Bases de données : une propriété encadrée par le droit de la concurrence.

Par Bernard Lamon, Avocat.

2695 lectures 1re Parution: 21 juillet 2014 1 commentaire 4.8  /5

L’autorité de la concurrence a sanctionné la société Cegedim d’une sanction de plus de 5 millions d’euros, dans une décision du 8 juillet 2014, dans une affaire qui montre qu’être propriétaire d’une base de données ne permet pas de tout faire.

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L’affaire est en fait assez simple. L’autorité a été saisie par Euris, un concurrent de Cegedim. Cegedim édite un logiciel de gestion commerciale (un CRM) pour les laboratoires pharmaceutiques d’une part, et une base de données commerciales, d’autre part.

Un concurrent, la société EURIS, édite un logiciel concurrent et demande à avoir accès à la base (en acceptant de payer un prix de licence). Cegedim refuse, ce qui entrave le développement d’Euris.

La décision paraît à première vue étonnante. La base de données est un droit de propriété. Cegedim a beaucoup investi pour la créer. Or, l’idée même de la propriété est que c’est un droit à peu près absolu : je peux garder pour moi ce qui m’appartient et refuser à un squatteur d’y avoir accès ! C’est notamment le principe même de la propriété intellectuelle. Il y une exception notamment pour les brevets portant sur des médicaments qui ne seraient pas exploités, parce qu’il y a en jeu des questions de santé publique [1] mais ce n’était pas le cas ici.

En fait, l’autorité de la concurrence a appliqué dans sa longue décision un raisonnement qui est connu depuis longtemps celui de la théorie des infrastructure s essentielles. Quand une entreprise possède sur un marché déterminé un droit qui bloque l’accès du marché à tous les concurrents, elle est obligée par le droit de la concurrence d’en permettre l’accès à un prix raisonnable.

L’autorité de la concurrence a retenu que le marché pertinent était celui des logiciels de CRM pour laboratoires pharmaceutiques (un petit marché donc), que Cegedim avait une position dominante (78% de part de marché) et que son refus, donc, constituait un abus de position dominante. Le refus de donner accès à la base de données par Cegedim a entraîné une chute de 70% du CA d’Euris ! Cegedim avait racheté la société qui avait produit la base, et qui dans un premier temps avait consenti une licence de la base de données à EURIS.

Cegedim a eu l’idée d’avancer un argument assez nouveau pour éviter la condamnation en indiquant qu’elle avait lancé un contentieux en contrefaçon contre EURIS sur son logiciel de CRM. L’argument est écarté par l’autorité de la concurrence.

Finalement, Cegedim est condamnée à payer une sanction pécuniaire calculée en prenant en compte son CA global, le marché perturbé, et la durée du trouble porté au marché.

Cegedim n’a pas encore indiqué si elle ferait appel de la décision (ce qui se traite devant la cour d’appel de Paris).

Quelques enseignements de cette décision ?

Du côté d’Euris, d’abord. Pour l’instant, la société n’a rien touché car la sanction pécuniaire est destinée aux caisses de l’état. Il faudra encore qu’elle poursuive un procès devant les tribunaux de commerce pour espérer peut-être obtenir un dédommagement. Première manche à EURIS donc, mais le match risque d’être en cinq sets…

Du côté de tous les éditeurs : quand vous avez un moyen technique de verrouiller un marché qui vous profite (ou qui vous gêne) le droit de la concurrence doit être pris en compte. Sinon, la facture peut être lourde. Ou bien, le droit de la concurrence peut constituer un levier stratégique intéressant dans les négociations à mener.

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Discussion en cours :

  • par Hervé , Le 27 octobre 2016 à 21:57

    Peux-t-on élargir cela dans un contexte d’API REST et de web service ?
    Autrement dit, peut-t-on commercialiser une API REST exposant des données d’un ERP propriétaire ( dont l’éditeur a une position dominante ) sous forme de web service ?

    A noter que pour le client ces web services permettent d’ouvrir à la concurrence les nouveaux besoins à venir (service mobile, application web grand public, extranet, etc..) .

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