C’est au cours d’un déjeuner qu’Emmanuelle et Marie ont eu l’idée, sur le modèle de Paye ta schneck (dénonçant le harcèlement de rue), de « lancer une plateforme pour concentrer ces petites phrases du quotidien dans un lieu unique, et de permettre aux personnes de s’exprimer » explique Marie. « Nous étions parties du constat que depuis la rentrée, énormément de femmes, entre 30 et 35 ans, avec un enfant, ont quitté la profession, confirme Emmanuelle. Nous voulions nous attacher aux causes de ces départs, mais en lisant tous les témoignages, nous prenons la mesure du sexisme qui sévit. Nous sommes vraiment surprises du nombre de témoignages et de la violence de ce que l’on publie. »
Chaque jour, elles relaient des témoignages qui traduisent le sexisme ordinaire que subissent tous les jours les avocates – qui représentent, rappelons-le, 54% des membres de la profession. Remarques sur le physique, propos infantilisants, remise en cause de leurs compétences (basée sur le simple fait que ce sont des femmes), références systématiques à leur éventuelle (et gênante) maternité, difficultés à accéder au statut d’associé … Les clichés sexistes ont la peau dure, et la lecture, page après page, est édifiante.
Alors que ces comportements et propos peuvent paraître isolés, les rassembler prouve qu’ils sont omniprésents, dès l’école d’avocats jusque dans la vie professionnelle, et entretenus par tous les acteurs : associés, collaborateurs, mais aussi clients, experts … Jeunes comme moins jeunes, hommes comme femmes, car « des femmes aussi véhiculent ces clichés » souligne Marie.
Deux semaines après la création de la plateforme, leur démarche suscite de nombreuses réactions sur Twitter ou Facebook, signe qu’elles ont mis en lumière un élément majeur de la vie d’avocate. « Ces petits moments sont intériorisés mais récurrents. D’habitude, on traite cette question individuellement, mais elle n’était pas encore appréhendée au plan collectif. Et ça a un impact très fort. Je pense également qu’il y a une forme d’humour quand on lit les témoignages, qui paraissent parfois tellement incongrus que ça peut faire rire. On peut donc se moquer de ceux qui les prononcent. C’est une très bonne arme, de manière générale, pour souligner les comportements inacceptables. »
Dénoncer, sensibiliser, réagir
Si le premier objectif est de dénoncer un état de fait qui est souvent occulté ou difficile à évoquer, le deuxième est également de sensibiliser, notamment les hommes, à cette problématique. « Nous avons beau en parler aux collaborateurs, les sensibiliser, ils ne comprennent pas vraiment, explique Emmanuelle. Nous pratiquons la même activité, mais ils ne vivent pas du tout les mêmes choses. Il y a donc un but pédagogique : non seulement leurs comportements sont parfois inadmissibles, mais le fait qu’ils tolèrent ces propos et ne les trouvent pas grave renforce notre malaise et le fait que l’on ne puisse pas vraiment l’exprimer au quotidien. »
Mais tout ne semble pas perdu, car comme le souligne Marie, « parmi les personnes qui likent et relaient les témoignages, il y a effectivement une grande majorité de femmes, mais il y a aussi des jeunes hommes. Et ça me rend assez optimiste, car ça signifie que ça les scandalise et qu’ils sont complètement solidaires. »
Et du côté des instances représentatives ? Selon les barreaux, la question des discriminations envers les femmes peut être abordée, mais « le problème du sexisme en tant que tel n’a pas été traité, remarque Emmanuelle. Il pourrait par exemple exister une charte soulignant que les questions comme ‘Est-ce que vous voulez avoir des enfants ?’ ou ‘Qu’est-ce que j’ai retenu de votre CV ? Vous êtes charmante’ en entretien sont interdites. »
Créer un mouvement de solidarité est enfin un autre des objectifs. Se rassembler pour mieux lutter est en effet une stratégie indispensable pour commencer à éradiquer ce sexisme systémique, présent dans la vie de toutes les femmes. Car face aux multiples mobilisations qui apparaissent (comme les journalistes politiques ou collaboratrices d’élus), il devient difficile d’affirmer que ces comportements sont anecdotiques. « Pour l’instant nous sommes assez divisées parce que nous exerçons dans des endroits différents, de manière différente, mais ce réseau nous permet de nous unir et de dire ‘non, il faut que ça change’, confirme Emmanuelle. Nous ne pouvons pas être poussées vers la sortie par un système insidieux, avec des petites phrases quotidiennes qui nous rabaissent. Il faut réagir. »
Discussions en cours :
Bravo, la relève est prise. Et dire que certaines prennent "féministe" pour un gros mot.
Savez-vous que je me suis fait tancer par un bâtonnier parce que mon papier à en-tête portait "Avocate"..? J’ai tenu bon mais méfiez-vous des "Avocats, Directeurs etc..." en jupe, comme si d’emblée elles classaient les femmes dans une catégorie inférieure. Cela me rappelle une jeune Secrétaire d’Etat qui refusait d’être appelée Madame la.. "par respect pour la fonction"..
Concernant une exposition, au musée du barreau de Paris, sur « les femmes et la justice », les Affiches Parisiennes, très sérieux journal d’annonces légales, publie sur son site un article intitulé : « Les femmes, l’atout charme de la justice ». L’article est rédigé par une femme. Il est possible qu’elle n’ait pas choisi le titre.
Bon courage !
Sujet assez savoureux, dans une profession féminisée à 80%.... Décidément, on ne vit que de ses combats...