La première question qu’un producteur doit se poser est celle de savoir si le film concernera une personne vivante ou, au contraire, décédée. En effet, selon l’hypothèse retenue, le risque d’atteinte à la vie privée n’est pas le même. Sur ce point, la Cour de cassation affirme ainsi régulièrement que le droit d’agir pour le respect de la vie privée s’éteint au décès de la personne concernée (Cass. 1re civ., 14 décembre 1999, n° 97-15.756 ; Cass. 2e civ., 8 juillet 2004, n° 03-13.260 ; Cass. civ. 1re civ., 1er octobre 2014, n° 13-21.287 ). Cette règle implique que les héritiers d’une personne décédée sont irrecevables à agir en justice s’ils se bornent à se plaindre d’une atteinte à sa seule vie privée. S’ils souhaitent agir, il leur faut alors obligatoirement prouver que l’œuvre litigieuse leur cause un dommage personnel, par exemple parce qu’elle met en cause leur dignité ou qu’elle révèle un fait inédit de leur propre vie privée (à propos d’une action en diffamation : Cass. 1re civ., 12 décembre 2006, n° 04-20.719).
Pour les œuvres audiovisuelles se fondant sur la vie de personnes encore vivantes, les producteurs doivent être attentifs à ce que les faits relatés dans le film aient déjà été rendus publics sous une forme ou sous une autre. C’est évidemment le cas si c’est la personne, sujet même du film, qui a elle-même communiqué des éléments de sa vie privée par le biais d’interviews ou d’un ouvrage autobiographique (TGI Paris, 15 janvier 2003, Affaire « Laisser Passer »). Mais c’est également le cas lorsque ces faits ont été révélés publiquement sans participation de la personne concernée, dès lors que cette dernière n’a pas choisi de s’en plaindre (TGI Paris, 8 avril 2010, RG n° 10/53208, Affaire « Carlos »). Pour parer à la moindre difficulté, les producteurs seront bien inspirés de rassembler tous les éléments (articles de journaux, biographies autorisées ou non autorisées, œuvres documentaires, reportages…) susceptibles d’établir - le cas échéant en justice - que les informations révélées dans le film étaient des faits déjà publics.
Reste que lorsque des éléments de la vie privée ont été évoqués exclusivement à l’occasion d’un procès, leur reprise dans le cadre d’une œuvre de fiction audiovisuelle est potentiellement dangereuse. Dans l’affaire du film Intime conviction, diffusée initialement sur Arte, les juges ont ainsi considéré que des faits tirés de la vie privée évoquée par une personne mise en examen lors de son procès ne pouvaient être ensuite librement repris dans le cadre d’une œuvre audiovisuelle de fiction (TGI Paris, 5 novembre 2014, RG n° 14/03844).
De la même manière, le mélange des genres est également susceptible d’entraîner la condamnation des producteurs. Lorsque des éléments imaginaires sont agrégés à des éléments réels, les juges peuvent craindre que les spectateurs ne soient plus à même de distinguer le vrai du faux (Cass. 1re civ., 13 février 1985, n° 84-11.524, Affaire « Mesrine »). Bien sûr, ce risque de confusion dommageable n’existe que si les faits inventés dépassent des faits anodins que chacun pourrait vivre dans sa vie quotidienne (se rendre dans un magasin, aller au restaurant, dormir…), mais montrent plutôt les personnages sous un jour particulièrement défavorable (relation extra-conjugale, comportement violent, etc.). Pour pallier le risque d’une action en référé visant à faire interdire la diffusion du film en raison d’un mélange indiscernable de faits réels et imaginaires, il peut être utile d’intégrer un avertissement écrit, en préambule à l’action du film, indiquant au public quelles sont les principales péripéties imaginaires complétant les faits réels décrits. En revanche, un avertissement général du type « Les personnages et les situations de ce film étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être que fortuite » est à proscrire, car il ne présentera aucune valeur juridique aux yeux des magistrats.
Enfin, si fonder le scénario sur des évènements publics (non exclusivement divulgués lors d’un procès) assure a priori une sécurité aux producteurs, il leur faut toutefois penser à également se garder de tout risque de contrefaçon du droit d’auteur. Et ce risque existe dès lors que les emprunts faits aux sources documentaires par un scénariste dépassent la reprise de faits historiques avérés ou de formulations banales (TGI Paris, 26 novembre 2010, RG n° 09/14070, Affaire « Séraphine »). C’est pourquoi les producteurs ont d’une part intérêt à insérer dans leur contrat de commande de scénario une clause les garantissant contre la reprise non autorisée d’éléments caractéristiques originaux, sachant que cette clause de garantie ne saurait se limiter à la reprise de la formulation légale selon laquelle « l’auteur garantie au producteur l’exercice paisible des droits cédés » (article L. 132-26 du Code de la propriété intellectuelle), et exiger de l’auteur qu’il communique au producteur les sources utilisées pour lesquelles il faut s’assurer de droits, de sorte que la clarification des droits puisse être menée par ce dernier en toute connaissance de cause. La présence d’une telle clause est d’autant plus importante que les diffuseurs et autres partenaires financiers n’hésitent, quant à eux, pas à inscrire une clause de garantie dans les contrats qu’ils passent avec les producteurs. Enfin, les solutions variant largement en fonction de la casuistique et des projets de films, il est recommandé de faire intervenir un conseil spécialisé pour étudier les nécessités de clarification de manière précise.