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L’intervention du législateur sur le reclassement des salariés à l’étranger (loi n°2010-499 du 18 mai 2010, JO du 19 mai 2010), par Nicolas Billon, Avocat
Parution : lundi 14 juin 2010
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La loi n°2010-499 du 18 mai 2010 visant à garantir de justes conditions de rémunération aux salariés par une procédure de reclassement a été publiée au journal officiel en date du 19 mai 2010.

Cette intervention du législateur était nécessaire dans la mesure où les entreprises étaient soumises, dans le cadre du licenciement pour motif économique, à des exigences parfois contradictoires au titre de son obligation de reclassement quand cette dernière avait vocation à s’appliquer à l’étranger (1).

La loi nouvelle clarifie et encadre la procédure de reclassement des salariés à l’étranger en légalisant notamment le recours au questionnaire préalable pour les offres d’emploi situées en dehors du territoire national (2).

1. Les effets pervers de la réglementation antérieure relative à l’universalité de l’obligation de reclassement

La question de l’étendue de l’obligation de reclassement s’imposant aux entreprises dès lors qu’un licenciement pour motif économique est envisagée a d’abord été traitée par les juridictions prud’homales et, bien entendu, la chambre sociale de la Cour de Cassation.

La jurisprudence a progressivement déterminé les contours de la règle régissant l’obligation de reclassement.

En 2002, l’article L. 1233-4 du Code du travail a codifié cette règle selon laquelle «  le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé ne peut être opéré dans l’entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient ».

Les termes de cet alinéa de l’article L. 1233-4 du Code du travail posaient donc le principe d’universalité géographique de l’obligation de reclassement imposée aux entreprises qui allaient, très rapidement, être confrontées aux contradictions de l’étendue de cette obligation de reclassement.

En effet, les entreprises disposant d’établissements à l’étranger ou les entreprises appartenant à des groupes internationaux étaient contraintes de proposer aux salariés visés par une mesure de licenciement pour motif économique des offres de reclassement au sein de tous leurs établissements ou de toutes les filiales de leur groupe dès lors que des postes étaient disponibles.

Or, un grand nombre d’entreprises se contentait d’adresser aux salariés visés par un licenciement pour motif économique des propositions de reclassement sur le territoire national, et ce, pour des motifs logiques et parfaitement légitimes.

Ces entreprises estimaient, pour la plupart, indécent de proposer à des salariés des postes situés parfois à l’autre bout du monde , pour des rémunérations sans commune mesure avec celles pratiquées en France, que ces derniers ne pouvaient que légitiment refuser.

En d’autres termes, les entreprises considéraient que de telles offres de reclassement n’étaient pas sérieuses et ne pouvaient être proposées à des salariés pour qui elles représentaient des contraintes insurmontables à leur vie familiale et qu’ils ne pouvaient en conséquence nullement accepter.
Cette présupposition a été durement sanctionnée par les Conseils de Prud’hommes, les Cours d’Appel et la Chambre Sociale de la Cour de Cassation.

En effet, les entreprises ont alors été condamnées au titre du non-respect de leur obligation de reclassement pour n’avoir pas proposé à leurs salariés des postes disponibles à l’étranger quelque soit les conditions desdits postes. Les licenciements prononcés étaient donc jugés sans cause réelle et sérieuse en raison du non-respect de l’obligation de reclassement.
Afin d’éviter de lourdes et nombreuses condamnations, les entreprises ont adressé à leurs salariés visés par une mesure de licenciement pour motif économique des offres de reclassement dans tous leurs établissement, y compris ceux situés à l’étranger.

Or, la plupart de ces postes situés à l’étranger comportaient des salaires mensuels très inférieurs aux rémunérations françaises, parfois quelques dizaines d’euros.

L’effet pervers de cette réglementation est alors apparu avec une médiatisation très importante, notamment télévisuelle ; de nombreux reportages ont fait état de propositions de reclassement visant des postes rémunérés 200 ou 300 euros mensuels, en Roumanie ou en Inde par exemple. A l’indignation populaire, les entreprises n’avaient qu’une réponse : ces propositions ne sont effectivement pas décentes mais à défaut de les adresser aux salariés, les licenciements seront jugés sans cause réelle et sérieuse en raison du non respect de l’obligation de reclassement.

L’intervention législative était donc plus que nécessaire.

2. La nouvelle loi et l’encadrement du reclassement des salariés à l’étranger

Le projet de loi initial prévoyait que «  lorsque les emplois proposés pour le reclassement sont situés à l’étranger, ils doivent assurer au salarié le respect des règles d’ordre public social français en matière de rémunération », c’est-à-dire au moins le SMIC français.

Face à la difficulté de définir avec précision « l’ordre public social français » et au caractère non opérationnel d’une telle notion, l’Assemblée Nationale a retenu la procédure du questionnaire préalable.

La loi a été adoptée par l’Assemblée Nationale en première lecture à l’unanimité des suffrages exprimés en juin 2009 et par le Sénat, sans modification, le 4 mai 2010 (TA définitif n°95).

Le dispositif législatif est maintenant le suivant :

- le nouvel article L. 1233-4-1 alinéa 1 du Code du travail prévoit que « lorsque l’entreprise ou le groupe auquel elle appartient est implanté hors du territoire national, l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause, et sous quelles restrictions éventuelles quant aux caractéristiques des emplois offerts, notamment en termes de rémunération et de localisation » ;

- à compter de la réception de la proposition de l’employeur, le salarié bénéficie d’un délai de six jours pour faire part de son accord, étant précisé que la réponse du salarié peut bien entendu inclure les « restrictions éventuelles » qu’il entend formuler sur son
reclassement à l’étranger. Il est également précisé que, conformément aux dispositions du nouvel article L. 1233-4-1 alinéa 2 du Code du travail, l’absence de réponse du salarié dans le délai de six jours vaut refus de la proposition ;

- en cas d’acceptation du salarié, l’obligation de reclassement incombant à l’employeur ne porte plus que sur les offres à l’étranger compatibles avec les restrictions apportées par le salarié dans le questionnaire et/ou sur les offres situées sur le territoire national. Le nouvel article L. 1233-4-1 alinéa 3 du Code du travail prévoit que ces offres hors du territoire national doivent être écrites et précises et que le salarié demeure parfaitement libre de les refuser. Le salarié auquel aucune offre n’est adressée est informé de l’absence d’offres correspondant à celles qu’il a accepté de recevoir ;

- enfin, l’article L. 1233-4 du Code du travail prévoit désormais que le reclassement du salarié, au sein de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient, s’effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent « assorti d’une rémunération équivalente ».

L’objectif de la loi du 18 mai 2010, outre l’encadrement de la procédure de reclassement des salariés à l’étranger, a été de mettre un terme à des propositions indignes qui ont ému l’opinion publique. Le rapporteur de la loi a d’ailleurs déclaré : « on peut supposer que le texte mettra fin aux offres jugées indignes, car il probable que le salarié déclarera, dans son questionnaire, qu’il ne souhaite pas partir à l’étranger ou être reclassé sur un poste dont la rémunération est inférieure à celle de son poste actuel ».

Il sera intéressant de suivre l’application de cette nouvelle loi et de l’application qu’en feront les juridictions car le nouveau dispositif légal remet en cause la position récente exprimée par la chambre sociale de la Cour de Cassation, à savoir que l’employeur «  ne peut limiter ses recherches de reclassement et ses offres en fonction de la volonté de ses salariés, exprimée à sa demande et par avance, en dehors de toute proposition concrète » (Cass.soc., 4 mars 2009).

Nicolas BILLON Avocat Associé
Département Social et Ressources Humaines
Cabinet Simon Associés

http://www.simonassocies.com

Rédaction du village