Par un arrêt publié au Bulletin du 11 mai 2016 (Cass. 1re civ., 11 mai 2016, n° 14-16.967, FS-P+B : JurisData n° 2016-008864), la Cour de cassation a tranché une question majeure qui agitait la doctrine et les praticiens depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, celle des liens qui unissent dans la succession l’héritier réservataire et le légataire universel.
Pour mémoire, l’héritier réservataire est celui auquel une part de la succession revient nécessairement, lui est « réservée » (par exemple, le descendant en ligne directe), tandis que le légataire universel a vocation à recevoir l’intégralité du patrimoine dépendant de la succession, son « universalité », en vertu du testament établi en ce sens par le défunt.
La question se posait alors de savoir si, lorsqu’ils viennent concurremment à la succession, l’héritier réservataire et le légataire universel se trouvent en indivision sur les biens dépendant de la succession ou si ces derniers sont transmis au légataire dès le décès du testateur.
L’enjeu est essentiel dès lors qu’il vise ni plus ni moins qu’à déterminer si le droit du partage, avec toutes les règles qu’il comporte, est ou non applicable.
Dit autrement, il s’agit de savoir si le légataire universel est seul maître des biens composant son legs ou s’il doit à l’inverse composer avec l’héritier réservataire qui aura alors des droits concurrents sur ceux-ci, lesquels devront donc être partagés.
Pour y répondre, la Cour de cassation a logiquement choisi de s’appuyer, comme l’y invitait la majeure partie de la doctrine, sur le principe issu de la loi du 23 juin 2006 selon lequel la réduction du legs s’opère désormais en valeur, par une indemnisation à hauteur de la contre-valeur du bien légué, et non plus en nature, par la restitution dudit bien.
En tirant toutes les conséquences qui semblaient s’imposer, la Cour a alors considéré, par un attendu de principe dépourvu de la moindre ambiguïté, qu’il n’y avait pas de situation d’indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire :
« Il résulte des articles 924 et suivants du Code civil qu’en principe, le legs est réductible en valeur et non en nature, de sorte qu’il n’existe aucune indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire ».
A partir d’une telle formulation, la Cour de cassation retient ainsi non seulement qu’il n’y a pas d’indivision entre l’héritier réservataire et le légataire universel mais qu’il n’y en a en réalité jamais eu.
Cette solution vaudra très certainement tout aussi bien pour le légataire particulier (le bénéficiaire d’un ou plusieurs biens dépendant de la succession) en présence d’un héritier réservataire.
Elle va dès lors induire de très nombreuses conséquences.
Pour s’en tenir aux principales, le légataire universel est ainsi seul détenteur des biens dépendant de la succession, dont il pourra donc faire tout ce qu’il souhaite (disposition à titre gratuit ou onéreux, location etc.) sans avoir à recueillir l’assentiment de l’héritier réservataire.
Ce dernier se retrouvera alors uniquement créancier envers le légataire universel d’une indemnité de réduction, en valeur, correspondant à sa part de réserve. Il ne pourra en revanche, comme c’était d’ailleurs la problématique dont avait à connaître la Cour de cassation, prétendre à l’attribution préférentielle de biens dépendant de la succession ou à leur licitation (vente aux enchères). Le droit du partage ne sera d’une manière générale pas applicable.
De nombreuses autres conséquences pourraient être envisagées de sorte qu’il conviendra d’analyser dans le détail l’ensemble des effets que l’absence d’indivision entre le légataire universel et l’héritier réservataire pourra avoir, dont certains pourraient d’ailleurs receler leur part de surprise.
Cela est d’autant plus vrai qu’une telle situation ouvre la voie à de nouvelles modalités d’organisation et d’optimalisation de la succession, qui seront désormais en partie centrées autour du legs universel (dans l’hypothèse où le défunt souhaitera qu’une personne en particulier ait l’entière propriété de ses biens) voire donc également du legs particulier.
Il est dès lors à parier que les praticiens n’ont pas fini de se pencher sur la solution ainsi dégagée par la Cour de cassation et ses implications multiples, dont cette dernière aura d’ailleurs probablement à connaître dans un proche avenir.
Discussions en cours :
Cette décision pourrait elle s’appliquer à un testament dans lequel il y a un légataire universel à charge pour lui de délivrer 10 % à monsieur X et 10 % à Monsieur Y ?
y a t il indivision entre ces trois personnes ?
Très bien ! Dites au fisc de ne plus harceler les réservataires sous prétexte d’indivision alors que le bien appartient au légataire universel !
Dilberman
c’est vrais pourquoi le fisc ne reconnait que les héritiers réservataires ? et en justice c’est le légataire universel qui a tous les droits, même de récupérer leg et donation sans droits si il fait en sorte de passer 6 ans, le droit de reprise du fisc ?
Je connais un légataire universel particulièrement indélicat et procédurier qui a bloqué la procédure notariale, afin d’être considéré comme propriétaire de la fortune du decujus sans s’acquitter d’aucune de ses obligations. Malgré un procès, il a prétendu que les autres reservataires n’avaient pas réclamé leur dû, et qu’il y avait prescription. C’est gros, et contraire à l’esprit du droit, mais conforme aux absurdités de la jurisprudence citée.
Cela va donc plus loin que l’interprétation du droit par les cours d’appels et tribunaux de premiere instance.
Il me semble que la question finale est :
Cet arret dit-il le Droit ou (re-)fait-il le Droit sans Débat Parlementaire cad respecte-t-il nos principes républicains de séparation des pouvoirs basés sur la constitution ?
Qui est compétent pour verifier la constitutionnalité de cet arrêt ?
Le Conseil Constitutionnel n’evoque sur son site que la verification de la constitutionnalité des lois et reglements.
La Cour Européene de justice me parait relativement « hors d’atteinte » dans ce contexte
J’espère que je me trompe - ou plus exactement que la Cour de Cassation s’est trompée ...
Si non et si personne n’intervient (et non pas "peut intervenir"), alors cet arret rend la République discrêtement et efficacement un peu plus « une et l’indivisible » ...
Cet arrêt est bien curieux et juste de principe. Mais , dans les faits, le légataire universel doit se faire délivrer son leg par l’(es) héritiers réservataires pour entrer en possession. Tant que ce légataire n’est pas rentré en possession du fait du refus d’au moins un des héritiers réservataires, il ne peut administrer en aucun cas ce leg. La délivrance du leg est la pierre angulaire des droits du légataire. Si il y a contentieux la justice ne pourra que trancher en sa faveur, mais il faudra attendre ce jugement avec tous les recours possibles éventuels...
Pas si simple en vérité !
Par contre il me semble que la désignation du notaire en charge de la succession reviendra au légataire en suivant le raisonnement de cet arrêt, alors qu’à ce jour c’est l’héritier réservataire qui en avait la primeur.
Savoir, si le testament ayant été rédigé avant la loi de Juin 2006, si cet arrêt s’applique. Peut-on rétroactivement présumer de la volonté testamentaire du testateur hors de la connaissance des nouvelles dispositions législative ?
bien cordialement.
Bonjour à tous
J’ai fait miennes les conclusions de cet excellent article...dont le thème bien sûr me concerne.
Mais j’aurais une question, justement liée à mon cas : Je pensais, en tant qu’héritier réservataire, n’ être que simple créancier dans une succession ou un légataire universel était désigné.
Mais voila qu’après quelques mois, le légataire universel refuse le legs !
Dès lors je me pose la question : Est-ce que je reste créancier dans la succession, un autre héritier restant à déterminer ou bien est-ce que je retrouve un statut d’ indivisaire avec un autre héritier simple, du fait de la disparition du legs universel.
J’ avoue que cette question m’ intrigue.