La Commission des sanctions de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) vient de prononcer l’une des plus fortes amendes jamais infligées par elle.
Après le contrôle sur place d’une éminente compagnie d’assurance, filiale d’un groupe bancaire français, le rapport de la mission de contrôle a conclu à la violation de deux obligations :
celle de rechercher activement les bénéficiaires de contrats d’assurance-vie (trois griefs, deux retenus) ;
celle de revaloriser les capitaux décès de ces contrats (un grief, retenu).
Les griefs ont été notifiés le 11 juillet 2013, après l’ouverture de la procédure disciplinaire consécutive au contrôle sur place ; la commission s’est réunie le 21 mars 2014.
La mission de contrôle de l’ACPR s’appuie sur les diligences et méthodes constatées, ainsi que sur l’analyse d’un échantillon de contrats.
1. L’obligation de recherche des bénéficiaires :
L’article L. 132-8 du Code des assurances fait obligation à tout assureur, au décès de l’assuré, "de rechercher" le bénéficiaire du contrat, et de "l’aviser de la stipulation effectuée à son profit" [1].
L’article L. 132-9-3 du même Code des assurances donne tous les moyens de cette recherche.
Pour autant, l’assureur avait "mesuré" son effort de recherche, en filtrant les contrats devant en faire l’objet. Plus de 4.000 dossiers auraient, ainsi, été initialement mis de côté, selon le rapport de l’ACPR. Certains d’entre eux ont pu faire, par la suite, l’objet de recherches. L’assureur indique qu’il a ainsi rempli l’obligation légale, dans un délai d’environ trois années, justifié par l’ampleur de la tâche.
Les diligences entreprises par la Compagnie, telles que les montrent l’échantillon de contrats, amènent l’ACPR au constat que l’absence de délai de l’article L. 132-8 du Code précité entraîne un traitement sans délai. L’Autorité constate également des absences de toute action, l’information du décès de l’assuré étant pourtant connue.
L’assureur invoque l’absence de délai et la liberté de moyens à lui laissées pour remplir cette obligation.
La décision judiciaire de la Commission des sanctions ne retient pas ces éléments et pose, ainsi, la jurisprudence d’une "recherche active" des bénéficiaires. Elle doit être prodiguée sans discrimination de traitement entre les contrats (ou entre les bénéficiaires).
2. L’obligation de revalorisation des capitaux décès :
C’est cette fois l’article L. 113-5 du Code des assurances qui pose le principe de la réévaluation des capitaux versés en cas de décès de l’assuré.
Cette disposition vise à tenir compte de l’érosion monétaire de la créance du bénéficiaire sur la Compagnie, entre le décès de l’assuré et le versement effectif des fonds, admettant qu’un "certain temps" puisse s’écouler entre ces deux faits.
Or, la compagnie ne procédait pas à cette revalorisation, sauf sur demande des bénéficiaires, avant avril 2013.
La revalorisation doit être automatique, comme l’audit interne de la compagnie l’avait également signalé en mars 2011.
La commission des sanctions de l’ACPR juge cette pratique contraire à la disposition légale.
Les efforts, constatés, de mise en conformité de la compagnie conduisent la commission des sanctions à réduire la sanction financière, en regard de la demande initiale du collège de l’ACPR.
La question de la recherche des bénéficiaires de contrats d’assurance-vie est en souffrance depuis 2007, au moins.
Elle s’intensifie clairement, avec le récent rapport de la Cour des Comptes (février 2014) et la proposition de loi déposée au même moment par un député (après celle de 2009).
Au-delà des arguments techniques rappelés par tous les assureurs (difficultés de connaître les décès d’assurés, importances des stocks, délais, coûts), le principe de capitaux juridiquement dévolus à des personnes peu ou mollement recherchées reste choquant.
Il ne peut être compris des épargnants.
Avec 24 millions de français détenteurs d’un contrat d’assurance-vie, soit 41 % des ménages [2] et 1.400 milliards d’euros d’encours, environ (soit près de 15 % de leur patrimoine total), l’assurance-vie est un produit d’épargne au sommet des masses de la consommation financière.
2,76 milliards d’euros de capitaux d’assurance-vie seraient en attente de trouver le compte courant de leurs bénéficiaires (Cour des Comptes). Les professionnels en reconnaissaient 950 millions, en 2007.
Or, 30 % des détenteurs indiquent que leur motivation est de vouloir en "faire bénéficier un proche" : c’est dire l’importance de la décision publiée par l’ACPR, du point de vue de la protection des consommateurs, des pratiques des professionnels et de leurs obligations de conformité.
La décision de l’ACPR vient apporter une contribution décisive à cette protection.
Tous les producteurs d’assurances-vie vont devoir en tirer des conséquences -même s’il n’est pas impensable que ce débat judiciaire connaisse encore des développements.
L’assurance-vie, dotée de jolis atouts et bien comprise du public, aurait tout à gagner à mieux assurer la recherche effective des bénéficiaires.. Elle a tout à y gagner. C’est l’une des obligations emblématiques de l’assureur, au contrat passé avec l’assuré avant sa disparition.