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Modalités de recouvrement d’une créance sur une personne publique au titre d’une décision de justice passée en force de chose jugée. Par Catherine Taurand, Avocat
Parution : lundi 30 mars 2009
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Les créanciers concernés par des incidents de paiement des personnes publiques bénéficient de plein droit, en cas de retard, d’intérêts moratoires ; par ailleurs, ils ne courent aucun risque d’insolvabilité de leur débiteur. Enfin, les délais moyens de paiement des personnes publiques supportent la comparaison avec ceux des entreprises. Il n’en demeure pas moins que ces délais, dans certains cas, sont inacceptables et dénoncés comme tels par la Cour européenne des droits de l’homme.

Jusqu’en 1980, le créancier d’une personne publique n’avait aucun moyen de récupérer la somme qui lui était due et était suspendue au bon vouloir de son créancier.

Les gouvernements ont peu à peu mis en place des voies de recouvrement cependant spécifiques, compte tenu de la nature juridique particulière du débiteur public, de ses prérogatives exorbitantes du droit commun et des privilèges attachés à sa mission d’intérêt général.

Ces modes de recouvrement diffèrent ainsi radicalement des modes de recouvrement de créances sur les personnes privées.

En particulier :

* les créanciers privés ne peuvent opposer la compensation à l’Etat,

* les voies d’exécution du droit privé sont interdites à l’encontre des personnes publiques. Aucune mesure d’exécution forcée ne peut être prise à l’encontre d’une personne publique,

* le juge judiciaire ne peut adresser d’injonction et d’astreinte que lorsque la personne publique agit comme un simple particulier.

Attention, la prescription quadriennale des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics, de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 (délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année qui suit celle au cours de laquelle les sommes ont été acquises) a une portée générale.

Cependant, tout recours, même devant une juridiction incompétente, même en plein contentieux, et même s’il se termine par un rejet, a un effet interruptif du cours de la prescription, à condition qu’il ait été effectué dans le délai et qu’il ait été relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance.

« Le respect des décisions de justice est une exigence essentielle dans un Etat de droit. Cette exigence vaut, naturellement, pour l’Etat qui doit exécuter pleinement et rapidement les décisions juridictionnelles qui sont prises à son encontre.
Or j’observe que, dans un nombre significatif de cas, l’exécution effective, par les administrations de l’Etat, des condamnations pécuniaires prononcées par les juridictions administratives, les juridictions judiciaires ou des juridictions internationales comme la Cour européenne des droits de l’homme n’est pas faite avec la promptitude requise.
Tout retard dans l’exécution d’une décision juridictionnelle prononçant une condamnation pécuniaire méconnaît l’exigence essentielle précédemment rappelée. Il met à mal la confiance de nos concitoyens dans le respect de l’Etat de droit. Il a réussi pour conséquence, par l’effet des intérêt de retard, d’alourdir la charge financière dont l’Etat devra in fine s’acquitter » (Circulaire du 20 mai 2008 relative à l’exécution des condamnations pécuniaires prononcées contre l’Etat).

I.1. Créance sur l’Etat

La loi impose à l’Etat de procéder à l’ordonnancement ou au mandatement des sommes qu’il a été condamné à payer par une décision passée en force de chose jugée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle. En cas d’insuffisance de crédits, l’ordonnancement est effectué dans la limite des crédits disponibles et un ordonnancement complémentaire doit être fait dans un délai de quatre mois à compter de la notification. Ces délais s’imposent pour l’ensemble des condamnations pécuniaires, y compris celles concernant la charge des frais de justice.

En cas de défaillance dans ces délais, le créancier de l’Etat peut saisir le comptable assignataire de la dépense d’une demande de paiement sans ordonnancement ou mandatement préalable, sur présentation d’une expédition de la décision revêtue de la formule exécutoire. Le comptable procède au paiement de la somme due, dans le délai d’un mois à compter de sa saisine.

I.2. Créance sur une collectivité locale ou un établissement public

La loi impose aux collectivité locales et aux établissements publics de procéder à l’ordonnancement ou au mandatement des sommes qu’ils ont été condamnés à payer par une décision passée en force de chose jugée dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle.

En cas d’insuffisance de crédits, l’ordonnancement est effectué dans la limite des crédits disponibles et un ordonnancement complémentaire doit être fait dans un délai de deux mois à compter de la notification. Ces délais s’imposent pour l’ensemble des condamnations pécuniaires, y compris celles concernant la charge des frais de justice.

En cas de défaillance dans ces délais, le créancier peut saisir le préfet ou l’autorité chargée de la tutelle d’une demande de paiement de la somme due, sur présentation d’une expédition de la décision revêtue de la formule exécutoire.
Le représentant de l’Etat ou l’autorité chargée de la tutelle dispose d’un délai d’un mois à compter de sa saisine pour vérifier l’existence, au budget de la collectivité territoriale ou de l’établissement public, de crédits suffisants et procéder au mandatement d’office de la somme ou, le cas échéant, pour effectuer la mise en demeure de procéder à l’ordonnancement complémentaire.
La collectivité territoriale ou l’établissement public dispose, pour se conformer à la mise en demeure susmentionnée d’un délai d’un mois qui doit être rappelé dans l’acte qui la notifie. Ce délai est porté à deux mois lorsque la dette est égale ou supérieure à 5 pour 100 du montant de la section de fonctionnement du budget de la collectivité territoriale ou de l’établissement public.
Lorsque la mise en demeure est restée sans effet à l’expiration de ces délais, le représentant de l’Etat ou l’autorité chargée de la tutelle procède à l’inscription de la dépense au budget de la collectivité ou de l’établissement public défaillant. Il dégage, le cas échéant, les ressources nécessaires soit en réduisant des crédits affectés à d’autres dépenses et encore libres d’emploi, soit en augmentant les ressources.

Si, dans le délai de huit jours après la notification de l’inscription du crédit, la collectivité territoriale ou l’établissement public n’a pas procédé au mandatement de la somme due, le représentant de l’Etat ou l’autorité chargée de la tutelle y procède d’office dans le délai d’un mois.

I.3. Les procédures s’appliquent au paiement des intérêts dont la décision de justice a fixé le point de départ et le taux, sans préjudice de l’obligation pour la collectivité publique de verser les intérêts dus en application de l’article 1153-1 du code civil.

Si le comptable assignataire (créance sur l’Etat), le préfet ou l’autorité chargée de la tutelle (créance sur une collectivité locale ou un établissement public) ne se conforment pas à leurs obligations dans les conditions et délais susvisés, le créancier est contraint de saisir le juge de l’exécution, pour lui demander d’ouvrir une phase puis, (le cas échéant, si la personne publique ne s’exécute toujours pas) une instance d’exécution.

La procédure peut alors être très rapide (3 à 6 mois lorsque la personne publique s’exécute et qu’une instance n’est pas nécessaire) mais peut parfois durer un an (lorsqu’une instance est nécessaire).

Le temps de la justice n’est pas fixe. Le juge est seul maître du temps de l’instance. On ne peut que donner des durées de procédure approximatives compte tenu de l’expérience.

On mentionnera simplement que, même si l’appel n’est pas suspensif en droit administratif français (ce qui implique que la personne publique condamnée devant le tribunal administratif doit payer la somme à laquelle elle a été condamnée même si elle fait appel dudit jugement), les chances de récupérer une créance sur une personne publique dans un délai raisonnable sont bien plus sérieuses lorsque la décision condamnant la personne publique est devenue définitive (certificat de non-appel à produire).

I.4. Les moyens d’incitation financière

Lorsque la condamnation fixée par la décision de justice n’est pas exécutée, les intérêts de retard courent jusqu’au paiement (ce sont les intérêts moratoires).

En outre, la personne publique débitrice peut être condamnée à des dommages et intérêts compensatoires. En effet, la méconnaissance par la personne publique de l’obligation d’exécuter les décisions du juge constitue une illégalité susceptible d’être sanctionnée dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir mais cette illégalité se double d’une faute engageant la responsabilité de la personne publique, qui est alors condamnée à réparer le préjudice que son comportement a causé au bénéficiaire de la chose jugée. La procédure peut durer plusieurs années.

Au-delà, lorsqu’une décision passée en force de chose jugée a prononcé la condamnation d’une personne publique au paiement d’une somme d’argent dont elle a fixé le montant et que cette personne publique ne respecte pas les condamnations aux astreintes et à l’exécution des jugements, elle est passible de l’amende prévue à l’article L. 313-1 du code des juridictions financières dont le minimum ne pourra être inférieur à 150 euros.

I.5. Une procédure particulière de mise en jeu de la responsabilité personnelle des agents de l’Etat pour inexécution d’une décision de justice est prévue par la loi du 16 juillet 1980 devant la Cour de discipline budgétaire et financière.

Le recours au Médiateur de la République est toujours possible(mais soulignons la saisine obligatoire par l’intermédiaire d’un parlementaire).

Catherine TAURAND

Avocat au Barreau de Paris