La question est évidemment très actuelle, sur fond de tarissement des matières premières, de raréfactions des métaux rares (voir notre article sur les restrictions imposées par la Chine) et de nécessité de produire moins de déchets. En effet, l’obsolescence programmée concerne tout particulièrement l’électronique et la high-tech, autant d’objets qui lorsqu’ils ne fonctionnent plus, deviennent des « déchets d’équipements électroniques et électriques ». Rien qu’en France, ce seraient environ 600 millions de ces équipements qui seraient mis sur le marché chaque année, soit plus de 1,6 millions de tonnes (25 kg/habitant/an, et 10 équipements par habitant en moyenne).
Pour lutter contre un raccourcissement des durées de vie des produits manufacturés, il faut évidemment informer les individus. Mais au-delà, un travail de fond est nécessaire et plusieurs outils juridiques ont en ce sens été créés, dont les actions de groupe (class action) et, dans le cadre de la loi de transition énergétique, un délit spécifique. Revenons brièvement sur ce qu’est l’obsolescence programmée pour ensuite étudier les derniers développements législatifs.
I Qu’est-ce que l’obsolescence programmée ?
La définition donnée par les associations environnementales, notamment Zero Waste France (anciennement Cniid) et les Amis de la terre, est la suivante (rapport de 2010) :
C’est le processus par lequel un bien devient obsolète pour un utilisateur donné, parce que l’objet en question n’est plus « à la mode » ou qu’il n’est plus utilisable ou encore Stratégie visant à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit, dans le but d’accélérer le renouvellement de l’achat
C’est dans la première moitié du 20ème siècle, en plein essor de la société de consommation qui allait pourtant provisoirement s’effondrer dans les années 1930, que le « Cartel Phoebus » aurait incité des industriels à délibérément limiter la durée de vie des lampes à incandescence pour en vendre plus. L’obsolescence programmée, dans sa définition initiale, concerne donc les pratiques frauduleuses des industries manufacturières qui limitent artificiellement la durée de vie d’un produit : puissance trop importante de piles moins bien supportée par l’appareil, pièces fragiles rapprochées des sources de chaleur par exemple dans les téléviseurs, nombre de copies programmé avant blocage, etc.
A mesure que la technologie s’est complexifiée, certains industriels ont eu tout le loisir de jongler avec une multitude de procédés amenuisant la durée de vie des produits : démontabilité impossible, pièces détachées moins disponibles, incompatibilités de branchements ou obsolescence logicielle, sophistication et nanotechnologies raffinées mal maîtrisées et plus fragiles, chaînes de fabrications plus laxistes, etc. Les derniers développements de l’obsolescence programmée nous amènent à constater qu’il existe aujourd’hui une obsolescence « de mode », puisque de nouveaux produits sont constamment mis sur le marché, poussant les individus à consommer du « neuf » (cela concerne ainsi, au-delà de l’électronique, les vêtements ou les meubles). On pourrait aussi mentionner les offres de nouveaux forfaits qui incitent à régulièrement changer de téléphone portable…
Certes, la première solution consisterait à consommer moins ou à consommer mieux, mais cela n’est pas toujours évident puisque d’une certaine façon, les industriels doivent demeurer compétitifs dans une société du tout-concurrence : qui, en général, veut d’un vieux téléphone ? Le processus d’obsolescence programmé et donc en partie une pratique des industriels, mais aussi un phénomène plus large découlant du tout-économique qui s’est substitué à tout autre projet de société.
Alors, au-delà des habitudes de consommation, de la nécessité de changer tout un système économique défaillant, quels sont les outils juridiques qui pourraient permettre de lutter contre de telles pratiques ?
II Des outils juridiques en vigueur et à venir
Rappelons d’abord que des délais de garantie sont légalement prévus. Ainsi, l’article L.211-12 du Code de la consommation nous informe que « l’action résultant du défaut de conformité se prescrit par deux ans à compter de la délivrance du bien », hormis d’éventuelles garanties contractuelles. Ce délai apparaît particulièrement court et certains constructeurs notamment automobiles n’hésitent plus à garantir leurs voitures pendant sept ans (durée qui demeure assez limitée comparée aux anciennes automobiles que l’on peut encore croiser sur nos routes…). Il conviendrait certainement d’augmenter cette durée légale.
La loi Hamon du 17 mars 2014 relative à la consommation a modifié l’article L111-3 du même Code afin qu’une meilleure information sur la disponibilité des pièces détachées soit assurée auprès des consommateurs :
Le fabricant ou l’importateur de biens meubles informe le vendeur professionnel de la période pendant laquelle ou de la date jusqu’à laquelle les pièces détachées indispensables à l’utilisation des biens sont disponibles sur le marché. Cette information est délivrée obligatoirement au consommateur par le vendeur de manière lisible avant la conclusion du contrat et confirmée par écrit lors de l’achat du bien.
D’autres outils pourraient être mentionnés, mais il convient de développer les deux réformes les plus prometteuses en la matière (voir notamment les mesures phares proposées par les Amis de la terre).
Tout d’abord, ce sont les actions de groupe qui pourraient permettre une lutte plus efficace contre les industriels. Un nouvel article L423-1 du Code de la consommation découlant de la même loi Hamon prévoit désormais que :
Une association de défense des consommateurs représentative au niveau national et agréée en application de l’article L. 411-1 peut agir devant une juridiction civile afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs placés dans une situation similaire ou identique et ayant pour cause commune un manquement d’un ou des mêmes professionnels à leurs obligations légales ou contractuelles […]
S’engager contre une grande entreprise à plusieurs facilite évidement la tâche, qu’il s’agisse d’apporter des preuves de dysfonctionnements généraux, de représenter plus de personnes, ou d’assurer un meilleur financement du procès. Notons que la class action à la française n’est pour l’instant ouverte qu’aux associations de consommateurs et devant les juridictions civiles. Certainement faudra-t-il l’ouvrir à d’autres secteurs comme l’environnement (bien que le travail des associations soit évidemment déjà très efficace) ainsi qu’à d’autres juridictions.
Cette évolution pourrait être rendue nécessaire par le projet de loi de transition énergétique tel qu’adopté par l’Assemblée nationale avant examen au Sénat début 2015. Le texte adopté le 14 octobre 2014 comporte deux volets, le premier définissant l’obsolescence programmée juridique, le second créant un délit spécifique.
Elle serait définie de la sorte :
L’obsolescence programmée désigne l’ensemble des techniques par lesquelles un metteur sur le marché vise, notamment par la conception du produit, à raccourcir délibérément la durée de vie ou d’utilisation potentielle de ce produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. Ces techniques peuvent notamment inclure l’introduction volontaire d’une défectuosité, d’une fragilité, d’un arrêt programmé ou prématuré, d’une limitation technique, d’une impossibilité de réparer ou d’une non-compatibilité
Surtout, un délit spécifique est crée. Au préalable, rappelons simplement que l’article L.213-1 du Code de la consommation contient d’ores et déjà un délit de « tromperie » (sur les qualités substantielles d’un produit, sa nature, sa composition, etc.) :
Sera puni d’un emprisonnement de deux ans au plus et d’une amende de 300 000 euros quiconque, qu’il soit ou non partie au contrat, aura trompé ou tenté de tromper le contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers […]
Ainsi, pourra être condamné pour tromperie quiconque aura (tenté de) trompé « sur la durée de vie du produit intentionnellement raccourcie lors de sa conception ».
Si la loi est adoptée en ces termes, cela constituerait une avancée importante pour la protection des consommateurs et plus généralement des citoyens (car une telle cause quitte en réalité le giron de la seule consommation). Un hic cependant, puisque cette infraction est « intentionnelle », nécessitant évidemment d’en apporter la preuve par tout moyen. Ce délit s’adresse donc tout particulièrement aux pratiques les plus frauduleuses des industriels, sans évidemment pouvoir s’attaquer aux autres obsolescences (effets de modes, incompatibilités les moins flagrantes, etc.).
Cette réforme ne semble pas faire l’unanimité : tous ne sont pas convaincu qu’il est pertinent de créer une infraction spécifique, sous-entendu que les différentes tromperies déjà énumérées dans le Code de la consommation incluraient finalement, même indirectement, l’obsolescence programmée. Néanmoins, pourquoi se priver d’un fondement juridique spécifique : cela évitera en cas de recours de devoir au préalable convaincre le juge d’appliquer tel ou tel dispositif juridique plus ou moins précis. On ne pourrait que se féliciter d’une adoption définitive de ce texte, ne serait-ce que pour donner un signal fort aux industriels, que de plus en plus de nos concitoyens en ont assez d’être considérés comme des vaches à lait et d’être pris en otage.
Maintenant, il ne reste plus qu’à « aller au charbon », puisque les intérêts financiers et industriels à contrecarrer ne sont pas des moindres… C’est en ce sens que l’action de groupe semble particulièrement adaptée, bien qu’elle ne permette pas encore aux associations d’engager des recours devant les juridictions pénales… Au moins une action civile serait envisageable, grâce à la définition légale nouvellement établie ?
Peut-être, mais ça, ce n’est que du droit…