de faire une brève synthèse des précédentes lois afin de clarifier le calcul des délais de prescription.

1. Qu’est-ce que la prescription ?

La prescription est une notion fondamentale en droit pénal, mais source de grande complexité. C’est la raison pour laquelle nous allons tenter de simplifier au maximum ce qui peut l’être afin que les plaignant.es et mis.es en cause puissent savoir concrètement si l’affaire dans laquelle ils se trouvent pourra ou non être jugée un jour.

La prescription est une durée au-delà de laquelle plus aucun jugement ou aucune condamnation de l’auteur d’un crime ou d’un délit ne pourra intervenir. Dans le cas des infractions sexuelles, cela signifie que l’auteur d’un viol ou d’une agression sexuelle ne pourra plus être jugé devant un tribunal correctionnel ou une cour d’assises, quand bien même on aurait suffisamment de preuves pour le condamner.

En revanche, il est important de préciser qu’une enquête peut malgré tout être ouverte même si on sait dès le départ que l’affaire est prescrite. Il s’agit pour la victime de pouvoir être entendue et pour l’auteur de pouvoir se défendre s’il conteste les accusations. L’objectif est également de rechercher s’il y a pu avoir d’autres victimes dont les affaires ne seraient pas prescrites concernant ce même auteur.

Dans cet article, nous nous intéressons à la prescription en matière de délits et de crimes sexuels commis sur mineurs.

La loi applicable en 2024 prévoit que si la victime est mineure au moment des faits :

Aujourd’hui, le délai de prescription commence à courir à compter de la majorité de la victime et non pas au moment de la commission des faits mais cela n’a pas toujours été le cas.

Ainsi, à titre d’illustration, la loi applicable en 2024 permet à une victime de viol mineure au moment des faits d’entamer une action judiciaire jusqu’à l’âge de 48 ans.

Toutefois, le délai de prescription dépend de la loi en vigueur au moment des faits. Il s’agit ainsi de « calculer » cette prescription en fonction des différentes lois.

2. Comment calculer le délai de prescription ?

Jusqu’en 1989, le code de procédure pénale se contentait de fixer à :

Mise en situation 1 : un mineur âgé de 8 ans est victime de viol en 1978. Il dispose d’un délai de 10 ans à compter des faits pour déposer plainte, soit jusqu’en 1988. Passé ce délai, aucune action ne pourra être intentée contre l’auteur des faits.

a. La loi du 10 juillet 1989.

Cette loi est venue reporter le point de départ du délai de la prescription (toujours fixé à
10 ans) à la majorité de la victime mineure d’un crime commis par un ascendant ou par une personne ayant autorité sur elle.

Mise en situation 2 : un mineur âgé de 8 ans est victime de viol en 1980 par un ascendant ou par une personne ayant autorité. La prescription est normalement acquise en 1990. Mais comme la nouvelle loi de 1989 est intervenue entre-temps, le point de départ de la prescription est reporté à la majorité de la victime, qu’il atteindra en 1990. Il pourra donc déposer plainte jusqu’à 10 ans à compter de sa majorité, soit jusqu’en 2000.

b. La loi du 17 juin 1998.

La loi du 17 juin 1998 est venue généraliser la règle introduite en 1989. Désormais, le point de départ du délai de prescription de 10 ans court à compter de la majorité des mineurs victimes de viol, que l’auteur soit ou non un ascendant ou ait autorité sur le mineur.

c. La loi du 9 mars 2004.

La loi de 2004 a véritablement bouleversé le paysage législatif français en matière d’infractions sexuelles sur mineurs.

En effet, le délai de prescription s’agissant des viols sur mineurs, initialement fixé à 10 ans, est porté à 20 ans, à compter de la majorité de la victime.

Mise en situation 3 : un mineur âgé de 14 ans est victime de viol en 1993 par un non-ascendant ou une personne n’ayant pas autorité, il dispose en principe d’un délai de 10 ans à compter des faits pour porter plainte, soit jusqu’en 2003 car loi de 1989 lui est applicable.

La loi de 1998 - reportant le point de départ du délai de prescription de 10 ans à compter de la majorité des mineurs victimes de viol, que l’auteur soit ou non un ascendant ou ait autorité sur le mineur – est intervenue avant l’acquisition de la prescription en 2003 donc elle est applicable. La prescription court donc désormais jusqu’en 2007, c’est-à-dire 10 ans après la majorité de la victime.

La loi de 2004 étant intervenue avant que la prescription ne soit acquise, elle est donc applicable. Par conséquent, le mineur dispose d’un délai de 20 ans à compter de sa majorité pour déposer plainte. S’il a 14 ans en 1993, il aura 18 ans en 1997 et pourra donc déposer plainte jusqu’en 2017.

d. La loi du 3 août 2018.

La loi du 3 août 2018 est venue allonger le délai de prescription en matière de viol sur mineur, le portant ainsi à 30 ans à compter de la majorité de la victime mineure, soit jusqu’à ses 48 ans.

Mise en situation 4 : un mineur victime de viol par un ascendant à l’âge de 7 ans en 1988 avait dans un premier temps 10 ans à compter de sa majorité pour déposer plainte, soit jusqu’en 2009.

La loi de 2004 étant intervenue entre-temps avant l’acquisition de la prescription, elle est donc applicable. La victime avait jusqu’à 20 ans à compter de sa majorité pour déposer plainte, soit jusqu’en 2019.

Mais la loi du 3 août 2018 est intervenue avant l’acquisition de la prescription donc la victime a jusqu’à 30 ans à compter de sa majorité pour déposer plainte, soit jusqu’en 2029.

e. La loi du 21 avril 2021.

La loi du 21 avril 2021 a instauré ce qu’on appelle une « prescription glissante » et prévoit désormais que le délai de prescription en matière de viol sur mineur peut être prolongé si la même personne viole ou agresse sexuellement par la suite un autre enfant jusqu’à la date de prescription de cette nouvelle infraction.

Ce principe de prescription glissante vaut également pour les délits sexuels sur mineurs (agressions et atteintes sexuelles). La commission d’un nouveau délit est donc susceptible de prolonger la prescription d’un ancien délit.

David Curiel, Avocat au Barreau de Paris Anna-May Jacob Couderc, Avocate au Barreau de Paris