Les données du problème sont maintenant connues.
Depuis 2000, le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) a déclaré à plusieurs reprises que la réglementation française sur le forfait jours n’était pas conforme à la Charte sociale européenne.
À nouveau, par deux décisions du 23 juin 2010, le CEDS a décidé de faire droit aux réclamations collectives de la CFE-CGC et de la CGT, en estimant que le dispositif français du forfait jours n’était pas conforme à la Charte sociale européenne.
Aux termes de ces décisions (cf. Réclamation n°56/2009 de la CFE-CGC), le CEDS a indiqué que :
la durée du travail hebdomadaire autorisée dans le cadre du système du forfait jours (jusqu’à 78 heures en théorie) est excessive ;
la rémunération des heures supplémentaires est insuffisante ;
quant aux garanties juridiques offertes par le système de conventions collectives, elles sont, elles aussi, insuffisantes.
Dans son dernier rapport de décembre 2010, le CEDS réitère que le dispositif français du forfait jours est en contradiction avec les dispositions de la Charte sociale européenne.
C’est dans ce contexte que, pour la première fois, le 6 avril 2011, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a appelé « de ses vœux que la France fasse état, lors de la présentation du prochain rapport relatif aux dispositions pertinentes de la Charte sociale européenne révisée, de tout nouvel élément dans la mise en œuvre de la Charte sociale européenne révisée » (Résolution CM/ResChS(2011)5).
La position de la Haute Juridiction française sur la validité du forfait jours était donc très attendue, d’autant qu’elle avait l’opportunité, à l’occasion d’une affaire dans laquelle un cadre au forfait réclamait le paiement d’heures supplémentaires, de se saisir d’office de la question.
Ceci dit, les obstacles pour la Cour de cassation étaient nombreux. À commencer par la délicate question de l’applicabilité directe ou non de la Charte sociale européenne, le Conseil d’Etat pour sa part ne l’ayant pas admis (cf. notamment CE, 2 octobre 2009, n°301014 ; CE, 19 mars 2010, n°317.225 ; CE, 23 décembre 2010, n°335738).
Finalement, ce 29 juin 2011, la Cour de cassation ne s’est prononcée que sur la réclamation du salarié, sans remettre en cause la validité du dispositif même du forfait jours.
Ouf ! La tempête n’a pas eu lieu !
Le forfait jours est sauvé… en tout cas provisoirement !
Rappelons ici qu’en cas de remise en cause du dispositif du forfait jours, les conséquences en seraient particulièrement désastreuses pour les entreprises :
explosion des contentieux en demande de rappel d’heures supplémentaires, évidemment dans le cadre de la prescription quinquennale, mais y inclus les congés payés y afférents, ainsi que les indemnités représentatives de contreparties obligatoires en repos ;
explosion des contentieux en demande de rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur ;
explosion du risque de poursuites pénales contre les entreprises pour travail dissimulé.
Alors, mieux vaut prévenir que guérir et revoir dès aujourd’hui le dispositif du forfait jours.
D’autant que les propositions pour mieux encadrer ce dispositif ne manquent pas.
Il pourrait, d’abord, être envisagé de restreindre les catégories de salariés concernés par le forfait jours.
Pour rappel, aujourd’hui, pour 12 % des salariés à temps complet, le temps de travail est décompté sous forme d’un forfait en jours. Ce pourcentage grimpe à 29,5 % dans le secteur de l’information et la communication et à 27,4 % dans le secteur des activités financières et d’assurance (source : indicateurs Dares, Juin 2011, n°045).
Restreindre les catégories de salariés concernés par le forfait jours, ce serait peut être déjà dans certains cas si ce n’est redonner du sens au forfait jours, du moins faire taire les contestations.
Certains ont aussi émis l’idée de limiter la durée maximale du travail journalier et/ou hebdomadaire, au motif que travailler 78 heures par semaine, c’est beaucoup.
C’est une fausse bonne idée.
Déjà, ce n’est pas l’esprit du forfait jours que de comptabiliser les heures de travail.
Ensuite, le calcul de 78 heures de travail par semaine n’est que théorique.
Il repose sur le fait que les salariés concernés par un forfait jours ne sont légalement pas soumis à la durée légale hebdomadaire de 35 heures, à la durée maximale quotidienne de 10 heures, et aux durées maximales hebdomadaires de 44, 46 ou 48 heures.
De sorte que ne leur sont applicables que les dispositions relatives au repos quotidien (11 heures consécutives minimum), au repos hebdomadaire (35 heures consécutives, soit 24 heures + 11 heures consécutives) et à l’interdiction de travail plus de 6 jours par semaine.
Ainsi, le temps de travail théorique serait de : (24 x 7) – ((11 x 5 + 35)) = 78 heures.
Pourtant, en pratique, les cadres au forfait travaillent beaucoup moins.
Imposer des durées maximales de travail journalier ou hebdomadaire est donc une solution en contradiction avec la philosophie du forfait jours d’une part et la réalité de l’entreprise d’autre part.
Une autre possibilité pourrait être d’augmenter le repos journalier (c’est déjà le cas dans le secteur de la bourse par exemple où le repos quotidien ne peut, sauf situation exceptionnelle, être inférieur à 13 heures consécutives par jour) ou hebdomadaire.
Il pourrait aussi être envisagé d’abaisser le nombre maximal de jours travaillés (235 jours aujourd’hui à défaut de fixation par convention ou d’accord collectif).
S’agissant de l’entretien annuel individuel sur la charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise, l’articulation entre l’activité professionnelle, la vie personnelle et familiale et la rémunération du salarié (article L.3121-46 du Code du travail), il pourrait être proposé de le faire passer à deux, voir trois entretiens par an, d’en assurer le suivi, par exemple en ce qu’il donne lieu à un compte rendu écrit.
Enfin, alors qu’en application de l’article L.2323-29 du Code du travail, le Comité d’entreprise doit être consulté chaque année sur le recours aux conventions de forfait ainsi que sur les modalités de suivi de la charge de travail des salariés concernés, en revanche aucun texte n’exige la consultation du CHSCT.
Il pourrait donc être intéressant que le CHSCT intervienne dans ce dispositif du forfait jours, à une époque où l’on parle beaucoup d’obligation de sécurité de résultat de l’employeur et de risques psychosociaux.
Voir même le Médecin du travail. Beaucoup d’entres eux seraient d’ailleurs certainement intéressés.
Ainsi, sans condamner le recours au forfait jours, sans doute faut il plutôt chercher à mieux l’encadrer et notamment en associant les acteurs essentiels de la santé au travail que sont le CHSCT et le Médecin du travail.