Il faut revenir sur le texte de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 pour comprendre tout l’intérêt de la qualification juridique de Daily Motion. Selon l’article 6-1-7 de la LCEN, les hébergeurs ne sont pas soumis à une obligation générale de surveillance et n’ont pas d’obligation générale de recherche d’activités illicites sur les informations qu’elles transmettent ou stockent. Contrairement, les éditeurs de contenus sont tenus à une obligation de vérification et de surveillance du contenu qu’ils éditent.
La qualification juridique du statut de Daily Motion retenue par les juges est donc cruciale dans la mesure où elle permet d’exclure la responsabilité de Daily Motion dans la mise en ligne des contenus litigieux.
Les deux affaires concernaient la mise en ligne de vidéos contrefaisantes : la première mise en ligne rendait accessible plusieurs vidéos intitulées « Lafesse refait le trottoir » et « Les yeux dans Lafesse » ; et la seconde rendait accessible 32 vidéos contrefaisantes des DVD « le Service après vente et le spectacle Omar et Fred ».
Les demandeurs à l’instance réclamaient la reconnaissance de la responsabilité de Daily Motion en sa qualité d’éditeur de contenus, et à titre subsidiaire en sa qualité d’hébergeur. Pour justifier la qualité d’éditeur de contenus de Daily Motion les demanderesses ont adopté le même argumentaire, à savoir : le contrôle effectué sur les vidéos mises en ligne du fait du réencodage, la taille imposée des fichiers, l’architecture du site Internet et la présence de publicité constituent des choix éditoriaux justifiant le statut d’éditeur de contenu de Daily Motion.
Le Tribunal a rappelé la définition d’éditeur de contenu, « la personne qui détermine les contenus qui doivent être mis à la disposition du public sur le service qu’elle a créé ou dont elle a la charge », et les critères à remplir pour reconnaître la qualité d’éditeur de contenu pour conclure que Daily Motion n’est pas un éditeur de contenu mais un simple hébergeur.
Dans ces deux affaires le Tribunal a considéré que la qualification d’éditeur ne pouvait être retenue car :
l’éditeur détermine le contenu mis en ligne, or en l’espèce Daily Motion est contrainte par des considérations techniques écartant ainsi tout choix dans le contenu mis en ligne par le public ;
l’éditeur effectue des choix éditoriaux qui ne peuvent se limiter à l’organisation ou la structuration des fichiers mis en ligne ;
la communication d’espaces publicitaires ne constitue pas un choix éditorial et rien ne l’interdit dans la LCEN ;
le fait de pouvoir télécharger les fichiers mis en ligne ne constitue pas un contrôle du contenu au sens d’un choix éditorial.
Quant à la responsabilité de Daily Motion en sa qualité d’hébergeur, le Tribunal fait application de l’article 6-I-2 de la LCEN. Ce texte précise en effet que "les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible."
Aussi, le Tribunal considère que l’hébergeur ne peut être tenu responsable que pour autant qu’il ait eu une connaissance effective du caractère manifestement illicite des vidéos stockées ou de faits faisant apparaître ce caractère. La communication des documents justifiant la violation des droits des victimes fait donc naître sur l’hébergeur une nouvelle obligation de vérification des contenus argués de contrefaçon.
En l’espèce, le Tribunal a considéré que les victimes ont manqué à leur devoir de porter à la connaissance de l’hébergeur les droits qu’elles estiment bafoués, dans la mesure où elles se sont toujours refusées à lister avec précision les vidéos litigieuses. Toutefois, une fois cette précision apportée, le Tribunal tempère l’exclusion de responsabilité de l’hébergeur en rappelant qu’il se doit tout de même d’agir promptement et de retirer le contenu litigieux.
En résumé, les juges confirment ici à nouveau l’application du régime des hébergeurs aux plates-formes de partage de vidéos tout en leur rappelant leur devoir de vérification une fois que leur a été notifié et justifié le caractère contrefaisant de vidéos qu’ils hébergent. Il convient par ailleurs de noter que la communication d’espaces publicitaires ainsi que les revenus qui peuvent en découler, semblent devenir un critère inopérant, puisque les juges l’écartent pour déterminer si une entité a le statut d’hébergeur ou d’éditeur.
Ces décisions s’inscrivent donc dans la lignée des décisions antérieures et viennent rappeler le statut d’hébergeur des plateformes de partage de vidéos.
Déborah Journo
Avocat à la Cour
Cabinet August & Debouzy