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L’automobiliste face à l’officier du ministère public, par Rémy Josseaume et Jean Charles Teissedre
Parution : lundi 13 septembre 2010
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L’officier du ministère public, plus communément désigné l’« OMP » par les professionnels du droit, est l’un des acteurs incontournables dans le domaine des contraventions au Code de la route.

Le contrevenant au Code de la route s’y adresse au moment de la contestation de son infraction et le rencontre en comparant devant la juridiction de proximité.

Le statut de l’OMP

Pour les quatre premières classes de contravention, les fonctions du ministère public près la juridiction de proximité sont exercées par un OMP.

Le procureur de la République près le tribunal de grande instance occupe quant à lui le siège du ministère public devant le tribunal de police pour les contraventions de la 5ème classe.

Toutefois, le procureur de la République peut l’occuper également en toute matière devant le tribunal de police ou devant la juridiction de proximité, s’il le juge à propos, au lieu et place du commissaire de police qui exerce habituellement ces fonctions.

La fonction d’OMP est confiée habituellement par le procureur général près la Cour d’appel au commissaire de police.

En cas d’empêchement ou d’absence, la fonction est remplie par l’un de ses remplaçants choisi parmi les commissaires et les commandants ou capitaines de police en résidence dans le ressort du tribunal de grande instance, ou, à défaut, d’un tribunal de grande instance limitrophe situé dans le même département.

S’il y a plusieurs commissaires de police au lieu où siège la juridiction de proximité, le procureur général désigne celui qui remplit les fonctions du ministère public.

A titre exceptionnel et en cas de nécessité absolue pour la tenue de l’audience, le juge du tribunal d’instance peut appeler, pour exercer les fonctions du ministère public, le maire du lieu où siège la juridiction de proximité ou un de ses adjoints.

N’ayant pas la qualité de magistrat de l’ordre judiciaire au sens des dispositions de l’ordonnance du 22 décembre 1958, l’OMP ne porte pas la robe de magistrat sauf, comme il est d’usage, à Paris et dans quelques grandes villes.

Quid de l’indépendance du l’OMP ? En effet, alors que tout justiciable est en droit d’exiger sa comparution devant un tribunal impartial, cette condition est-elle remplie alors que l’OMP est le plus souvent le chef hiérarchique du service verbalisateur ?

Pour la Cour de cassation l’exigence d’impartialité et la garantie à un tribunal indépendant et impartial, énoncées à l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne visent que les juges et non pas le représentant du ministère public (Cass. crim., 6 mai 1996, Bull.crim., n° 187 ; Cass.crim., 8 mars 2000, Juris-Data n° 2000-001619).

Pour la Cour la garantie du droit à un tribunal indépendant et impartial ne vise que les juges et non pas le représentant de l’accusation ou celui de la défense, sauf si des magistrats conjoints dans la vie civile connaissent d’une même cause, l’un comme président du tribunal de police devant lequel un prévenu a été poursuivi sur injonction de l’autre, représentant du Ministère public (Cass.crim., 8 septembre 1988, Bull. crim. 1988, n° 319 p. 864).

Les pouvoirs limités de l’OMP …

De par la loi, l’OMP est destinataire des procès-verbaux, rapports, actes et documents y relatifs rédigés par les agents de la police et gendarmerie nationale, de la police municipale et rurale.

A sa demande sont mis à sa disposition les objets saisis.

D’autre part, le Code de procédure pénale impose aux contrevenants de contester par courrier les contraventions relevées à leur encontre auprès de l’OMP.

A réception, il peut classer l’affaire sans suite et éteindre ainsi l’action publique, décider d’audiencer l’affaire devant la juridiction de proximité (par voie de citation directe ou d’ordonnance pénale).

Il peut encore rejeter la contestation en cas de non respect formel de la procédure de contestation (absence de motivation, motivation hors délai, contestation non accompagnée de l’avis original et/ou de consignation préalable).

Parallèlement, les services de l’OMP informent les services du Fichier National du Permis de Conduire (FNPC) des pertes de points à intervenir en cas de condamnation et transmet aux services du Trésor les titres exécutoires signés en vue de la majoration des amendes forfaitaires.

… aux pratiques constitutives d’une « erreur de droit »

Face au contentieux de masse que représentent les infractions au Code de la route (25 millions de procès verbaux dressés par an), de nombreux services de l’OMP ont érigé un nouveau principe de gestion des contestations : le rejet sans fondement légal des contestations.

S’arrogeant ainsi le droit de statuer sur le bien fondé de la contestation, l’OMP enclenche par le rejet de la contestation la majoration de l’amende et la perte de points sur le permis de conduire du requérant.

Depuis l’instauration de la consignation préalable pour certaines infractions au Code de la route, une autre pratique s’est développée : l’assimilation de la consignation en paiement de l’amende par les services de l’OMP mettant fin ainsi à l’action publique et barrant l’accès du tribunal au justiciable.

Sur ce dernier point, l’association 40 Millions d’automobilistes a saisi en novembre 2008 la Cour européenne pour faire sanctionner cette pratique.

Sans que la lecture des textes ne semble poser de sérieuses difficultés de compréhension, le contrevenant qui formule une requête motivée tendant à son exonération auprès du service indiqué dans l’avis de contravention, dans le délai de 45 jours suivant la date de l’infraction en y joignant l’avis original, ne peut subir une quelconque sanction pécuniaire et la perte de points.

En effet, les dispositions du Code de procédure pénale, précisent qu’à défaut d’une requête présentée dans le délai de 45 jours, l’amende forfaitaire est majorée de plein droit et recouvrée au profit du Trésor public en vertu d’un titre rendu exécutoire par le ministère public.

L’article R.49-8 du Code de procédure pénale précise que l’officier du ministère public saisi d’une réclamation recevable informe sans délai le comptable direct du Trésor de l’annulation du titre exécutoire en ce qui concerne l’amende contestée.

La Cour de cassation a précisé qu’une requête ne pouvait être rejetée par l’officier du Ministère Public que dans les cas limitativement prévues par la loi (Cass.crim., 29 octobre 1997 Bull. n°357).

La loi et la jurisprudence précisent en sanctionnant ces pratiques qu’il n’appartient pas à l’officier du Ministère Public d’apprécier la motivation de la réclamation formulée par devant lui sans contrevenir aux dispositions de l’article L.529 et suivants du Code de procédure pénale (Cass.crim., 20 mars 2002 JPA, mai 2002 p.225).

Sans surprise, la République Française a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour Européenne laquelle lui rappelle abruptement que « l’officier du ministère public n’a pas la faculté d’entraver l’accès du prévenu au tribunal de police (…) il résulte en effet clairement des termes de l’article L.530-1 du Code de procédure pénale que, lorsqu’il est saisi d’une réclamation dirigée contre une contravention, il ne peut déclarer celle ci irrecevable que dans les cas précités (...) dans les autres cas l’officier du ministère public est tenu de saisir le tribunal de police de la réclamation du contrevenant (…) le gouvernement estime que les décisions de l’officier du ministère public refusant l’accès au tribunal peuvent s’analyser en des restrictions illicites du droit d’accès au tribunal » (CEDH, 21 mai 2002, Peltier c/ France, JPA, no 732 p. 325 ; CEDH, 7 mars 2006, no 73893/01, Besseau c/ France).

La Cour Européenne précise autant que de besoin que « le rejet non prévu par les textes constitue une erreur de droit de la part de l’officier du ministère public alors que la saisine du Tribunal compétent était de droit (…) la Cour ne peut donc que constater que le droit d’accès du requérant à un Tribunal a été atteint dans sa substance même sans but légitime et de façon disproportionnée ».

L’administration française s’efforce depuis de rappeler à la loi les OMP.

Le Ministère public de préciser « qu’en application de l’article 529-2 du code de procédure pénale au stade de l’amende forfaitaire, ou de l’article 530-1 du même code s’agissant de l’amende forfaitaire majorée, le contrevenant peut formuler une contestation auprès de l’officiel du ministère public compétent. Ce dernier doit, dans ces hypothèses, soit renoncer à l’exercice des poursuites, soit saisir la juridiction de jugement. Il lui revient toutefois d’apprécier la recevabilité de la contestation, notamment au regard du respect des délais imposés par les textes, soit quarante-cinq jours pour l’amende forfaitaire, et trois mois lorsque l’avis d’amende forfaitaire majorée est envoyé par lettre recommande à l’adresse figurant sur le certificat du véhicule. Il ne doit en revanche pas apprécier lui-même la pertinence des motifs invoqués par le contrevenant dans sa réclamation pour la rejeter.

Afin de garantir une application uniforme de ces textes, une circulaire rappellera prochainement ces dispositions aux officiers du ministère public en soulignant notamment l’obligation de saisir la juridiction de jugement dès lors qu’une contestation est formellement recevable. » (Rép. min., JO AN Q., 14 mars 2006, p. 2829).

L’avocat général de la Cour de cassation clame tout autant que « l’officier du ministère public, en effet, ne dispose pas du pouvoir d’apprécier le bien-fondé ou non d’une réclamation. Il doit seulement après avoir vérifié si les conditions de sa recevabilité (articles 530-1 et 529-10 du Code de procédure pénale) sont remplies la porter obligatoirement devant la juridiction de proximité à moins qu’il ne renonce aux poursuites. Dés lors, une réclamation régulièrement déposée, rejetée pour des motifs autres que l’absence de motivation ou d’avis qui donne lieu à un incident contentieux relatif à l’exécution du titre exécutoire, annule le titre exécutoire et met l’officier du ministère public dans l’obligation de soumettre la réclamation au juge de proximité » (Cass. crim., 29 oct. 1997, Bull. crim. 1997, 357). Il s’agit là du contrepoids nécessaire au pouvoir exorbitant donné à un agent de poursuite de rejeter une requête que lui seul juge irrecevable (obs. sous Cass. crim., avis no 0070004P,5 mars 2007).

Les recours du justiciable

Le contrevenant usé sinon désabusé par certaines de ces pratiques dispose de plusieurs recours.

A réception de l’amende forfaitaire (illégalement) majorée, le contrevenant peut, sinon doit, de nouveau contester le titre exécutoire dans les 30 jours suivants sa réception par courrier motivé accompagné de l’avis de majoration en original.

En cas de résistance des services de l’OMP, le contrevenant peut alors saisir directement la juridiction de proximité au visa des dispositions des articles 530-2, 710 et 711 du Code de procédure pénale.

Les incidents contentieux relatifs à l’exécution du titre exécutoire sont déférés à la juridiction de proximité qui sur requête de la partie intéressée, statue en chambre du conseil.

En cas de perte de points concomitante sur le permis de conduire et alors que l’infraction a été régulièrement contestée, le contrevenant n’aura d’autre choix que de porter avec succès la légalité de la perte de points devant le tribunal administratif.

Les juridictions administratives censurent naturellement ces retraits de points « Considérant que M. X a acquitté le 25 juin 2004 une consignation de 375 euros ; qu’il ressort des pièces du dossier et notamment du relevé d’information intégral produit par le ministre de l’Intérieur que, contrairement à ce que soutient ce dernier, l’officier du ministère public n’a pas opposé l’irrecevabilité de la requête en exonération ; que, dans ces conditions, ladite consignation n’est pas assimilable au paiement de l’amende forfaitaire majorée valant reconnaissance de l’infraction ;
qu’il s’ensuit que la réalité de l’infraction imputée au requérant ne pouvait être considérée comme établie à la date du 5 janvier 2005 ; que, par suite, M. X est fondé à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l’Intérieur a rejeté le recours gracieux qu’il avait formé contre la décision ministérielle du 5 janvier 2005 portant retrait de quatre points sur son permis de conduire consécutive à l’infraction commise le 12 octobre 2003
 » (TA Versailles, 27 sept. 2007, Lang ; TA Lyon juin 2010).

Par ailleurs, le contrevenant peut s’en remettre à la Cour européenne des Droits de l’Homme en invoquant la violation de l’article 6-1 de la Convention et le refus d’accès au tribunal qu’il garantit.

Enfin le Conseil Constitutionnel aura très prochainement à se prononcer sur la constitutionnalité des dispositions du Code de procédure pénale (QPC 2010-38).

Le requérant fait valoir, à bon droit, que le rejet de sa requête par l’OMP a entrainé sans possibilité de recours, le paiement de l’amende forfaitaire par encaissement de la consignation alors que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 16 de la DDHC (droit au recours effectif).

Rémy JOSSEAUME

Docteur en Droit pénal

Auteur du Lamy Contentieux de la Circulation Routière

Jean Charles TEISSEDRE

Avocat pénaliste

Membres de la Commission Juridique de 40 Millions d’Automobilistes