Quand l’eau stagne, elle croupie
Ce matin de septembre, je m’installe à mon volant. Contact. Je repars pour une année d’allers-retours qui se ressemblent. Maison-école-bureau et l’inverse en fin de journée. Vertigineux. Il vaut mieux ne pas y penser. Et soudain, passés les premiers kilomètres, alors que la radio diffuse un concerto pour piano de Mozart, mon âme d’enfant vole à mon secours et me sort de ma torpeur.
Mon âme :-"réveil mon vieux ! Qu’est-ce que tu t’imagines ? Que tu vas te contenter cette année de copier-coller l’année passée ? Impossible !"
Piqué au vif, je lui demande un peu vivement : "- Dis-moi mon âme, un conseil c’est bien, une démonstration c’est mieux. Pourquoi t’écouterais-je ?"
Et la voila qui se lance dans une vaste plaidoirie. Que peut faire d’autre une âme d’avocat ?
Mon âme : "La vocation de l’homme n’est t’elle pas d’avancer, de gravir, de marcher plutôt que de s’installer dans une reprise confortable de ce qui a déjà été vécu ? "
Moi : Et s’il est dans la nature profonde de l’homme d’avancer toujours, qu’est-ce qui peut bouger si tout semble rester pareil : maison, trajets, travail, horaires ? Même une expatriation, si elle bouleverse une vie quotidienne, n’est pas pour autant synonyme de marche. On peut se faire trimbaler à l’autre bout du monde et pourtant s’installer dans la même routine, passée la découverte des premiers moments.
Mon âme : Avance. Ce n’est pas moi qui le dit. Le Pape François rappelait récemment que « l’important est de ne pas stagner ; Nous savons tous que quand l’eau stagne, elle croupie. » [1].
Moi : Est-ce donc possible d’avancer quand le jour se reproduit en habitudes monotones ?
Avancer, un besoin inscrit dans le cœur de l’homme
Mon âme : "Plus que possible, c’est nécessaire. Nécessaire car avancer est un besoin inscrit dans le cœur de l’homme. Et donc, cesser de marcher revient à renoncer à quelque chose de très profond et de très universel en l’homme. C’est presque même renoncer à ce qu’il y a d’homme en nous. Un animal fait des progrès mais très vite reproduit ce qu’il a appris. Pas plus. Il est limité. L’homme seul a une vocation infinie à grandir. Et à la différence de l’animal, il donne un sens à l’effort qu’il accomplit."
Moi (l’air convaincu) : "Tu as raison. Mes vacances m’ont reposé. Je me sens prêt décider plein de choses nouvelles pour cette année. "
Mon âme (l’air moqueur) : "Belle promesse mais trop générale. Et une promesse générale, je parle d’expérience, se fera avaler par la vie et ses rituels."
Là, je veux parler mais mon âme ne m’en laisse pas le temps. Beignet claqué !
Bouger des petites choses
Mon Ame : "Il faut bouger des petites choses. Pas dans l’air. Concrètement. Et pour une durée déterminée. Une année. Se projeter plus loin serait présomptueux. Allez, comme je ne te sens pas très imaginatif, je te livre quelques pistes :
Qui ne faisait aucun sport, décide de se garer à 500 mètres de son bureau pour un peu marcher tous les jours. Pas plus loin sinon la résolution ne tiendra pas. Et cela affermira la santé.
Qui se taisait dans les discussions, décide d’ « ouvrir la bouche ». Pas s’étaler, mais parler un peu, simplement pour donner un avis, sinon la décision ne tiendra pas. Et cela fera fleurir la personnalité.
Qui ne lisait pas ou peu se tienne à une lecture de poésie hebdomadaire. Pas une grande poésie, mais seulement quelques vers. Et cela fera grandir l’âme.
Se bâtir un programme de petites choses concrètes pour retrouver un peu plus son corps, son cœur et son âme. Pas pour la vie. Seulement pour un an."
Vivre, c’est naître lentement
Mon âme s’est enfin tue. Je lui glisse en douce et du coin des lèvres : "mais tu crois que tes petits trucs vont vraiment changer ma vie ? "
La réponse ne se fit pas attendre : "-Ah oui, mon vieux j’oubliais un dernier avis. Il faut de l’humilité car même de petites résolutions sont dures à tenir, et de la patience car « vivre, c’est naître lentement, il serait un peu trop aisé d’emprunter des âmes toutes faites » (Saint-Exupéry) [2]. "