En matière de contentieux du transfert des étrangers, l’autorité administrative compétente, guidée par des problématiques qui lui sont propres : empressement, désengorgement, sûreté, aménage quotidiennement la règle de droit applicable.
C’est ce qui a conduit, le 14 mars 2017, la cour administrative d’appel de Douai (Préfet du Pas-de-Calais c. M. Jamel, n° 16DA01958), saisie à la demande de la Préfecture du Pas-de-Calais qui interjetait appel contre une décision du tribunal administratif de Lille [1], à saisir le CE pour avis sur les questions suivantes :
la préfecture peut-elle prendre et notifier à l’intéressé une mesure de transfert avant que l’État membre requis ait apporté une réponse explicite ou tacite sur ce transfert ?
la préfecture peut-elle se fonder (notamment avant d’avoir requis l’État supposé responsable de l’examen de la demande de protection), sur les dispositions du droit de l’Union pour procéder au placement en rétention administrative de la personne dublinée, alors que l’article L. 742-2 CEDESA [2] ne prévoit qu’une possible assignation à résidence ?
Le CE conclut à l’illégalité de ces deux pratiques. Il impose une obligation d’attendre la réponse de l’État responsable avant d’adopter la décision de transfert (1) et laisse entendre qu’une mesure de rétention administrative ne pourra intervenir avant l’adoption de cette décision non anticipée de transfert (2).
1. L’obligation d’attendre la réponse de l’État responsable avant d’adopter une décision de transfert.
Concrètement, la procédure encadrant le transfert du demandeur d’asile doit se dérouler comme suit :
lorsqu’une personne séjournant irrégulièrement en France est interpellée sur le sol d’un État membre, en l’occurrence la France, la Préfecture effectue un relevé de ses empreintes selon la procédure EURODAC [3] afin d’identifier si l’intéressé est demandeur d’asile. Dans l’affirmative, elle devra déterminer quel est l’État responsable de cette demande ;
la Préfecture, en application des critères prévus aux articles 20 à 24 du Règlement Dublin III, détermine l’État responsable de la demande d’asile ;
à ce stade, en principe, le Préfet interroge l’État responsable aux fins de savoir s’il accepte de prendre en charge le demandeur d’asile ;
à compter de l’acceptation de l’État interrogé, le préfet peut adopter une décision de transfert et l’exécuter.
L’article 26 du Règlement Dublin III prévoit précisément la chronologie de toutes ces opérations dès lors qu’il dispose que c’est « lorsque l’État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d’un demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d) » que « l’État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l’État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
La préfecture doit donc attendre la réponse de l’État responsable sur sa demande de prise ou de reprise en charge, avant de notifier à l’étranger sa décision de transfert. Or, en pratique, les autorités administratives françaises adoptent souvent une décision de transfert anticipée, c’est à dire sans attendre la réponse de l’État responsable avant de prendre la décision.
Ainsi, le jour même du relevé des empreintes EURODAC et de la procédure de détermination de l’État responsable, le préfet envoie la demande de réadmission et adopte concomitamment la décision de transfert de l’intéressé vers cet État.
Cette pratique pose un problème certain d’un point de vue juridique, dès lors qu’elle ne respecte pas la chronologie établie par le règlement Dublin III. C’est pourquoi, le CE a reconnu l’illégalité de cette pratique dans son récent avis.
En l’espèce, il était question d’un ressortissant irakien, interpellé à Calais. Les autorités ont consulté le fichier EURODAC et découvert que celui-ci avait séjourné irrégulièrement en Allemagne, premier État membre traversé par le requérant. Le préfet saisit alors les autorités allemandes d’une demande de réadmission, et le même jour, prend un arrêté de transfert, qu’il assorti d’une mesure de rétention administrative. Le TA, par un jugement du 23 septembre 2016, a annulé l’arrêté préfectoral, pour défaut de motivation, le requérant ayant également formé une demande d’asile en Italie. La préfecture a alors fait appel de ce jugement.
Le CE déclare que « pour pouvoir procéder au transfert d’un demandeur d’asile vers un autre État membre en mettant en œuvre ces dispositions du règlement, en en l’absence de dispositions du CESEDA organisant une procédure différente, l’autorité administrative doit obtenir l’accord de l’État responsable de l’examen de la demande d’asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d’aile vers cet État. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée l’intéressé, qu’après l’acceptation de la prise en charge par l’État requis ».
Désormais, les autorités administratives compétentes devront donc procéder différemment et attendre la décision de l’État responsable sur la demande de prise ou de reprise en charge avant d’adopter une décision de transfert.
Notons que la Cour de Justice de l’Union Européenne doit également se prononcer sur cette question. En effet, le tribunal administratif de Lille l’a saisie d’une question préjudicielle portant sur la légalité de la décision de transfert anticipée [4]. La réponse de la CJUE se fait toujours attendre, il est alors légitime de se demander si celle-ci, dans sa décision à venir, suivra le raisonnement de la juridiction suprême française ? Affaire à suivre….
Dans le même avis, le CE s’est également prononcé sur la pratique visant à assortir systématiquement la décision de transfert, d’une mesure de placement du demandeur d’asile en rétention administrative.
2. La rétention administrative d’un demandeur d’asile ne pourra intervenir avant l’adoption de cette décision non anticipée de transfert.
Une deuxième pratique des autorités administratives compétentes consiste à assortir ses décisions de transfert anticipées d’une mesure de rétention administrative, alors qu’une telle possibilité n’est pas prévue par le CESEDA, qui ne prévoit qu’une éventuelle assignation à résidence.
La CAA de Douai, dans sa saisine pour avis du CE, n’a pas manqué de soulever cette deuxième difficulté.
L’assignation à résidence consiste à maintenir l’intéressé à domicile, ou dans un lieu fixe. Celui-ci n’est alors pas libre de ses allers et retours. Il est vrai que les demandeurs d’asile, entrés illégalement sur le territoire, sont dans la très grande majorité des cas, dépourvus de tout logement. Pour autant, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas de domicile que l’assignation à résidence est impossible. En effet, dans ce cas précis c’est en réalité une assignation qui s’exécute au sein d’un centre d’hébergement et d’accueil des migrants.
Mais, dans un souci d’efficacité, les autorités compétentes assortissent leur mesure de transfert d’une rétention administrative, en la justifiant par le risque de fuite caractérisé. L’objectif est bien sûr d’assurer l’exécution de la décision de transfert qui ne peut avoir lieu si l’intéressé n’est plus localisable.
La décision de rétention administrative est alors prise sur le fondement des dispositions du Règlement Dublin III (article 28), qui prévoit cette possibilité dans le cas d’un risque non négligeable de fuite.
Dans ces conditions le CE a considéré que, si l’article 28 du Règlement Dublin III « permet aux Etats membres d’avoir recours au placement en rétention administrative (…) il résulte des dispositions précédemment citées de l’article L 742-2 du CESEDA que le législateur n’a pas entendu que l’autorité administrative puisse placer en rétention administrative le demandeur d’asile faisant l’objet d’une procédure de transfert avant l’intervention de la décision de transfert ».
La décision de transfert ne pouvant intervenir avant l’accord de l’État requis, il en résulte qu’« un placement en rétention administrative n’est susceptible d’être prononcé, sur le fondement de l’article L 551-1 du CESEDA qu’après la notification de la décision de transfert ».
Seule l’assignation à résidence est en conséquence possible à ce stade. Le placement en rétention administrative n’étant envisagé légalement qu’après la notification de la décision de transfert (article L.551-1).
Les conséquences pratiques de cet avis et son application par les autorités administratives compétentes – ainsi que les juridictions – ne sont pas encore connues.
La CJUE a récemment jugé que l’article 28, paragraphe 2 du règlement Dublin III, impose aux États membres « de fixer, dans une disposition contraignante de portée générale, les critères objectifs sur lesquels sont fondées les raisons de craindre la fuite » du demandeur d’asile qui fait l’objet d’une procédure de transfert. Elle précise qu’en l’absence d’une telle définition légale la mesure de rétention administrative est impossible [5] .
La position de la CJUE est claire : la rétention prévue par le règlement implique l’adoption de dispositions législatives en droit interne. Or, le législateur français n’a toujours pas défini la notion de risque de fuite concernant l’étranger transféré, rendant la pratique visant à procéder à des placements en rétention administrative avant la décision de transfert irrégulière.