Saisi par des associations et des collectivités territoriales, le Conseil d’Etat vient d’annuler ce décret, considérant que ce projet ne présente pas une utilité publique suffisante. Cette décision nous paraît plus ambitieuse et précise, et à contre-courant d’autres décisions contestables rendues par exemple s’agissant d’infrastructures de gestion des déchets.
Voici un décryptage de cette décision (CE, 15 avril 2016, n°387475). Pour rappel, vous pouvez admirer cette animation réalisée par les porteurs du projet, pour mieux comprendre le tracé et les enjeux de cette infrastructure.
I Qu’est-ce qu’une « déclaration d’utilité publique » (DUP) ?
Pour réaliser toute infrastructure, il est nécessaire de disposer d’une maitrise foncière plus ou moins importante, c’est-à-dire acheter des terres et le cas échéant, exproprier un certain nombre de propriétés. L’expropriation est un pouvoir réservé à l’État qui doit, soit par le biais des préfet ou du gouvernement, selon l’ampleur des projets, prendre un arrêté « déclarant les travaux d’utilité publique », préalable obligatoire à l’expropriation.
Jusque-là, tout va bien et le droit semble plutôt rassurant : on ne peut exproprier que pour les projets d’utilité publique !
Le problème, c’est que la contestation de telles décisions est peu souvent victorieuse. Contrôler l’utilité publique d’un projet est évidemment très délicat pour un juge qui doit trancher « en droit » une décision éminemment politique à la base. Facile pour les petits projets des collectivités où les enjeux sont limités, mais l’expérience montre que plus le projet est gros, moins le contrôle des juges est susceptible d’aboutir à une annulation. Seuls les projets les plus « aberrants », présentant des lacunes et inconvénients flagrants au regard de leur coût, sont annulés (ainsi du cas d’une autoroute inutile ou d’une énorme ligne électrique en plein parc naturel !).
II Pourquoi la LGV est-elle dénuée d’utilité publique ?
Dans son appréciation des faits, le Conseil d’État a commencé par considérer que l’aménagement du territoire réalisé à l’aide de cette ligne grande vitesse présentait un « intérêt public ». Il en fallait plus, cependant, pour que le projet soit véritablement « d’utilité publique ».
Classiquement, le juge vérifie si l’intérêt public présenté par l’opération n’est pas contrebalancée par des inconvénients divers trop importants :
« Considérant qu’une opération ne peut être légalement déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients d’ordre social, la mise en cause de la protection et de la valorisation de l’environnement, et l’atteinte éventuelle à d’autres intérêts publics qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente »
S’agissant de ce projet de LGV, la décision du Conseil d’État nous paraît marquer le pas d’un contrôle plus précis de la part du juge, qui ne se contente pas des grandes incantations classiques du gouvernement pour ce type de projets. Les juges ont ainsi examiné en détail :
le coût du projet, plus d’un milliard et demi d’euros, et dont le financement n’était toujours pas assuré,
l’effectivité ou non de la réduction du temps de parcours qui constitue l’argument majeur du projet, pas complètement sûre ni efficace,
l’impact de la construction de cette ligne, qui aurait nuit aux dessertes plus locales, etc.
Bizarrement, l’argument relatif à l’artificialisation des terres en particulier agricoles, n’apparaît pas, mais il peut également s’agir, à l’occasion, d’un argument intéressant à développer.
Voilà donc une analyse assez fine de l’utilité publique (ou non !) de la LGV, qui projette peut-être le juge administratif dans une nouvelle ère de son contrôle des grands projets (inutiles ?) d’infrastructure.
III Un contexte renouvelé dans l’analyse de l’utilité publique des projets
On le sait, les pressions environnementale et sociale de ce début de 21ème siècle sont particulièrement renforcées par rapport au 20ème siècle, pendant lequel tout l’aménagement du territoire était à faire, et relativement neutre pour l’environnement tant que des terres étaient disponibles, l’énergie abondante, et le territoire relativement peu peuplé !
Le contexte s’inverse donc, puisque tous les impacts environnementaux et sanitaires des projets réalisés depuis plusieurs décennies s’accumulent, et que le territoire est de fond en comble maitrisé voire dompté. Chaque mètre carré doit donc être utilisé avec parcimonie, et ce dont il doit être justifié par un projet présentant une réelle utilité publique, au-delà des arguments classiquement invoqués par politiciens et bétonneurs.
Nous nous félicitons donc de cette décision qui pourrait irradier (sans mauvais jeux de mots) la jurisprudence administrative en matière de contrôle des grands projets, dont certains sont encore trop facilement validés par rapport aux enjeux qu’ils présentent : incinérateurs ou décharges pour faire écho à des décisions récentes, aéroports, barrages, centrales nucléaires et bien d’autres joyeusetés de la « civilisation moderne ». Alors, le juge administratif deviendrait-il écolo ?