Depuis 1977 [3] et jusqu’à présent, onze affaires ont été jugées par les instances strasbourgeoises [4].
Ainsi, plus de quarante ans après sa libéralisation en Europe, l’avortement reste un sujet de société très discuté. Les « pour » et les « contre » continuent d’agir par divers moyens et de diverses façons pour changer tant la législation que la pensée du public, des professionnels de santé et des hommes politiques sur le sujet. Néanmoins, assez souvent, ils sont empêchés, dissuadés, sanctionnés ou ils ne savent pas dans quelles limites ils peuvent exercer leur droit à la liberté d’expression sur ce sujet. En outre, si on regarde l’actualité, on observe que se trouvent dans cette situation surtout ceux qui sont défavorables à cette pratique [5].
Se pose alors la question de savoir si les discours sur l’avortement sont protégés par la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention » ci-après) et s’ils sont protégés de la même manière.
L’analyse des affaires relatives à la liberté d’expression et aux discours sur l’avortement permet d’affirmer que la Convention européenne des droits de l’homme protège les discours sur l’avortement (I.). Néanmoins, ces discours sont inégalement protégés par celle-ci (II.).
I. La Convention européenne des droits de l’homme protège les discours sur l’avortement
La Convention protège l’expression de la substance et de la forme de toute idée et information, si elle n’est pas susceptible de favoriser directement la violence (1.). L’avortement étant identifié par la Cour en tant que sujet d’intérêt public, il bénéficie d’une protection très élevée, équivalente à celle conféré au discours politique (2.). De ce fait, toute restriction apportée à l’expression sur ce sujet doit être établie de manière convaincante par les autorités nationales. La marge d’appréciation d’un État est plus large pour limiter l’exercice de la liberté d’expression, s’il s’agit de la protection d’un droit fondamental et/ou d’une question morale ou éthique (le droit à la vie de l’enfant à naître), et elle est plus restreinte si elle vise la protection des droits d’autrui (le droit à la protection de la personnalité des médecins) (3.).
1. La Convention protège la substance et la forme de toute idée et information
Le droit à la liberté d’expression comporte le droit à l’opinion et le droit à l’information, sans ingérence injustifiée de la part des autorités publiques.
En principe, sont protégées par la Convention toutes les idées et informations : « La liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique » [6]. Elle « interdit essentiellement à un gouvernement d’empêcher quelqu’un de recevoir des informations que d’autres aspirent ou peuvent consentir à lui fournir » [7].
Ne sont pas protégées par la Convention les discours qui sont « susceptibles de favoriser [directement] la violence » [8] et ceux qui incitent au rejet des principes de la démocratie [9]. Les discours qui « représentent un danger pour la société ne méritent pas d’être tolérés dans une société démocratique » [10], avait statué la Cour.
La Convention protège non seulement la substance des idées et informations exprimées, mais aussi la forme dans laquelle elles sont extériorisées [11], même si celle-ci est excessive [12]. Dès lors que l’exagération ou la provocation [13] n’impliquent pas une animosité ou une intention de nuire à la réputation d’un tiers, elles entrent sous la protection de la Convention.
2. Le débat sur l’avortement est un sujet « d’intérêt général » et il bénéficie de la plus haute protection
Comme l’a affirmé la Cour à plusieurs reprises, les discours sur l’avortement relèvent de « l’intérêt public » [14] et de ce fait ils bénéficient d’une très grande protection de la Convention [15]. Cette protection est équivalente à la protection du discours politique qui bénéficie de la plus haute protection par la Convention [16]. Cet aspect a une influence sur la possibilité pour l’État de limiter l’exercice de ce droit : « l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du débat sur des questions d’intérêt public » [17]. Plus le discours est protégé par la Convention, plus la marge d’appréciation de l’État pour limiter l’exercice de la liberté d’expression sera faible. La marge d’appréciation de l’État sera encore plus faible s’il s’agit non pas de la protection de la morale [18], mais de la protection des droits d’autrui, comme par exemple la protection des droits de la personnalité d’autrui.
3. Les restrictions à la liberté d’expression
La liberté d’expression n’est pas un droit absolu. La relation entre la liberté et la responsabilité [19], ainsi que la recherche du bien commun de la société et le respect de ses valeurs communes permettent à l’État de restreindre, antérieurement [20] ou postérieurement [21], l’exercice de la liberté d’expression en le soumettant à des formalités, des conditions, des restrictions ou des sanctions. Les raisons pour lesquelles cette liberté peut être limitée sont strictement énumérées à l’article 10 § 2 de la Convention. Néanmoins, la nécessité de toute restriction doit être établie de manière convaincante par les autorités nationales [22].
Généralement, le discours défavorable à l’avortement est limité pour protéger les droits d’autrui, assez souvent le droit à la protection de la personnalité des médecins qui le pratiquent. Très rarement, il est limité, dans le cadre de l’enseignement public, par le droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions. Dans ces cas, la marge d’appréciation de l’État est restreinte, car la raison de la restriction ne touche pas à une question sensible qui relève de la morale ou de l’éthique.
En revanche, le discours favorable à l’avortement se heurte principalement à la protection du droit à la vie de l’enfant à naître, le droit à la vie étant « une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe » [23] et un « attribut inaliénable de la personne humaine et qu’il forme la valeur suprême dans l’échelle des droits de l’homme » [24]. Parfois, ce discours entre en conflit avec la nécessité de la protection de la vie et de l’intégrité physique et morale de la femme [25]. Dans ces cas, s’agissant d’un droit fondamental et/ou d’une question morale, la marge d’appréciation de l’État est plus large pour limiter l’exercice de la liberté d’expression.
II. Les discours sur l’avortement sont inégalement protégés
L’examen des onze affaires relatives à la liberté d’expression sur l’avortement permet de constater, qu’en ordre chronologique, se sont adressés aux instances strasbourgeoises des requérants qui avaient exprimés leurs opinions favorables ou défavorables à l’avortement dans le cadre de leur travail [26], en tant que simple individus [27] ou en tant que militants [28]. En jugeant ces affaires, ces instances ont établi les principes applicables en la matière et ont développé la manière dont elles ont approché ces affaires. Ce corpus jurisprudentiel développé chronologiquement, ainsi que l’approche qu’elles ont employée, nous permettent d’affirmer que la protection des discours sur l’avortement est inégale. Cette inégalité est déterminée, d’une part, par la qualité de la personne qui s’exprime (employeur, employé, simple individu ou militant) et d’autre part, par le contenu du discours (favorable ou défavorable à l’avortement). Il suffit de considérer en ordre chronologique les quatre étapes du développement du corpus jurisprudentiel en la matière pour arriver à cette conclusion.
Ainsi, dans une première étape, l’ancienne Commission a établi que lorsque le discours sur l’avortement s’exprime dans le milieu du travail, qu’il soit en faveur ou en défaveur de l’avortement, le droit à la liberté d’expression de l’employeur-Église ou ayant une éthique spécifique et le droit des parents à éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses ou philosophiques prévalent sur le droit à la liberté d’expression de l’employé (1).
Ensuite, dans une deuxième étape, la même Commission, a précisé que lorsque des individus s’expriment contre l’avortement en des termes choquants et offensants, leur droit à la liberté d’expression est garanti, s’ils ne portent pas atteinte aux droits de la personnalité des médecins (2.).
Par la suite, dans une troisième étape, la Cour a statué que lorsque des militants s’expriment sur l’avortement, qu’ils soient en faveur ou en défaveur de l’avortement, s’ils le font dans le cadre d’un débat politique ou pendant une période préélectorale, ils bénéficient d’une protection renforcée. La Cour a également statué que les militants en faveur de l’avortement ont le droit de choisir les moyens les plus efficaces pour transmettre leur message, même si d’autres moyens existaient et étaient empruntés par les intéressés, d’autant plus s’il s’agit d’une activité symbolique de contestation législative. En outre, elle a établi le droit de ne pas être empêché de s’exprimer dans un espace public ouvert de par sa nature même.
En jugeant d’autres affaires relatives à la liberté d’expression, la Cour a renforcée la protection de l’expression si le discours est tenu par des groupes minoritaires. Ainsi, il convient d’observer qu’à l’occasion du jugement des affaires relatives au discours favorable à l’avortement, la Cour a pris le soin de développer sa jurisprudence vers une plus grande protection de la liberté d’expression et par là même le discours favorable à l’avortement. S’agissant toujours des militants, cette-fois-ci en défaveur de l’avortement, l’ancienne Commission a établi que les discours sur l’avortement peuvent s’exprimer également par une manifestation pacifique et l’État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour que la manifestation puisse se dérouler de façon pacifique (3.).
En revanche, dans une quatrième étape, force est de constater que, s’agissant des militants en défaveur de l’avortement, ils ont bénéficié partiellement de ces principes libéraux développés par la Cour dans les affaires précédentes concernant le discours favorable à l’avortement. Malheureusement, la Cour a continué à leur appliquer la jurisprudence de l’ancienne Commission, en estimant que leur discours peut s’exprimer en termes choquants et offensants, s’il ne porte pas atteinte aux droits de la personnalité des médecins. Elle a aussi décidé que leur discours peut avoir lieu aux alentours d’une clinique, s’il ne perturbe pas de manière sérieuse les médecins dans l’exercice de leur activité professionnelle légale. En outre, la Cour a jugé que l’expression en défaveur de l’avortement ne peut pas être détachée du contexte historique et social. Ainsi, dans un premier temps, la comparaison de l’avortement à l’Holocauste en Allemagne était considérée comme « une violation très sérieuse des droits de la personnalité du médecin ». Dans un deuxième temps, elle était jugée légitime pour sensibiliser le grand public sur le fait que ce qui est légale n’est pas toujours moral (4.).
En comparant l’approche adopté par la Cour pour trancher les affaires favorables à l’avortement et celles défavorables à l’avortement, on observe qu’elle n’était pas la même. De cette différence ressort clairement la volonté de la Cour d’accorder plus de protection au discours favorable à l’avortement, alors qu’elle accorde moins de protection au discours défavorable à cette pratique (5.).
A. La protection du discours sur l’avortement en fonction de la qualité de la personne qui s’exprime
1. Les discours sur l’avortement dans le milieu du travail
a) Le droit à l’éducation des parents prévaut sur la liberté d’expression d’un professeur sur l’avortement
X. c. Royaume-Uni [29] fut la première affaire jugée par l’ancienne Commission des droits de l’homme sur le sujet. Elle concerne le licenciement d’un enseignant d’une école secondaire publique chargé de classes d’anglais et de mathématique pour avoir, inter alia, porté sur ses vêtements et sa serviette des affichettes autocollantes portant des slogans religieux ou opposés à l’avortement. L’ancienne Commission a conclu dans cette affaire à la non-violation de l’article 10 de la Convention, en considérant que, dans une école laïque et vu le droit des parents au respect de leurs convictions religieuses et philosophiques, l’interdiction faite à un enseignant d’afficher à l’école ses convictions religieuses et morales était justifiée. L’ancienne Commission a également jugé qu’une telle sanction s’imposait dès lors que l’expression des convictions de l’enseignant prenait un tour offensant pour ses collègues femmes ou était de nature à perturber les enfants.
b) La liberté d’opinion et d’expression sur l’avortement de l’employeur-Église prévaut sur la liberté d’expression de son employé sur l’avortement
Dans l’affaire Rommelfanger c. République Fédérale d’Allemagne [30], l’ancienne Commission a conclu à la non-violation de la liberté d’expression du requérant. L’affaire concerne un médecin assistant, employé par un hôpital d’une fondation catholique, qui avait été licencié avec préavis pour avoir exprimé dans la presse son opinion en faveur de l’avortement. Il avait accepté librement, par son contrat de travail, un devoir de loyauté envers l’Église qui limitait jusqu’à un certain point sa liberté d’expression, sans le priver pour autant de la protection de l’article 10. L’ancienne Commission, en prenant en compte que le droit de l’Église d’imposer ses vues à ses employés n’était pas illimité, que les juridictions étaient compétentes pour s’assurer qu’aucune exigence excessive de loyauté ne soit imposée au requérant, a retenu que « l’obligation de s’abstenir de faire des déclarations sur l’avortement contraires aux positions de l’Église n’a pas été perçue comme une exigence excessive à cause de l’importance capitale de ce problème pour l’Église » [31].
Privilégier le droit à l’éducation des parents sur la liberté d’expression de l’employé, ainsi que le droit à la liberté d’opinion et d’expression de l’employeur-Église ou de l’organisation fondée sur des valeurs indispensables à l’accomplissement de ses fonctions, comme l’a fait l’ancienne Commission dans ces deux affaires, était justifié. D’abord, parce que la restriction du droit à la liberté d’expression des employés était fondée sur la protection d’autres droits fondamentaux qui, d’après la Convention, a priori, méritent la même protection [32]. Ensuite, parce que les circonstances particulières de ces affaires le demandaient. Dans l’affaire X. c’était notamment la nécessité pour les élèves d’une école laïque de recevoir une éducation conforme aux convictions de leurs parents et dans l’affaire Rommelfanger, le respect du principe de l’autonomie de l’Église et la circonstance que le requérant avait accepté librement par son contrat de travail un devoir de loyauté raisonnable qui limitait d’une certaine façon sa liberté d’expression.
De cette façon, le droit à la liberté d’expression sur l’avortement de l’employeur-Église ou organisation fondée sur une éthique spécifique est mieux protégé que celui de l’employé.
2. Les discours sur l’avortement tenu par des individus
Le discours sur l’avortement peut s’exprimer en termes choquants et offensants, s’il ne porte pas atteinte aux droits de la personnalité des médecins.
Dans un deuxième temps, l’ancienne Commission a jugé deux affaires dans lesquelles des individus se sont exprimés de manières diverses contre la pratique de l’avortement par des médecins [33]. Leur intention n’était pas seulement d’attirer l’attention du public et des hommes politiques sur la nocivité de l’avortement pour la femme et l’enfant à naître. Elle était aussi de convaincre les médecins respectifs de renoncer à cette pratique et les femmes de renoncer à avorter. Leur but n’était pas de nuire à la réputation des médecins, comme ont considéré les tribunaux internes. Et pourtant, les instances strasbourgeoises, en confirmant leurs sanctions, n’ont pas privilégié leur droit à la liberté d’expression, mais le droit à la réputation des médecins.
Ainsi, dans l’affaire D.F. c. Autriche [34], un requérant avait réagi à un article publié par un médecin gynécologue sur les indications médicales de la pilule RU486 en envoyant des lettres aux médecins et particuliers de sa région. Dans cette lettre il appelait le médecin concerné « partisan des homicides » et « combattant pour la pilule de mort ». Il fut condamné pour diffamation à une amende de 4 800 AS.
Jugeant l’affaire, la Commission a conclu à la non violation de l’article 10. Tout en reconnaissant la protection de la liberté d’expression s’agissant d’un sujet d’intérêt général, la Commission a donné plus de poids à la nature dépréciative des affirmations, à l’abaissement du médecin aux yeux de ses lecteurs, ainsi qu’aux mots et au moyen de la diffusion utilisés par le requérant. Elle a considéré que l’intérêt du requérant de critiquer le médecin, la pilule RU486 et ses applications ne l’emportaient pas sur les droits des tiers d’avoir leur réputation protégée.
Dans l’affaire Van Den Dungen c. Pays-Bas [35], le requérant menait des discussions, distribuait des tracts et exposait des photos agrandies avec des fœtus avortés aux abords d’une clinique pratiquant des IVG. A la demande de la fondation qui administrait la clinique, les tribunaux internes ont prononcé une injonction contre le requérant lui interdisant de s’approcher à 250m de la clinique pendant une période de six mois. Analysant l’affaire sous l’angle de l’article 10 de la Convention, compte tenu du fait que le but du requérant était plutôt de dissuader les femmes de se faire avorter que d’exprimer ses convictions, la Commission a conclu à la non-violation de cet article. Elle a examiné l’ingérence dans le droit du requérant à la lumière de l’ensemble de l’affaire et a estimé que les motifs avancés par les autorités étaient « pertinents et suffisants ». Elle a observé que la durée de l’ingérence était limitée et la zone restreinte bien précisée et que ces mesures n’avaient pas comme but de priver le requérant de ses droits à la liberté d’expression, mais seulement de les restreindre pour la protection des droits d’autrui.
D’après la Convention, quel que soit le contenu et la forme qu’il prend, le discours sur l’avortement peut s’exprimer en termes qui choquent, heurtent ou inquiètent [36], s’il n’est pas susceptible de favoriser directement la violence et s’il n’implique pas une animosité ou une intention de nuire à la réputation d’un tiers. Néanmoins, appeler un médecin « partisan des homicides » et « combattant pour la pilule de mort » [37], ainsi que les discussions, la distribution des tracts et l’exposition des photos agrandies avec des fœtus avortés aux abords d’une clinique ont été considérés par l’ancienne Commission comme offensantes pour les médecins respectifs et portant atteinte à leurs droits de la personnalité.
Protéger la réputation des médecins est louable. Néanmoins, privilégier un tel droit en instituant un droit à ne pas être offensé est très dangereux pour une société démocratique, car il permettra la mise en place d’un mécanisme de censure de toute opinion contraire sur des critères subjectifs et finalement rendra « théorique et illusoire » [38] un droit fondamental.
3. Les discours sur l’avortement tenus par les militants
Par la suite, la Cour a jugé deux affaires concernant les militants défavorables à l’avortement [39] et deux autres concernant les militants favorables à cette pratique [40]. Dans trois de ces affaires elle a conclu à la violation de la Convention. Elle a estimé que le discours défavorable à l’avortement exprimé par une militante dans le cadre d’un débat politique ou pendant une période préélectorale bénéficie d’une protection renforcée. De même, si le discours est tenu par des groupes minoritaires.
Pareillement, pour le discours favorable à l’avortement tenu par des associations militantes qui remettaient en cause la loi existante. Dans ces deux dernières affaires, concernant le discours favorable à l’avortement, elle a établi des principes très libéraux concernant la liberté d’expression, notamment le droit quasi absolu de choisir les moyens d’expression les plus efficaces et le droit de ne pas être empêché de s’exprimer dans un espace public ouvert de par sa nature même. Dans une affaire concernant le discours défavorable à l’avortement tenu par des associations militantes, l’ancienne Commission a établi les principes relatifs à la liberté de manifestation pacifique et les obligations positives de l’État sur ce terrain, principes qui sont toujours valables.
a) Les discours sur l’avortement exprimés dans le cadre d’un débat politique ou pendant une période préélectorale bénéficie d’une protection renforcée
Dans l’affaire Bowman c. Royaume-Uni [41], la Cour a conclu à une violation de l’article 10 de la Convention constatant qu’une disposition de la loi électorale empêchait la requérante de manière absolue de publier des informations la soumettant à une sanction pénale [42]. Cette affaire concernait la condamnation au pénal d’une militante contre l’avortement et la recherche sur l’embryon humain pour avoir distribué des tracts en période préélectorale, par lesquels elle voulait montrer quelle était la position des candidats sur l’avortement.
Pour arriver à cette conclusion, la Cour a pris en compte les éléments suivants :
- le type du discours : l’importance du débat politique surtout en période préélectorale (l’interdépendance et le renforcement entre la liberté d’expression et les élections libres) ;
- la nature de la sanction : le faible montant fixé pour les dépens ;
- la durée de la restriction qui s’appliquait pendant 4 à 6 semaines précédant l’élection ;
- l’importance du moment de l’expression pour l’efficacité de la transmission du message - la période préélectorale -, la Cour appréciant que même si la requérante pouvait faire campagne à un autre moment, cela n’aurait pas servi l’objectif qu’elle visait en publiant les tracts, car pendant cette période critique, l’esprit des électeurs était centré sur le choix d’un représentant ;
- l’impossibilité d’accès de la requérante a d’autre modes efficaces de communication ;
- le caractère absolu de l’obstacle légal.
A cette occasion la Cour a établi que si le discours sur l’avortement, qu’il soit favorable ou défavorable à cette pratique, a lieu dans le cadre d’un débat politique, surtout pendant une période (pré)électorale, ce discours est fortement protégé [43].
b) Le discours favorable à l’avortement peut s’exprimer même si les informations ou idées heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population, une interdiction absolue de leur communication ne pouvant pas se justifier
Dans l’affaire Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande [44] la Cour a conclu, par 15 voix contre 8, à la violation de l’article 10 de la Convention. Cette affaire concerne l’interdiction prononcée par la Cour suprême de l’Irlande contre les requérantes de fournir aux femmes enceintes des services de consultation et d’information spécifiques qui impliquait aussi l’organisation de voyages et de séjours dans les cliniques étrangères pour subir un avortement.
En examinant l’affaire, la Cour de Strasbourg a admis que l’interdiction faite aux requérantes poursuivait le but légitime de la protection de la morale, dont la défense du droit constitutionnel à la vie de l’enfant à naître constitue un aspect [45]. En même temps elle a dénié les autres buts invoqués par les autorités, à savoir la défense de l’ordre, la protection des droits d’autrui (de l’enfant à naître et de son père) et la prévention du crime.
Ensuite, elle a affirmé que « la liberté d’expression vaut aussi pour les informations ou idées qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » [46]. Par la suite, en prenant en compte le droit irlandais et l’attitude des autorités, la nature, l’étendue, l’efficacité et les conséquences de l’interdiction, le moyen de diffusion, le public visé et l’existence dans l’espace public de l’information, elle a considéré que cette interdiction était disproportionné. Alors que la question relevait d’un domaine qui touche à des valeurs morales profondes, la Cour a diminué significativement la large marge d’appréciation dont bénéficiait l’État.
Concernant le droit irlandais et l’attitude des autorités, la Cour a noté que le droit irlandais ne punissait pas pénalement une femme enceinte qui se rend à l’étranger pour subir un avortement et que les autorités avaient toléré ou qu’elles continuent de tolérer les activités litigieuses. Pour ce qui est de l’injonction, elle a estimé qu’elle réduisait la liberté de recevoir ou de communiquer des informations sur des services licites à l’étranger, qu’elle était rédigée de manière trop large et disproportionnée et qu’elle avait un caractère absolu, car elle ne tenait pas compte de l’âge, de l’état de santé des femmes et de leurs raisons de solliciter ces informations.
Pour ce qui était de son efficacité, la Cour a estimé que l’injonction était peu efficace pour sauvegarder le droit à la vie de l’enfant à naître et qu’elle avait créé un risque pour la santé des femmes, notamment pour les femmes pauvres ou pas assez éduquées, car faute de conseils appropriés, elles cherchaient à avoir un avortement à un stade plus avancé de la grossesse et elles ne recouraient pas à des soins post avortement. Relativement à l’information, la Cour a observé que les associations se bornaient à expliquer les solutions existantes, la décision appartenant à la mère, aucun lien ne pouvant être établi entre la fourniture de l’information et la destruction d’une vie à naître. Elle a noté également que les informations n’étaient pas diffusées dans le public en général et qu’elles figuraient déjà ailleurs dans d’autres sources en Irlande (comme les revues, les annuaires téléphoniques, les personnes ayant des contacts en Grande Bretagne).
La solution de la Cour dans cette affaire est surprenante. D’autant plus qu’elle a procédé, sans précèdent, à une analyse très approfondie de l’affaire, en plaçant la sanction subie par les requérantes dans le contexte général en Irlande et en allant jusqu’à juger de l’efficacité concrète de cette sanction sur la défense du droit à la vie de l’enfant à naître et de la nécessité de ces informations pour la santé des femmes. D’une part, elle constate que la sanction ne visait pas une interdiction, mais juste une limitation de la communication d’information, car l’Irlande avait toléré la circulation d’une telle information sur son territoire. Elle note également que l’Irlande n’avait aucunement limité le débat sur l’avortement en général, ni la possibilité des femmes d’aller à l’étranger pour y subir un avortement.
D’une autre, elle qualifie la sanction d’absolue, de large et disproportionnée, d’inefficace pour la protection de la vie de l’enfant à naître et de dangereuse pour la santé des femmes, sans aucune preuve à l’appui. En outre, dans son examen sur la proportionnalité de la sanction, si la Cour a bien creusé la question de l’interdiction subie par les requérantes, elle n’a accordé aucun poids au droit constitutionnel à la vie de l’enfant à naître - valeur primordiale protégée aussi par la Convention - qui justifiait une telle limitation de l’exercice du droit à la liberté d’expression. Elle a estimé, encore une fois sans preuve à l’appui, que les requérantes, par la dispense de cette information, n’encourageaient pas l’avortement, alors que leur but déclaré était précisément de fournir des renseignements aux femmes enceintes sur les possibilités d’avorter à l’étranger et d’organiser leur voyage dans cet objectif.
c) Toute personne a le droit de choisir les moyens les plus efficaces pour transmettre son message, d’autant plus s’il s’agit d’une activité symbolique de contestation législative
Dans l’affaire Women on Waves et autres c. Portugal, relative à la contestation de la législation interdisant l’avortement au Portugal, la Cour a conclu à la violation de l’article 10.
Cette requête concerne une association néerlandaise et deux associations portugaises qui ont comme but de « promouvoir le débat sur les droits reproductifs », notamment d’œuvrer en faveur de la dépénalisation de l’avortement au Portugal. La première requérante a affrété un navire pour se rendre d’Amsterdam au port portugais de Figueira da Foz pour organiser sur place, pendant deux jours, au bord du navire, des réunions, des séminaires et des ateliers pratiques en matière de prévention de maladies sexuellement transmissibles, de planning familial et de dépénalisation de l’avortement et de la distribution de la pilule abortive RU486, interdite à l’époque au Portugal par le Code pénal. Alors que le navire s’approchait des eaux territoriales portugaises, le secrétaire d’État à la Mer rendit un arrêté ministériel lui interdisant d’y entrer.
Pour arriver à ce constat de violation dans cette affaire, la Cour a établi un véritable droit de choisir les moyens les plus efficaces pour transmettre son message, considérant que les requérantes, en raison de l’interdiction, n’ont pas été en mesure de communiquer leurs idées et informations par le moyen qu’elles estimaient le plus efficace : « [Les intéressés] doivent être en mesure de pouvoir choisir, sans interférences déraisonnables des autorités, le mode qu’ils estiment le plus efficace pour atteindre un maximum de personnes » [47].
Tout en observant qu’elles ont pu descendre à terre et organiser des réunions pour faire valoir leur opposition à la loi, la Cour a statué que, lorsqu’il s’agit des idées qui choquent, qui heurtent et qui remettent en cause l’ordre établi et lorsqu’il s’agit d’une activité symbolique de contestation législative, le mode de diffusion peut revêtir une telle importance que sa restriction peut affecter de manière essentielle la substance des idées et des informations en cause [48] : « c’est justement lorsqu’on présente des idées qui heurtent, choquent et contestent l’ordre établi que la liberté d’expression est la plus précieuse » [49]. En outre, la Cour a décidé qu’une « mesure aussi radicale produit immanquablement un effet dissuasif non seulement à l’égard des requérants, mais également à l’égard d’autres personnes souhaitant communiquer des informations et des idées contestant l’ordre établi » [50].
Dans la même affaire, la Cour a établi l’obligation de l’État de ne pas empêcher l’expression sur l’avortement dans un « espace public ouvert de par sa nature même » [51].
Ensuite, s’agissant de l’acte répréhensible que les autorités voulaient empêcher, à savoir la distribution illégale de la pilule RU486, la Cour a estimé que rien ne prouvait que telle était l’intention des requérantes et qu’en tout état de cause, les autorités disposaient des moyens moins attentatoires à la liberté d’expression des requérantes pour atteindre les buts légitimes poursuivis (la saisine des pilules, par exemple) que le recours à une interdiction, mesure qui a eu également un effet dissuasif non seulement à l’égard des requérantes, mais aussi à l’égard d’autres personnes souhaitant contester l’ordre établi.
c) Les discours sur l’avortement exprimés par des militants et des groupes minoritaires bénéficient d’une protection renforcée
Par la suite, dans des affaires qui ne concernaient pas le discours sur l’avortement, la Cour a consolidé, par sa jurisprudence, la protection du discours militant ; ce qui permet d’affirmer que, si l’expression des opinions ou convictions sur l’avortement prend la forme d’un discours militant, il bénéficie d’un degré renforcé de protection [52]. Pareillement, si le discours est tenu par une association : « lorsqu’une ONG appelle l’attention de l’opinion sur des sujets d’intérêt public elle exerce un rôle de chien de garde public semblable par son importance à celui de la presse » [53].
A plusieurs reprises, la Cour a également affirmé que les opinions impopulaires ou minoritaires bénéficient de plus de protection, car elles sont le plus souvent « stigmatisées » [54]. Elle a aussi établi que l’exercice d’un droit garanti par la Convention par un groupe minoritaire ne peut pas être conditionné par l’acceptation de la majorité [55] et que dans une société démocratique, les idées ou discours minoritaires doivent être tolérés [56]. Ainsi, comme le discours défavorable à l’avortement est un discours minoritaire et considéré parfois assez impopulaire, il doit être toléré et en principe il doit bénéficier de plus de protection que le discours favorable à l’avortement.
d) Les discours sur l’avortement peuvent s’exprimer par une manifestation pacifique et l’État doit prendre toutes les mesures nécessaires pour que la manifestation puisse se dérouler de façon pacifique
En prolongement de la liberté d’expression se situe la liberté de réunion pacifique garantie par l’article 11 de la Convention. Sont protégés par article 11 de la Convention la « libre expression par la parole, le geste ou même le silence, des opinions de personnes réunies dans la rue ou en d’autres lieux publics » [57], ainsi que « les manifestations susceptibles de heurter ou mécontenter des éléments hostiles aux idées ou revendications qu’elles veulent promouvoir » [58].
Peuvent justifier la restriction de la liberté de manifestation seulement « l’incitation à la violence ou le rejet des principes démocratiques » [59], « le risque accru de violence », « une menace évidente et un danger imminent de violence » [60] ou le fait que l’intéressé commet, à cette occasion, « un acte répréhensible » [61] . « Les circonstances « particulières de lieux et de temps […] changeraient de manière non-équivoque la signification de certains symboles », au point de relever de « l’apologie de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide » [62].
La simple « éventualité de tensions et d’échanges agressifs entre des groupes opposés pendant une manifestation » ne justifie pas une interdiction, car une telle société « se caractériserait par l’impossibilité de prendre connaissance de différents points de vue » [63]. Pareillement, « le malaise » [64] ou « les sentiments populaires » [65], tout comme le « ressentiment et l’indignation » d’autrui ne suffisent pas à justifier l’interdiction d’un symbole », en l’absence de toute intimidation [66].
Dans l’affaire Plattform Arzte fur das Leben c. Autriche [67] ;, concernant deux manifestations d’une association de médecins opposés à l’avortement, la Cour a établi que « le droit à la liberté de réunion pacifique est garanti à quiconque a l’intention d’organiser une manifestation pacifique » [68].
Dans la même affaire, la Cour a statué que la Convention oblige les États à prendre des mesures raisonnables et appropriées afin de prévoir une certaine protection pour que la manifestation puisse se dérouler de façon pacifique. Ces mesures ne peuvent pas empêcher les contre-manifestations, mais le droit de contre-manifester ne saurait pas aller jusqu’à paralyser l’exercice du droit de manifester [69].
4. Le discours défavorable à l’avortement tenu par des individus militants
Force est de constater que les principes libéraux développés par la Cour dans les affaires concernant le discours favorable à l’avortement n’étaient que partiellement appliqués par la suite dans les affaires concernant des militants qui s’exprimaient contre l’avortement. Il s’agit des affaires introduites par Klaus Günter Annen, seul ou avec Collene Hoffer [70].
Klaus Günter Annen, a introduit quatre affaires à la Cour, car il fut puni plusieurs fois pour avoir exprimé son opinion contre l’avortement. Dans ses trois premières affaires [71], la Cour n’a pas trouvé de violation de la Convention, à la différence de la dernière [72].
Concernant les premières deux affaires [73], le requérant avait distribué près d’un cabinet médical un tract dans lequel il affirmait qu’un médecin (Dr. K.) pratiquait des avortements illégaux, tout en mentionnant le nom et l’adresse professionnelle du médecin. Il fut condamné à ne plus affirmer ou distribuer cette information. Un an après, il avait manifesté et abordé les passants et les clients potentiels du médecin en portant un poster sur lequel il était écrit d’un côté « l’avortement tue les enfants non nés » et d’un autre « ’Tu ne tueras pas’ est aussi valable pour les médecins ». Il fut condamné à ne plus s’adresser aux passants ni aux clients sur un certain périmètre près du cabinet médical et à ne plus indiquer que le médecin pratiquait des avortements.
Analysant les sanctions, les motifs invoqués par les autorités, le contenu des affirmations du requérant et la mise en balance des divers droits par les tribunaux, la Cour a déclaré l’affaire irrecevable. La Cour a retenu que l’ingérence dans le droit du requérant à la liberté d’expression était relativement réduite car il n’était pas sujet à des sanctions pénales et n’était pas condamné à révoquer ses affirmations : il était condamné à ne pas répéter certaines affirmations relatives aux activités professionnelles du médecin et à ne plus s’adresser aux passants dans les alentours du cabinet médical.
Quant aux motifs invoqués par les autorités, la Cour a observé que, s’agissant de la première injonction, les tribunaux ont jugé que l’affirmation du requérant suggérait que l’activité du médecin était illégale et qu’elle avait mis le médecin K au pilori sans raison. Relativement à la deuxième injonction, la Cour a observé que les tribunaux, tout en indiquant la mise au pilori du médecin, ont jugé qu’en s’adressant aux passants et aux potentiels patients en les informant sur la pratique de l’avortement du médecin, le requérant avait perturbé de manière sérieuse l’exercice des activités professionnelles légales du médecin, lequel servait un intérêt de santé public.
Pour ce qui est du contenu des affirmations du requérant, s’agissant de la première injonction, la Cour a estimé que l’affirmation du requérant relative au fait que le médecin pratiquait des avortements illégaux était juste du point de vue juridique, mais pas du point de vue de la perception d’une personne moyenne. S’agissant de la deuxième injonction, la Cour a constaté que l’affirmation du requérant selon laquelle le médecin pratiquait des avortements était correcte, mais que les tribunaux ont mis l’accent sur le contexte dans lequel elle était faite : aux alentours de la clinique, en perturbant ainsi l’activité professionnelle du médecin.
La Cour a retenu en outre que les tribunaux avaient mis en balance correctement les différents droits en jeu, en privilégiant les droits du médecin compte tenu du fait qu’il n’avait pas pris part au débat ouvert par le requérant et qu’il n’a pas donné au requérant des raisons pour le singulariser. Finalement, la Cour a observé que le requérant n’était pas empêché de critiquer de manière générale la pratique de l’avortement en Allemagne ou par le médecin.
A une autre occasion [74], avec Collene Hoffer, il avait distribué aux passants, en face d’un centre médical, un tract de 4 pages contre l’avortement dans lequel il mentionnait inter alia : Dr. F. « spécialiste en meurtre des enfants à naître ». Sur la dernière page du tract il affirmait : « Hier : Holocauste, aujourd’hui : Bébéscauste ». Ils furent condamnés pour diffamation au paiement d’une amende de 150 et 100 euros respectivement. Examinant l’affaire, la Cour a considéré que la sanction pénale infligée aux requérants était relativement modeste. Tout en affirmant, avec les tribunaux internes, qu’il s’agissait d’un sujet d’intérêt public et qu’il poursuivait un but politique faisant usage de l’exagération et du criticisme polémique, la Cour a estimé que la comparaison entre la pratique de l’avortement et l’homicide en masse commis pendant l’Holocauste lésait gravement les droits de la personnalité du médecin et que les requérants pouvaient exprimer leur critique d’une manière moins préjudiciable pour l’honneur du médecin.
Quelques années plus tard [75], Klaus Günter Annen distribua dans les boîtes aux lettres des tracts contre l’avortement aux alentours des cliniques gérées par deux médecins (Dr. M et R). Le tract affirmait d’une manière plus ou moins ambiguë que les deux médecins pratiquaient des avortements illégaux [76], comparait la pratique des avortements à l’Holocauste [77] et indiquait sur sa dernière page l’adresse de son site internet, « www.babycaust.de ». Son site internet contenait, inter alia, une liste des « médecins avorteurs » et leurs adresses professionnelles. Il fut condamné à ne plus distribuer son tract et à ne plus publier sur son site internet la liste avec les adresses professionnelles des « médecins-avorteurs ».
Le 26 novembre 2015, jugeant l’affaire, la Cour a conclu à la violation du droit du requérant à la liberté d’expression. S’agissant de l’interdiction de distribuer des tracts, elle a considéré que le requérant avait le droit de choisir le moyen le plus efficace pour sa campagne et que la seule référence à l’Holocauste était un moyen pour sensibiliser le grand public sur le fait que ce qui est légal n’est pas toujours moral. Quant à l’interdiction de ne plus mentionner les noms et l’adresse professionnelle des « médecins avorteurs » sur son site, la cinquième section a sanctionné l’absence des preuves et de raisonnement des tribunaux à l’appui de leur conclusion. Ainsi, la Cour a proposé aux tribunaux des standards très concrets d’analyse afin de procéder à un examen individuel et contextuel des affaires de ce type.
a) Le discours sur l’avortement peut s’exprimer en termes choquants et offensants, s’il ne porte pas gravement atteinte aux droits de la personnalité des médecins et s’il ne perturbe pas de manière sérieuse leur activité professionnelle
Jusqu’en 2015, dans toutes ces affaires, la Cour a confirmé les sanctions prises par les tribunaux internes. En adoptant cette approche, la Cour a confirmé la jurisprudence de l’ancienne Commission en la matière, en rappelant que le discours défavorable à l’avortement peut s’exprimer en termes choquants et offensants, s’il ne porte pas atteinte aux droits de la personnalité des médecins. Elle a décidé également que ce discours peut avoir lieu aux alentours d’une clinique, s’il ne perturbe pas de manière sérieuse les médecins dans l’exercice de leur activité professionnelle légale [78].
Or, d’après la jurisprudence constante de Strasbourg en la matière, le discours (y compris celui sur l’avortement) peut s’exprimer s’il n’est pas susceptible de favoriser directement la violence et s’il n’implique pas une animosité ou une intention de nuire à la réputation d’un tiers. Néanmoins, porter un poster sur lequel il est écrit, d’un côté, « l’avortement tue les enfants non nés » et de l’autre, « ’Tu ne tueras pas’ est aussi valable pour les médecins » [79], indiquer sur un tract que le médecin F. est « spécialiste en meurtre des enfants à naître » et affirmer sur le même tract « Hier : Holocauste, aujourd’hui : Bébéscauste » [80] ont été considérés par la Cour de Strasbourg comme offensantes pour les médecins respectifs.
Cette dernière interprétation de la Convention était atténuée en 2015, à l’occasion du jugement de la quatrième affaire Annen, car la Cour a rappelé que « l’attaque à la réputation personnelle doit atteindre un certain niveau de gravité et avoir été effectuée de manière à causer un préjudice à la jouissance personnelle du droit au respect de la vie privée » [81] et qu’entre l’expression du requérant et le prétendu dommage des médecins il doit y avoir un lien de causalité [82].
b) Les discours sur l’avortement ne peuvent pas être détachés du contexte historique et social - la référence à l’Holocauste est légitime pour sensibiliser le grand public que ce qui est légal n’est pas toujours moral
S’agissant de la comparaison de l’avortement à l’Holocauste, dans un premier temps, en 2011, dans l’affaire Hoffer et Annen c. Allemagne, la Cour a apprécié qu’elle ne pouvait pas être détachée du contexte historique et social dans lequel elle a été employée, de l’Allemagne [83]. Elle a jugé également que l’usage de cette comparaison était « une violation très sérieuse des droits de la personnalité du médecin » [84].
Cette appréciation de la Cour était très contestable. Quelques années auparavant, en 2004, dans une affaire contre l’Autriche, elle a estimé que l’expression « vieux cripto-nazi », utilisée pour critiquer une personne, était un jugement de valeur admissible du point de vue de la Convention [85].
Dans un deuxième temps, en 2015, dans la quatrième affaire de M. Annen, la Cour a considéré que la référence à l’Holocauste est « un moyen pour sensibiliser le grand public sur le fait que ce qui est légal n’est pas toujours moral » [86].
Effectivement, la comparaison de l’avortement à l’Holocauste n’était pas dépourvue de signification pour les requérants de l’affaire Hoffer et Annen c. Allemagne ou pour Klaus Günter Annen [87]. Ils n’avaient aucune intention de nuire à la réputation des médecins ou de banaliser ou d’instrumentaliser l’Holocauste. Ils faisaient appel au respect des droits de l’homme [88], à savoir au respect du droit à la vie des enfants à naître qui, dans l’état actuel de la jurisprudence de la Cour, n’exclut pas l’enfant à naître de sa protection. Les requérants ont utilisé cette image très parlante de l’Holocauste car pour les Allemands elle renvoie à un passé tragique de leur histoire où des êtres humains innocents étaient massacrés. Son but était d’attirer l’attention du public de manière immédiate et efficace sur le nombre très élevé des êtres humains innocents qui sont supprimés chaque jour par la pratique de l’avortement et pour réveiller les consciences pour qu’un autre Holocauste n’ait pas lieu. Il ne faut pas oublier non plus que l’Holocauste a commencé avec la collaboration de la profession médicale [89]. Pour tirer une leçon de l’histoire, il faut comparer. Si nous sommes privés de cette possibilité de comparer, nous sommes aussi privés d’une leçon significative et nécessaire que l’on pourrait apprendre sur le mal objectif. Comparer ce n’est pas nier l’unicité de l’Holocauste. La comparaison que les requérants ont faite avec l’Holocauste pour illustrer leurs propos doit être regardée du point de vue des requérants qui considéraient que l’avortement était un meurtre. Cette comparaison n’était pas sans lien avec l’Holocauste, ou inappropriée, ou irrespectueuse pour ses victimes, comme c’était le cas dans l’affaire PETA [90] . Dans ce dernier cas, la souffrance des êtres humains pendant l’Holocauste était comparée avec la souffrance des animaux à l’abattoir. Or, il y a une très grande différence entre un être humain et un animal.
Quelle autre image forte et efficace auraient-ils pu utiliser pour faire passer l’essence de leur message et convaincre leur public allemand que l’avortement est un crime de masse d’êtres humains innocents ? Avec quelle autre image auraient-ils pu exprimer de manière efficace leur message ? D’ailleurs, les requérants n’étaient pas les seuls à utiliser cette comparaison. Des campagnes publicitaires contre l’avortement organisées en Pologne [91] exposaient aux carrefours des centre-villes des affiches géantes d’environ 200 m2 avec le visage d’Hitler et des fœtus avortés avec le message : « L’avortement en Pologne : introduit par Hitler le 9 mars 1943 » en rappelant le décret sur « l’interruption de grossesse pour les femmes ouvrières de l’est et les polonaises » en tant que « mesure de sécurité pour le peuple allemand » car « le taux de naissance chez les femmes ouvrières de l’est et les femmes polonaises était une arme biologique contre le peuple allemand ». Jean-Paul II, lors d’un voyage en Pologne en juin 1991 [92], a comparé « les cimetières des avortements » à celui des camps d’extermination. D’autres exemples peuvent être mentionnés : des sites internet comme « Survivors of the Abortion Holocaust » [93], le documentaire « 180’ » [94], plusieurs livres sur le sujet [95], comme « The Abortion Holocaust : Today’s Final Solution » [96] de Willian Brennan, « The Holocauste Analogie to Abortion » du livre « The Facts of Life » de Brian Clowes, « Holocaust : New and Old » de Elasah Drogin, « Rachel Weeping : The Case Against Abortion », de James Tunstead Burtchaell, etc.
S’opposer à cette comparaison et l’empêcher de circuler dans l’espace public, c’est en fait une manière de promouvoir l’expression de l’opinion contraire de celle exprimée par les requérants sur l’avortement, ce qui revient à instrumentaliser l’Holocauste.
c) Toute censure du discours sur l’avortement par les tribunaux doit être faite à la suite d’un examen individuel et contextuel de l’affaire, en référence avec la situation au moment de la publication
Dans la dernière affaire Annen, jugée en 2015, la Cour a établi des obligations procédurales découlant de l’article 10 de la Convention. Observant que les tribunaux n’ont pas procédé à une analyse approfondie de l’affaire, elle a indiqué, à titre d’exemple, quels sont les éléments à prendre en compte pour un examen individuel et contextuel d’une affaire : l’impact géographique du discours, son contenu, le contexte général, la présentation spécifique de la page d’internet, la nécessité de protéger des données sensibles, le comportement antérieur des deux médecins (s’ils indiquaient eux-mêmes sur internet qu’il pratiquaient des avortement), l’impact du discours sur des tiers et si ledit discours était capable d’inciter à l’agression ou à la violence contre les médecins [97].
B. La protection du discours sur l’avortement en fonction de son contenu
5. Le discours favorable à l’avortement mieux protégé par la Convention
Si on examine l’approche employé par la Cour jusqu’en 2015 pour trancher les affaires favorables à l’avortement et celles défavorables à cette pratique, on observe qu’elle n’était pas la même, malgré le fait, qu’au fond, il n’y avait pas de différences substantielles entre ces affaires pour justifier cette différence d’approche. Cette différence d’approche trahissait jusqu’à présent non seulement la volonté de la Cour de ne pas développer sa jurisprudence en accordant plus de protection au discours défavorable à l’avortement, mais aussi son refus de réaffirmer et d’appliquer dans ces affaires sa propre jurisprudence établie dans les affaires relatives au discours favorable à l’avortement. Les exemples les plus manifestes sont les affaires D.F. et Van Den Dungen (discours en défaveur de l’avortement) comparées avec l’affaire Open Door (discours en faveur de l’avortement) et les trois premières affaires Annen (discours en défaveur de l’avortement) comparées avec les affaires Open Door et Women on Waves (discours en faveur de l’avortement).
Néanmoins, l’arrêt Annen c. Allemagne du 26 novembre 2015 a partiellement atténuée cette tendance, la Cour commençant à appliquer au discours défavorable à l’avortement certains des principes établis dans les affaires favorables à cette pratique, se montrant ainsi plus protectrice de ce discours.
a) Les affaires D.F. et Van Den Dungen comparées avec l’affaire Open Door
L’affaire Open Door était jugée par la Cour en 1992 et les affaires D.F. et Van Den Dungen étaient jugées en 1994 et 1995 respectivement. La première affaire concernait des militantes, associations et femmes, pro avortement et les deux dernières affaires concernaient deux individus militants eux aussi contre l’avortement. Dans l’affaire Open Door, pour arriver à un constat de violation de la Convention, la plénière de la Cour a procédé à une analyse très pointue de la sanction subie par les requérantes, en prenant en compte le droit irlandais et l’attitude des autorités, la nature, l’étendue, l’efficacité et les conséquences de l’interdiction, le moyen de diffusion, le public visé et l’existence dans l’espace public de l’information. C’était pour la première fois que la Cour est entrée d’une manière si détaillée dans une affaire concernant le discours sur l’avortement. Cependant, deux ans après, l’ancienne Commission à tranché l’affaire D.F. en deux brefs paragraphes, en se bornant à affirmer que le discours du D.F. était de nature dépréciative et que les mots utilisés et le moyen de communication (une lettre circulaire) ne l’emportaient pas sur les droit de la personnalité du médecin. Il en fut de même en ce qui concerne l’affaire Van Den Dungen, expediée en un paragraphe par l’ancienne Commission, trois ans après Open Door, estimant que la sanction prononcée à l’encontre du requérant était limitée en durée et espace et qu’elle ne le privait pas de s’exprimer par d’autres moyens.
b) Les trois premières affaires Annen comparées avec les affaires Open Door et Women on Waves
Les requérants dans les trois premières affaires Annen, défavorables à l’avortement, ont fait l’objet du même arbitraire utilisé par la Cour dans les affaires D.F. et Van Den Dungen, contrairement aux affaires Open Door et Women on Waves, favorables à l’avortement. L’affaire Women on Waves était jugée en 2009 et les trois affaires Annen en 2010 et 2011 respectivement. N’existant aucunes différences substantielles entre ces affaires, rien ne justifiait une différence d’approche dans leur jugement.
Comme les requérantes dans les affaires Open Door et Women on Waves, M. Annen et Mlle Hoffer étaient eux aussi des militants. Ils désiraient changer la législation sur l’avortement en Allemagne, convaincre les médecins de renoncer à cette pratique et les femmes de renoncer à avorter. Leur discours était minoritaire dans la société allemande. Pourtant, ils n’ont pas bénéficié d’une protection renforcée de leur droit à la liberté d’expression comme les militants favorable à l’avortement dans les affaires Open Door et Women on Waves.
Eux aussi ont employé les moyens qu’ils considéraient les plus efficaces pour transmettre leur message (distribution de tracts, manifestation et discussion avec les passants en face d’une clinique, dépôt de tracts contre l’avortement dans les boîtes aux lettres, création d’un site internet). M. Annen a d’ailleurs changé de moyen à chaque expression mais il était pourtant à chaque fois sanctionné. Ainsi, jusqu’en 2015 et pour ses trois premières affaires, il n’a pas bénéficié du « droit de choisir les moyens les plus efficaces pour transmettre son message, (…) » dont les requérantes ont bénéficié dans l’affaire Women on Waves. En outre, les sanctions répétées dont le requérant fut l’objet, alors même qu’il changeait à chaque fois la manière de s’exprimer, n’ont eu qu’un effet extrêmement dissuasif sur sa liberté d’expression et celle de ceux qui souhaiteraient s’exprimer contre l’avortement à l’avenir. Toutefois, la Cour a ignoré cet aspect dans le cas de M. Annen, en omettant d’indiquer en ce qui le concerne qu’une « mesure aussi radicale produit immanquablement un effet dissuasif non seulement à l’égard des requérants, mais également à l’égard d’autres personnes souhaitant communiquer des informations et des idées contestant l’ordre établi » [98], comme elle l’avait fait dans l’affaire Women on Waves.
Dans ses trois premières affaires, lui aussi a employé des termes qui pour certains peuvent être choquants et offensants (« l’avortement tue les enfants non nés », « ’Tu ne tueras pas’ est aussi valable pour les médecins », « spécialiste en meurtre des enfants à naitre », « Hier : Holocauste, aujourd’hui : Bébéscauste », « médecins avorteurs »), mais dans son cas la Cour n’a pas affirmé que « lorsqu’on présente des idées qui heurtent, choquent et contestent l’ordre établi que la liberté d’expression est la plus précieuse », comme dans l’affaire Women on Waves ou que « la liberté d’expression vaut aussi pour les informations ou idées qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » [99], comme dans l’affaire Open Door.
Toujours dans les trois affaires Annen, la Cour a jugé que la sanction était justifiée car l’expression des requérants avait porté atteinte aux droits de la personnalité des médecins. Dans les affaires Open Door et Women on Waves, elle a jugé que les sanctions subies par les requérantes pour assurer la protection du droit (constitutionnel en Irlande) à la vie de l’enfant à naître n’étaient pas justifiées et proportionnée, alors que la valeur protégée par l’État membre était primordiale dans ces derniers cas.
M. Annen a tenu son discours dans un espace public par sa nature, en s’exprimant et manifestant de manière pacifique. Cependant, dans son cas la Cour n’a pas rappellé que « la liberté d’exprimer des opinions au cours d’une réunion pacifique revêt une importance telle qu’elle ne peut subir une quelconque limitation dans la mesure où l’intéressé ne commet pas lui-même, à cette occasion, un acte répréhensible », comme elle l’a fait dans l’affaire Women on Waves. Il n’a pas non plus perturbé « de manière sérieuse leur activité professionnelle de médecins », aucun des faits présentés par la Cour n’indiquant cela.
En ensemble, les trois premières affaires Annen n’ont pas bénéficié d’une analyse très approfondie de la part de la Cour, comme elle l’a fait dans l’affaire Open Door en prenant en compte le droit irlandais et l’attitude des autorités, la nature, l’étendue, l’efficacité et les conséquences de l’interdiction, le moyen de diffusion, le public visé et l’existence dans l’espace public de l’information. Dans ces affaires Annen, la Cour s’est bornée à indiquer que le requérant n’a pas subi une sanction pénale (alors qu’on lui avait interdit de répéter ses affirmations concernant le médecin et de s’adresser aux passants), que les raisons données par les tribunaux internes étaient suffisantes et qu’il avait eu d’autres moyens pour s’exprimer contre l’avortement. La même approche a été adopté dans l’affaire Hoffer et Annen, dans laquelle la Cour a jugé en trois paragraphes que les requérants ne pouvaient pas, dans leur discours, comparer l’avortement avec l’Holocauste, car cela violait de manière grave les droits de la personnalité du médecin, d’autant plus que l’expression ne pouvait pas être détachée du contexte historique et social de l’Allemagne. D’après la Cour, ils devaient exprimer leur critique d’une manière moins préjudiciable pour l’honneur du médecin.
c) L’arrêt Annen c. Allemagne du 26 novembre 2015
Il convient de noter qu’à l’occasion de cet arrêt, la Cour a changé son approche en appliquant au discours défavorable à l’avortement les principes qu’elle a établi dans les affaires favorables à l’avortement. Ainsi, elle a reconnu au requérant le droit de choisir les moyens les plus efficaces pour sa campagne, notamment la distribution, aux alentour d’une clinique, des tracts indiquant le nom et l’adresse professionnelle des médecins. Elle a jugé que les termes utilisés par celui-ci (« médecins avorteurs », « avortement illégaux », y compris la référence à l’Holocauste qui visait à sensibiliser le public sur le fait que ce qui est légal n’est pas forcément moral) sont des moyens légitimes pour l’efficacité de sa campagne, laquelle contribuait à un débat très controversé d’intérêt public. Quant aux droits de la personnalité des médecins, la Cinquième Section a indiqué que tout dommage causé aux médecins doit être prouvé et en lien de causalité avec le discours du requérant. Enfin, elle a imposé aux tribunaux des obligations procédurales découlant de l’article 10, en les obligeant à procéder à une l’analyse très approfondie de chaque affaire. Ainsi, la Cour a signalé de manière très concrète et non exhaustive quels sont les éléments à prendre en compte lors d’un examen individuel et contextuel de chaque affaire.
Conclusion
Eu égard aux considérations qui précèdent, la Convention, telle qu’interprétée par l’ancienne Commission et par la Cour européenne des droits de l’homme, protège les discours sur l’avortement. Cependant, cette protection est inégale et elle varie en fonction de la qualité de la personne qui s’exprime et du contenu de son discours. En principe, ces discours sont d’autant plus protégés s’ils sont tenus par des militants, par une ONG et par un groupe minoritaire qui souhaiteraient attirer l’attention du public et des décideurs sur un sujet d’intérêt général et surtout s’ils cherchent à changer les mentalités et l’ordre établi. La Convention protège toute idée qui heurte et qui choque et toute activité symbolique de contestation législative, en établissant un droit de choisir les moyens les plus efficaces pour transmettre un message. Elle condamne ce qui peut avoir un effet dissuasif sur ces discours. Toutefois, l’établissement et l’application de ces principes dans les affaires dans lesquelles les requérants étaient favorables à l’avortement et à l’inverse, leur ignorance ou leur application partielle dans celles dans lesquelles les requérants étaient défavorables à cette pratique, nous indiquent l’usage de la Convention par certains juges de la Cour pour promouvoir un certain discours sur l’avortement, celui qui critique les valeurs existantes dans la société (le respect pour la vie de tout être humain et de la santé et l’intégrité de la femme) pour les remplacer par d’autres valeurs. En tout état de cause, une fois ces principes établis, la Cour européenne devrait être obligée de les appliquer par la suite de la même manière aux affaires concernant au deux discours sur l’avortement, faute de quoi sa réputation et la justice seront encore diminuées.