La durée des instances devant le juge administratif a toujours fait l’objet de nombreux griefs de la part des acteurs de l’immobilier.
L’existence d’un recours dirigé contre une autorisation d’urbanisme a pour effet de retarder la réalisation du projet et d’impacter financièrement l’opération.
C’est pour cette raison que le gouvernement a décidé de prendre des mesures en vue de réduire le délai de traitement des recours qui peuvent retarder la réalisation d’opérations de construction de logements.
Ainsi, l’article 2 du décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme a créé l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative.
L’on rappelle que par principe, en application de l’article R. 811-1 du code de justice administrative, toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance.
Le décret du 1er octobre 2013 vient poser une exception à ce principe en donnant compétence aux tribunaux administratifs de connaître en premier et dernier ressort certains contentieux contre les autorisations d’urbanisme.
Ces dispositions dérogatoires du droit commun concernent les recours dirigés contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement.
De plus, elles s’appliquent lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application, c’est-à-dire dans les communes marquées par un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements.
Initialement, la suppression de l’appel portait sur les recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 1er décembre 2018.
Le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l’urbanisme a prorogé cette mesure jusqu’au 31 décembre 2022.
Pour être complet, il faut également noter que l’article a été modifié une seconde fois par le décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 attribuant à la cour administrative d’appel de Paris le contentieux des opérations d’urbanisme, d’aménagement et de maîtrise foncière afférentes aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.
Dans le cadre des mesures exceptionnelles mises en œuvre en vue des Jeux Olympiques de Paris de 2024, il a été donné compétence à la cour administrative d’appel de Paris pour statuer en premier et dernier ressort sur l’ensemble des recours formés contre les actes afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement nécessaires aux JO.
Il a donc été prévu que les tribunaux administratifs qui auraient été précédemment saisis de recours contre ces actes statuent en premier et dernier ressort.
Dès lors, l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative prévoit dans sa version actuellement en vigueur que :
« Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application, à l’exception des permis afférents aux opérations d’urbanisme et d’aménagement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l’article R. 311-2.
Les dispositions du présent article s’appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022. »
Les décisions rendues par les tribunaux administratifs entrant dans le champ d’application de cet article font donc directement l’objet d’un pourvoi devant le Conseil d’Etat.
Sur la régularité du dispositif.
L’économie d’un degré de juridiction s’avère bénéfique pour les porteurs de projet dans la mesure où les délais de jugement sont réduits.
Ces dispositions posent toutefois des questions en matière de droit au juge et de droit d’exercer un recours effectif.
Le Conseil d’Etat a cependant statué sur la régularité du dispositif.
La différence de traitement instituée entre les recours portant sur des projets situés dans des communes où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements et les recours portant sur des projets situés dans les autres communes est fondée sur des critères objectifs.
La suppression de la voie d’appel est justifiée par une différence de situation en rapport avec l’objet des dispositions en cause et n’est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs qui la justifient.
Selon le Conseil d’Etat, les dispositions réglementaires se bornent à aménager l’organisation des voies de recours sans priver les justiciables de l’accès à un juge.
Dans ces circonstances, le principe d’égalité n’est pas méconnu.
En outre, le Conseil d’Etat rappelle qu’aucun principe ou qu’aucune règle ne consacrent l’existence d’une règle de double degré de juridiction qui s’imposerait au pouvoir réglementaire.
Sur ce point, la solution semble conforme à la jurisprudence du Conseil d’Etat.
Ce dernier avait refusé au pouvoir réglementaire la possibilité de déroger au principe du double degré de juridiction, en réservant une telle compétence au législateur [1].
Toutefois, la solution n’apparait pas transposable sous la Vème république dans la mesure où il existe désormais un pouvoir réglementaire autonome.
Dès lors, le Conseil d’Etat conclut « qu’en supprimant temporairement la voie de l’appel afin de raccourcir les délais dans lesquels sont jugés les recours qu’elles mentionnent, les dispositions litigieuses ont poursuivi un objectif de bonne administration de la justice, sans méconnaître aucun principe ni aucune disposition législative du code de justice administrative ». [2].
La question de la régularité du dispositif étant réglée, le Conseil d’Etat a pu interpréter les dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative, qui sont « d’interprétation stricte ».
Parmi les nombreux arrêts rendus sur la suppression de la voie d’appel, certains méritent d’être évoqués.
Sur la notion de bâtiment à usage principal d’habitation.
Le Conseil d’Etat a pu préciser que l’installation d’une tente démontable sur une terrasse du jardin d’un château destinée à accueillir des réceptions ne constitue pas un bâtiment à usage principal d’habitation au sens des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative [3].
En outre, il faut noter que les dispositions de l’article R. 811-1-1 s’appliquent, dans l’hypothèse où la construction autorisée est destinée à différents usages, qu’au bâtiment dont plus de la moitié de la surface de plancher est destinée à l’habitation [4].
Sur le type de décisions concerné par le dispositif.
La plus haute juridiction administrative française a également indiqué que le dispositif ne vise que des jugements statuant sur des recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d’aménager.
Il n’est pas applicable dans le cas de jugements statuant sur des recours formés contre des refus d’autorisation [5].
Le Conseil d’Etat est également venu préciser que le dispositif s’applique non seulement aux recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d’aménager, mais également, lorsque ces autorisations ont été accordées puis retirées, aux recours dirigés contre ces retraits [6].
Le Conseil d’Etat précise également le fait que la suppression de la voie d’appel ne s’applique pas aux jugements statuant sur des recours formés contre des décisions de sursis à statuer [7].
Sur le cas particulier des permis d’aménager.
S’agissant des recours dirigés contres des permis d’aménager, le Conseil d’Etat précise que « ces dispositions ne subordonnent pas la compétence des tribunaux administratifs pour statuer en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis d’aménager un lotissement à la destination des constructions qui ont vocation à être édifiées sur les lots qui en sont issus ».
Dès lors, le jugement portant sur un permis d’aménager en vue de la création d’un lotissement du plusieurs lots à bâtir en vue de la réalisation d’une zone d’activités commerciales et artisanales est rendu en premier et dernier ressort [8].
Sur le cas particulier des travaux portant sur des constructions existantes.
Le Conseil d’Etat a également eu à connaitre l’hypothèse où les travaux portaient sur une construction existante.
Dans ce cas, les dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative sont susceptibles de s’appliquer à la condition que ces travaux aient pour objet la réalisation de logements supplémentaires.
La solution peut toutefois être différente lorsque les travaux sur une construction existante ont fait l’objet d’un permis de construire modificatif, qui obéit nécessairement aux mêmes règles de procédure contentieuse que le permis de construire initial auquel il se rattache [9].