Nullité du licenciement d’une salariée refusant de prêter serment en utilisant la formule «   je jure   » en raison de sa religion chrétienne.

Après l’hyper-médiatisée affaire Baby Loup, la chambre sociale de la Cour de cassation vient de nouveau, dans un arrêt du 1er février 2017 (n° 16-10459), de trancher en matière de discrimination du fait des convictions religieuses.

En effet, l’exercice de certaines professions (avocats, notaires, commissaires aux comptes, professions judiciaires, contrôleurs RATP ou SNCF, etc.) exige au préalable de prêter serment devant l’ordre judiciaire (tribunal d’instance, de grande instance ou cour d’appel) en utilisant, la plupart du temps, la formule consacrée « je jure… ».

En l’espèce, une salariée avait été engagée comme agent de contrôle par la RATP.

Son admission était toutefois subordonnée à l’obtention de son assermentation devant la première chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, comme l’exige l’article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer.

Cependant, lors de la cérémonie, la salariée avait refusé de prêter serment en utilisant la formule d’usage « je jure… », expliquant que sa religion, chrétienne, lui interdisait de jurer.

Elle proposait toutefois une formulation alternative, tout aussi solennelle : « je m’engage… ».

Le TGI a toutefois refusé de la prendre en compte et a fait inscrire au procès-verbal d’audience : « sa religion (chrétienne) lui interdit de prêter le serment prévu par la loi », « serment n’a donc pas été prêté ».

Quelques semaines plus tard, elle sera licenciée par la RATP pour faute grave, « au motif que son refus de prêter serment devant le juge l’a privée de l’assermentation à l’obtention de laquelle était contractuellement subordonnée son admission ».

La salariée a saisi le Conseil de prud’hommes de Paris, demandant à ce que son licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse.

Le Conseil, comme la cour d’appel, ont considéré que le licenciement de la salariée n’était pas abusif, l’assermentation étant indispensable à l’exercice de ses fonctions, et que la faute de cette dernière était caractérisée par le refus de se soumettre à la procédure exigée par l’autorité judiciaire, procédure sur laquelle l’employeur n’exerce d’ailleurs aucun contrôle ou pouvoir.

La Cour de cassation rend pourtant un verdict cinglant : le licenciement est nul, car discriminatoire en raison des convictions religieuses de l’intéressée.

Au visa de l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et de l’article L. 1132-1 du Code du travail, l’arrêt considère « qu’il résulte de l’article 23 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer que le serment des agents de surveillance exerçant au sein des entreprises visées par cette disposition peut être reçu selon les formes en usage dans leur religion ; il s’ensuit que la salariée n’avait commis aucune faute en proposant une telle formule et que le licenciement prononcé en raison des convictions religieuses de la salariée était nul ».

La Cour de cassation admet donc, de manière discrète, que la formulation « je jure... » revêt bien une connotation religieuse et que, dès lors que la loi de 1845 n’obligeait pas à utiliser expressément cette formule, libre à la salariée de proposer une autre formulation plus conforme à sa religion.

A cet égard, il faut s’interroger sur le point de savoir si la décision de la Cour de cassation aurait été la même dans l’hypothèse où la formule « je jure... » était expressément exigée par les textes régissant la profession, comme c’est notamment le cas pour les avocats.

Camille COLOMBO - Avocat au Barreau de Nantes
Cabinet Frédéric CHHUM
41, Quai de la Fosse 44000 Nantes
Tel : 02 28 44 26 44
colombo chez chhum-avocats.com

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