Par l’effet conjugué d’une ordonnance signée sous la Restauration par Louis XVIII le 10 septembre 1817 et des articles 4 et 5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation disposent d’un monopole pour représenter et assister en justice les parties en cassation devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Il existe aujourd’hui 112 membres de l’Ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui se trouvent tous à Paris et qui bénéficient de ce monopole pour avoir soit acheté une charge, soit s’être associés sur une des 60 charges existantes (nombre datant de 1817). Certains ont préalablement suivi une scolarité spécifique, d’autres ont bénéficié de passerelles. Dans le même temps, il existe en France plus de 60.000 avocats répartis sur l’ensemble du territoire, là où il y en avait quelques centaines en 1817. Il n’existe aucun autre système comparable en Europe.
- Jean-Sébastien Boda, requérant et auteur de la QPC.
La question prioritaire de constitutionnalité met en avant quatre griefs contre le monopole tel qu’il existe :
En premier lieu, en l’état, les conditions d’accès à la profession d’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ne sont pas conforme au principe d’égal accès à toutes dignités, places et emplois publics garantis par l’article 6 de la Déclaration de 1789. De nombreux rapports ont d’ailleurs conclu à ce qu’elles soient modifiées.
En deuxième lieu, le monopole tel qu’il existe, et notamment tel qu’il est interprété par la Cour de cassation et le Conseil d’Etat, conduit à rompre l’égalité des armes devant le Conseil d’Etat et la Cour de cassation pour l’ensemble des litiges où le ministère d’avocat au conseil d‘Etat et à la Cour de cassation n’est pas obligatoire, dont la procédure de question prioritaire de constitutionnalité.
En troisième lieu, le monopole tel qu’il existe institue de façon plus générale une rupture du principe constitutionnel d’égalité entre avocats dès lors qu’une catégorie particulière d’avocats se voit reconnaître des prérogatives particulières sans justification raisonnable.
Enfin, en quatrième lieu, ce monopole porte atteinte la liberté d’entreprendre des avocats, garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en réservant l’accès à certaines juridictions à 112 avocats. Or cette atteinte ne peut plus aujourd’hui se justifier au regard notamment de la spécialisation des multiples branches du droit, qui le rend obsolète, comme l’a montré la suppression des avoués. Mais surtout cette atteinte est manifestement disproportionnée dès lors que s’il est interdit aux avocats de faire concurrence aux avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, certains cabinets d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation profitent de la rente de situation qui leur est assurée par le monopole pour venir concurrencer les avocats au barreau que ce soit devant les juridictions administratives ou même plus généralement en répondant à des appels d’offre lancés par les collectivités pour des prestations d’accompagnement juridique (comprenant tant le conseil que le contentieux).
De façon générale, la question prioritaire de constitutionnalité entend démontrer que, loin de favoriser une bonne administration de la justice, le monopole tel qu’il est institué a au contraire un impact concret souvent négatif pour les requérants : il est facteur de complexité et fait croître les coûts de procédure.
Il paraît dès lors que, faute d’accommodement raisonnable, le monopole dans sa forme actuelle contrevient aux droits et libertés garantis par la Constitution comme d’ailleurs aux libertés garanties par le droit européen. C’est la raison pour laquelle il est demandé au Conseil d’Etat de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.