Auparavant, le législateur autorisait les statuts d’une société anonyme à accorder un droit de vote double pour toute action détenue par un actionnaire depuis deux ans au moins.
De lege lata, la logique est inversée dans les sociétés cotées admises aux négociations sur un marché réglementé : l’octroi d’un droit de vote double intervient de plein droit pour les actions inscrites au nominatif depuis au moins deux ans, sauf stipulation statutaire contraire.
Applicable le 2 avril 2014, la loi nouvelle permettra l’attribution de droits de vote double le 2 avril 2016 dans les sociétés cotées qui n’auront pas modifié leurs statuts. Cette réforme a été adoptée afin de surmonter l’hostilité de certains investisseurs qui empêchaient l’adoption statutaire du principe des droits de vote double au profit des « actionnaires historiques ».
Le renversement du principe a été préféré à l’abaissement des conditions de majorité dans lesquelles devait statuer l’assemblée générale extraordinaire pour modifier les statuts et adopter le droit de vote double. La pertinence de ce choix opéré par le législateur a été critiquée par une partie de la doctrine [1] : la démocratie sociétaire qui repose sur le principe « un actionnaire, une voix », auquel sont au demeurant attachés les investisseurs institutionnels, serait remise en cause.
Ce printemps, l’actualité économique est venue apporter un éclairage bienvenu quant à la portée de la réforme et quant aux schémas sociétaires qu’elle permet de mettre en œuvre.
D’une part, l’État, en qualité d’actionnaire de certaines grandes sociétés cotées françaises, a manifesté son attachement à la disposition nouvelle [2].
D’autre part, certaines sociétés anonymes cotées (Renault et Air France KLM notamment) se sont montrées, par la voix de leurs dirigeants sociaux, hostiles au jeu de la disposition nouvelle [3].
Le texte a tenu compte de ces éventuelles hostilités : l’octroi automatique d’actions nouvelles peut être paralysé par une modification du pacte social en ce sens. La réunion d’une assemblée générale extraordinaire aux conditions de majorité et de quorum renforcée est en pareil cas nécessaire. Majorité des ⅔ des voix dont disposent les actionnaires présents [4], le quorum requis étant de ¼ sur première convocation et de 1/5 lors de la seconde convocation [5].
Des projets de résolution visant à exclure le principe des droits de vote double ont alors été élaborés dans les sociétés hostiles au principe des droits de vote double. L’État actionnaire détenait, dans les sociétés anonymes citées, une participation significative (16,1% pour Air France KLM, 15,01% pour Renault) sans toutefois constituer une véritable minorité de blocage au sein des assemblées extraordinaires (par hypothèse de ⅓). Afin d’éviter l’exclusion du principe des droits de vote double au bénéfice des « actionnaires historiques », l’État actionnaire a souhaité élever temporairement sa participation au capital de ces sociétés – par la technique du ramassage en bourse – pour obtenir une minorité de blocage de fait. Cette stratégie s’est avérée payante s’agissant de la société anonyme Renault. Les statuts n’ont pas été modifiés, le projet de modification recueillant seulement 60% de voix (⅔ nécessaires), et l’art. L. 225-123 C. com. devrait déployer ses effets dans cette société. Ce schéma a également triomphé dans la société anonyme Air France KLM.
La stratégie de l’État actionnaire apparaît donc claire. Alors que sa capacité financière est réduite, l’État entend mobiliser l’instrument des droits de vote double afin de renforcer son influence dans les sociétés dans lesquelles il détient une participation. À la vérité, il ne semble pas que cette stratégie entraîne un véritable bouleversement des équilibres politiques des sociétés cotées. D’abord, le nouvel article ne pourra que renforcer la qualité de contrôlaire de l’État dans plusieurs sociétés cotées. Ensuite, pour les sociétés dans lesquelles l’État détient une participation importante sans toutefois détenir le contrôle, son influence politique s’en trouvera renforcée mais l’État devra toujours composer avec les actionnaires de référence et il pourrait même être contraint à renoncer à l’attribution de droits de vote double, sauf à formuler une offre publique d’achat obligatoire (OPA) [6]. La stratégie sociétaire adoptée par l’État paraît plutôt consister dans le maintien de son poids politique alors que ses participations capitalistiques s’allègent [7].
Aussi est-il surprenant, dans une économie libérale, que la règle des droits de vote double serve les intérêts de l’auteur de la règle au prix de l’abandon d’un principe démocratique et efficace (« un actionnaire, une voix »).