Par une décision en date du 15 novembre 2012, le Tribunal administratif de Versailles vient de juger, au visa de l’article L. 720-5 du Code de commerce, soit sous le régime antérieur à la réforme de l’urbanisme commercial introduite par la LME, que :
« pour l’application de ces dispositions, ne peut être regardée comme la création d’un commerce soumis à autorisation, la reconstruction, au même emplacement, c’est-à-dire sur les mêmes parcelles de terrain, après démolition du bâtiment abritant un commerce n’ayant pas cessé d’être exploité pendant deux ans ou plus, d’un bâtiment destiné à recevoir un commerce de même nature et de même surface de vente ; qu’il en va de même lorsque la reconstruction du bâtiment s’accompagne de son extension à la double condition que, d’une part, il soit reconstruit au même emplacement pour recevoir un commerce de même nature et de même surface n’ayant pas cessé d’être exploité pendant deux ans et que, d’autre part, son extension ait fait l’objet d’une autorisation accordée par la commission d’équipement commercial ; qu’aux termes de l’article 23-2 du décret du 9 mars 1993 relatif à l’autorisation d’exploitation commerciale de certains magasins de commerce de détail et de certains établissements hôteliers, aux observatoires et aux commissions d’équipement commercial : « Lorsque la réalisation d’un projet autorisé en application de l’article L. 720-5 du Code de commerce est subordonnée à l’obtention d’un permis de construire, l’autorisation est périmée si une demande recevable de permis de construire n’est pas déposée dans un délai de deux ans à compter de la date fixée à l’alinéa précédent » ;
5. Considérant que, par décision du 7 février 2006, la commission nationale d’équipement commercial a autorisé la société requérante, qui exploite un hypermarché d’une surface de 2 990 m² sur le territoire de la commune de Carrières-sous-Poissy, à agrandir à concurrence de 2 010 m² la surface des ventes de cet hypermarché et à créer une galerie marchande attenante de 1 197 m² ; que cette autorisation n’était pas caduque à la date à laquelle a été présentée la demande de permis de construire à laquelle se rattachent les décisions en litige, dès lors que, conformément aux dispositions précitées de l’article 23-2 du décret du 9 mars 1993, cette demande, enregistrée le 18 janvier 2008, a été formée avant expiration du délai de deux ans suivant cette décision et qu’elle n’était pas incomplète ; que le projet sur lequel porte le permis de construire est relatif à la réalisation de l’extension ainsi autorisée et prévoit également une reconstruction après démolition du bâtiment existant ; qu’il n’est pas contesté que cette reconstruction est prévue sur les mêmes parcelles de terrain pour recevoir un commerce de même nature, à savoir un hypermarché, et de même surface de vente que celui autorisé antérieurement à l’autorisation d’extension ; que, dès lors, une nouvelle autorisation n’était pas nécessaire à la date à laquelle est intervenue la décision attaquée ; qu’ainsi, c’est par une inexacte application de la loi que le préfet des Yvelines a allongé le délai d’instruction en vue de permettre l’instruction d’une autorisation d’urbanisme commercial sur l’ensemble du projet, autorisation qui n’était pas requise en l’espèce, et qu’il a demandé à la société pétitionnaire de compléter le dossier en produisant copie de la lettre attestant que le dossier de demande auprès de la commission départementale d’équipement commercial était complet » (TA de Versailles 15 novembre 2012 SA Sodica Carrières, req. n° 0911179).
Bien que cette décision ne soit pas d’une profonde originalité, elle a néanmoins le mérite de rappeler la position du juge administratif quant au régime de la démolition suivie d’une reconstruction d’un équipement commercial au regard de la notion de « modification substantielle ».
Étant précisé que les décisions rendues dans des espèces semblables sont relativement rares.
Cette position du tribunal administratif de Versailles avait déjà été retenue par le tribunal administratif de Besançon qui avait jugé que :
« Considérant qu’il est constant que la surface de vente initiale de l’hypermarché exploité par la SCI Le Petit-Saint-Claude au lieu dit "La Gouille des Sauges" sur le territoire de la commune de Doubs est de 2.608 mètres carrés ; que lors de sa séance du 19 novembre 1997, la commission départementale d’équipement commercial du Doubs a accordé à M. GAGNEPAIN, exploitant, une autorisation d’étendre la surface de vente du magasin de 1.492 mètres carrés, portant ainsi la surface totale de vente autorisée de ce commerce à 4.100 mètres carrés ; que pour mettre en œuvre cette autorisation, la SCI du Petit-Saint-Claude a fait le choix de procéder à la démolition du bâtiment existant, puis à la construction d’un nouveau magasin d’une surface de vente totale de 4.100 mètres carrés, qui est l’objet du permis litigieux ;
Considérant d’autre part, que la construction du nouveau bâtiment s’effectue au même emplacement et sans modification de la nature du commerce ; qu’au surplus, la SCI du Petit-Saint-Claude soutient sans être contredite que l’ouverture au public doit intervenir moins de deux ans après la fermeture du magasin démoli ; que dès lors, cette construction ne saurait être regardée ni comme une construction nouvelle entraînant la création d’un magasin de commerce de détail au sens du 1° de l’article L. 451-5 du Code de l’urbanisme, ni comme une modification substantielle dans la nature du commerce ou des surfaces de vente au sens du 2ème alinéa du même article ; qu’ainsi, le préfet n’est pas fondé à soutenir que le permis de construire du 26 novembre 1998 a été délivré en méconnaissance de la législation relative à l’urbanisme commercial » (TA de Besançon 4 novembre 1999 Préfet du Doubs c/Commune de Doubs, req. n° 981834).
De même, le Conseil d’Etat avait retenu en référé que :
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Caen que le permis de construire accordé à la société LIDL par le maire de Saint-Pierre-sur-Dives a pour objet, après démolition du bâtiment abritant un commerce de détail à l’enseigne "Corsaire" de 464 m², la construction sur les mêmes parcelles d’un bâtiment destiné à recevoir un magasin à son enseigne de même surface de vente ; qu’en estimant, alors même que la construction nouvelle doit être implantée non sur la surface dégagée par le bâtiment démoli mais à la place de l’ancien parking, que le moyen tiré du défaut de délivrance préalable d’une autorisation d’exploitation commerciale n’était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité du permis de construire, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit » (CE 3 juin 2002 M. et Mme CALANVILLE M. et Mme LAIDET, req. n° 241313).
Bien qu’elles aient été rendues sous le régime antérieur à la réforme de l’urbanisme commercial introduite par la LME, ces décisions conservent, selon nous, toute leur portée.
En effet, il ressort des très rares décisions intervenues depuis l’entrée en vigueur de la loi LME, sur l’interprétation à donner à la notion de modification substantielle, que le juge administratif a conservé la méthode d’interprétation adoptée sous l’ancienne législation de l’équipement commercial.
Le Tribunal administratif de Melun a ainsi, au visa du nouvel article L. 752-1 du Code de commerce, jugé :
« Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que la commission départementale d’aménagement commercial de Seine-et-Marne a, par une décision du 1er octobre 2009, confirmée par la commission nationale d’aménagement commercial lors de sa séance du 4 février 2010, accordé à la SCI Le Tivoli l’autorisation de créer un ensemble commercial d’une surface de vente de 7 422,15 m² comprenant un hypermarché à l’enseigne « Intermarché » de 3 000 m² de surface de vente, une galerie marchande composée de 5 boutiques sur 462,15 m² de surface de vente, un centre auto d’une surface de vente de 380 m², un magasin non alimentaire de 730 m² de surface de vente, un magasin spécialisé dans l’équipement de la maison de 1 600 m² de surface de vente et un magasin spécialisé dans l’équipement de la personne de 1 250 m² de surface de vente ; que le projet modificatif litigieux, tel qu’il résulte du permis de construire du 30 septembre 2010 réduit la surface de vente de l’ensemble commercial de plus de 38% en la portant à 4 572,15 m² ; que cette diminution sensible de la surface de vente totale du projet autorisé correspond à la suppression des deux principaux magasins spécialisés, respectivement dans l’équipement de la maison et dans l’équipement de la personne, modifiant ainsi la nature de l’ensemble commercial tel qu’il a été autorisé ; que de tels changements par rapport au projet initialement autorisé en application des dispositions précitées des articles L. 752-1 et L. 752-22 du Code de commerce revêtent le caractère de modifications substantielles au sens des dispositions également précitées de l’article L. 752-15 du Code de commerce ; que, dès lors, le permis de construire du 30 septembre 2010 ne pouvait être délivré sans qu’eût été obtenue au préalable une modification de l’autorisation de la commission départementale d’aménagement commercial de Seine-et-Marne du 1er octobre 2009 ; qu’il suit de là que le permis de construire délivré le 30 septembre 2010 est illégal » (TA de Melun 24 mars 2011 Lochet et autres, req. n° 1008695/4).
Cette solution s’inscrit dans la droite ligne des décisions du Conseil d’État rendues sous l’empire de l’ancienne législation de l’urbanisme commercial (voir notamment : CE 13 mars 1996 Société SARI centres commerciaux, req. n° 127544 ; CE 20 mai 2005 SCI Bercy Village, req. n° 258061).
De même, s’inspirant de la décision « M. et Mme CALANVILLE M. et Mme LAIDET » susmentionnée qui a admis implicitement la possibilité de modifier légèrement l’emprise d’un équipement commercial, le tribunal administratif de Poitiers a considéré, sous l’empire de la nouvelle législation de l’urbanisme commercial, que :
« si le permis initial porte sur une SHON de 5 802 m² et le permis modificatif sur une SHON de 4 625 m², la surface de vente de 4 000 m² figurant dans la demande de permis modificatif est identique à celle pour laquelle l’autorisation de la commission départementale d’équipement commercial a été délivrée ; qu’enfin, il ne ressort aucunement des pièces du dossier un changement d’activité de commerce de détail ; que, par suite, le projet de permis modificatif, qui n’entrait dans aucune des hypothèses posées à l’article L. 752-1 du Code de commerce et énoncées ci-dessus, n’avait pas à être soumis à l’examen de la commission départementale d’équipement commercial » (TA de Poitiers 17 novembre 2011 Sté SEFER et autres, req. n° 0903011).
Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que l’appréciation de la modification substantielle devrait suivre la même logique que celle établie par le juge administratif sous l’empire de la législation de l’urbanisme commercial antérieure à la LME.