Le choix du statut n’est pas sans incidence sur les conditions de travail de ces travailleurs indépendants qui se retrouvent dans une situation précaire par rapport à celle des salariés (absence de congés payés, absence de protection en cas de maladie ou d’accident, absence de garantie en cas de rupture du contrat…).
Se pose ainsi la question de la légitimité du recours à un tel statut et de la possibilité de s’affranchir des règles du droit social.
En effet, le juge n’est pas tenu par la qualification donnée par les parties à leur relation contractuelle.
Ainsi, l’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à la convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité professionnelle (Cass. soc. 7 juillet 2010, n° 08-45.538).
En conséquence, et même si le statut de travailleur indépendant est présumé dès lors que l’entreprise individuelle est régulièrement immatriculée ou déclarée, le juge peut considérer qu’en réalité, le travailleur indépendant est salarié de son donneur d’ordre, et procéder à la requalification de son contrat d’entreprise en contrat de travail.
Une telle requalification emporte de nombreuses conséquences qui peuvent coûter cher à l’entreprise donneuse d’ordre.
Récemment, l’URSSAF d’Ile-de-France a initié deux procédures à l’encontre d’Uber. Elle souhaite que les chauffeurs, engagés en qualité de travailleurs indépendants, se voient reconnaître le statut de salariés (www.lemonde.fr – 17 mai 2016) et ainsi pouvoir récupérer les cotisations sociales correspondantes.
Au-delà des incidences sociales (non négligeables) inhérentes à une telle requalification, ces sociétés 2.0 s’exposent également à des condamnations devant le Conseil de prud’hommes qui serait saisi par un travailleur indépendant sollicitant la requalification de son contrat.
Vous l’aurez compris, le recours massif à cette main d’œuvre « indépendante » n’est donc pas sans risque.
Il convient alors de s’interroger sur les conditions de la requalification en contrat de travail (I) puis, sur ses conséquences (II).
I – Les conditions de la requalification en contrat de travail.
Le contrat de travail est un contrat par lequel une personne s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre personne, moyennant rémunération.
Pour pouvoir prétendre à la requalification de son contrat d’entreprise en contrat de travail, le travailleur indépendant doit démontrer l’existence d’un lien de subordination juridique avec son donneur d’ordre, élément caractéristique du contrat de travail (et qui le distingue du contrat d’entreprise).
Conformément à la jurisprudence, le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
Autrement dit, le travailleur indépendant doit prouver que ses conditions de travail sont imposées par son donneur d’ordre qui dispose d’un pouvoir de direction et de contrôle et qu’en conséquence, il n’est pas véritablement libre dans l’exécution de son travail.
L’existence de ce lien de subordination est appréciée souverainement par le juge du fond qui peut se reporter aux stipulations du contrat mais aussi au comportement des parties et aux modalités d’exécution de la prestation de travail.
Le juge se prononce au regard d’un faisceau d’indices :
Initiative même de la déclaration en travailleur indépendant (démarche non spontanée, a priori incompatible avec le travail indépendant) ;
Existence d’une relation salariale antérieure avec le même employeur, pour des fonctions identiques ou proches ;
Existence d’un donneur d’ordre unique ;
Imposition d’horaires de travail ;
Respect de consignes autres que celles strictement nécessaires aux exigences de sécurité sur le lieu d’exercice ;
Rémunération au nombre d’heures ou en jours ;
Absence ou limitation forte d’initiatives dans le déroulement du travail ;
Intégration à une équipe de travail salariée / Travail au sein d’un service organisé ;
Fourniture de matériels ou équipements par le donneur d’ordre …
(Rép. min. n° 7103 : JOAN Q, 6 août 2013, p. 8534)
Si l’existence d’un lien de subordination est constatée par le juge qui requalifie la relation contractuelle en contrat de travail, les droits afférents au statut de salarié sont alors applicables au travailleur indépendant.
II – Les conséquences de la requalification en contrat de travail.
La requalification de la relation en contrat de travail emporterait plusieurs conséquences, profitables au travailleur indépendant (devenu salarié) et très néfastes pour l’entreprise donneuse d’ordre.
- L’application du statut de salarié au travailleur indépendant
Dans la mesure où le juge estimerait que la relation contractuelle entre les parties relèverait d’un contrat de travail, le travailleur indépendant pourrait profiter des règles légales (Code du travail) et conventionnelles applicables à tout salarié.
Ainsi, il pourrait revendiquer l’application des dispositions de la convention collective dont relèverait éventuellement son employeur et des avantages en découlant.
De manière générale, il pourrait notamment prétendre, au titre des 3 années précédant la requalification et pour l’avenir :
- Au paiement de la rémunération minimale légale ou conventionnelle applicable (dans l’hypothèse où il aurait touché une rémunération moindre) ;
- A l’éventuel paiement d’heures supplémentaires dès lors qu’il aurait dépassé la durée légale ou conventionnelle de travail ;
- Au paiement des congés payés non pris.
Cette liste n’est pas exhaustive et pourrait s’allonger en fonction de la situation du salarié et des avantages prévus par la convention collective.
Par ailleurs, et si le contrat entre le travailleur indépendant et son donneur d’ordre avait déjà pris fin, la requalification du contrat d’entreprise en contrat de travail permettrait au travailleur indépendant de contester la rupture, dans la mesure où les règles de droit du travail n’auraient pas été respectées.
A ce titre, il pourrait revendiquer le paiement de :
- L’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (au bout d’un an d’ancienneté).
- L’indemnité compensatrice de préavis.
- L’indemnité compensatrice de congés payés.
- Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (correspondant à 6 mois de salaire minimum pour les salariés des entreprises de 11 salariés (et plus) ayant au moins 2 ans d’ancienneté).
Il est ici rappelé que toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par 2 ans.
- L’infraction de travail dissimulé
L’entreprise donneuse d’ordre s’expose également à une condamnation pour travail dissimulé.
En effet, le fait de maquiller sciemment une relation salariale en contrat d’entreprise pour échapper à ses obligations d’employeur caractérise une fraude constitutive du délit de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, dans les conditions précisées à l’article L. 8221-5 du Code du travail.
Or, en ayant recours à un travailleur indépendant qui, en réalité, n’est autre qu’un salarié, le donneur d’ordre s’est affranchi des obligations relatives à l’embauche et à l’emploi de salariés (déclaration préalable à l’embauche, délivrance de bulletins de paie, déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales auprès des organismes compétents…).
A ce titre, le donneur d’ordre « employeur » encourt les sanctions suivantes :
- Sanctions pénales : peine d’emprisonnement, peine d’amende pouvant aller jusqu’à 225.000 euros pour les personnes morales, affichage ou diffusion de la condamnation, fermeture temporaire ou définitive de l’entreprise…
- Sanctions civiles ou administratives : annulation d’éventuelles exonérations de cotisations et redressement des cotisations et contributions sociales assorties de majorations et pénalités…
- Indemnisation du salarié : paiement d’une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire en cas de rupture de la relation de travail (qui s’ajoute aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) et rétablissement des droits du salarié (rétablissement de la rémunération et des cotisations correspondantes et droit aux prestations sociales…)
Il ressort des développements précédents que le recours aux travailleurs indépendants, même s’il présente de nombreux avantages, comporte des risques qui peuvent s’avérer très coûteux pour l’entreprise donneuse d’ordre.
La chasse aux « faux travailleurs indépendants » par les organismes de sécurité sociale peut, à cet égard, générer un contentieux important que les start-up 2.0 ont intérêt à anticiper en évitant qu’un lien de subordination ne puisse être caractérisé.
En effet, des travailleurs indépendants, évincés ou lassés de travailler sans repos, ni quelconque protection en cas de maladie ou d’accident, auraient tout intérêt à « surfer sur la vague » et saisir le juge afin d’obtenir la requalification de leur contrat en contrat de travail.
Discussions en cours :
quelle est la différence entre 1 contrat dit Uberisation et 1 contrat d’ Agent commercial
étant entendu que dans les 2 cas l’agent ou l’ uberisé assume pleinement le paiement de ses charges de fonctionnement
Ne eput pas parler aussi des Franchisés ?
Le terme « ubérisation » fait ici référence au fait que les sociétés recourent de plus en plus à une main d’œuvre indépendante et non salariée. Il ne s’agit pas d’une forme de contrat à proprement parlé mais plutôt de la qualification d’un phénomène de société.
L’agent commercial est, en effet, un travailleur indépendant.
Il s’agit plus exactement d’un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d’industriels, de commerçants ou d’autres agents commerciaux.
Son statut est réglementé par le Code de commerce et l’immatriculation au registre spécial des agents commerciaux est une condition nécessaire et préalable à l’exercice de la profession.
Par opposition, on appelle mandataires libres les personnes n’exerçant pas leur activité « de façon permanente » et ne répondant donc pas à la définition de l’agent commercial posée par la loi.
Le franchisé n’est, quant à lui, pas un mandataire mais un commerçant indépendant. Il doit pouvoir déterminer librement ses prix et conditions de vente.
Le contrat de franchise se caractérise par la réunion de 3 éléments :
L’utilisation d’un nom ou d’une enseigne commune et une présentation uniforme des locaux et/ou moyens ;
La communication par le franchiseur d’un savoir-faire ;
La fourniture par le franchiseur d’une assistance commerciale.
Le contrat peut être requalifié en contrat de travail si le franchisé perd son autonomie juridique propre au statut de franchisé.
Bonjour, c’est un très bon article mais j’ai une question.
Je travaille pour DELIVROO et j’ai eu un accident pendant une course. J’ai pas pu travailler pendant plusieurs semaines et donc pas de rentrer d’argent. Comme j’ai pas pu faire les courses qu’on m’a demandé j’ai plus les bonnes courses.
Je sais que les salariés ont des congés maladies mais pas les travailleurs indépendants. Je dois demander la requalification du contrat de travail pour avoir des indemnités car l’accident a eu lieu pendant une course ?
Merci pour votre réponse.
Le travailleur indépendant n’est effectivement pas protégé dans ce genre de situation. C’est à lui qu’il appartient de s’assurer pour ce type de risque, ce qui a pour effet de créer des charges supplémentaires. Cela étant, votre situation nécessite une étude approfondie et nous vous invitons à nous contacter pour plus de renseignements :
verbreugh.avocat chez orange.fr
contact chez sarazin-avocat.fr
Les auto entrepreneurs recrutés par ces entreprises sont souvent jeunes et sans le sou, ils hésiteront à agir en justice. Une action de groupe est elle envisageable ?
A l’opposer, comment les Startups peuvent se protéger et insister sur le fait que les auto entrepreneurs sont indépendants ?
1- Sur l’action de groupe
Une action de groupe (ou class action) n’est ici pas envisageable dans la mesure où ce type de procédure est limité à certains domaines et suppose une solution globale pour toutes les personnes concernées. Ceci étant, il est tout à fait possible d’envisager une action individualisée mais commune.
2- Sur la prévention de la requalification
Chaque cas est différent et le juge s’attachera aux conditions réelles de travail. De manière générale, il faut éviter tout comportement de nature à caractériser un lien de subordination. Ainsi, par exemple, il faut éviter d’imposer des horaires de travail ou encore de prévoir une rémunération fixe correspondant à des heures de travail.
Pour plus de renseignements et une analyse approfondie de votre situation, nous vous invitons à prendre contact avec nous :
verbreugh.avocat chez orange.fr
contact chez sarazin-avocat.fr