Victimes d’agressions sexuelles intra familiales et de violences conjugales : pour une meilleure réparation par la Justice.

Par Carine Durrieu Diebolt, Avocat.

Femmes battues par leur mari, enfants maltraités par leurs parents, harcèlement moral d’un ex concubin, violences verbales au sein de la famille, inceste… Après la condamnation pénale et la reconnaissance du statut de victime vient la réparation judiciaire via l’évaluation du préjudice et l’indemnisation.

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Un grand nombre des infractions commises à l’égard des femmes ont lieu dans la sphère familiale. Les violences conjugales a fortiori, et les viols sont commis par une personne connue dans 80% des cas pour les victimes majeures et 94% pour les mineurs (enquête IVSEA 2015). L’âge moyen de la première agression sexuelle est entre 9 et 10 ans.
Les violences sexuelles causent des dommages très lourds et le plus souvent ces violences sont commises par un proche.
C’est une véritable escalade du corps et les mécanismes sont les mêmes qu’il s’agisse de violences sexuelles ou de violences familiales.
Toute violence au sein de la famille porte atteinte à la fonction normalement protectrice de celle-ci et ne peut être vécue que comme un acte déviant, faisant tomber les fondaisons structurelles de tout individu.

La faible prise en compte des composantes spécifiques de certaines infractions :

Pourtant, en droit, l’importance de ces préjudices est difficile à faire admettre et à indemniser, malgré le principe de la réparation intégrale.
Pour exemple, viols sur un enfant de 7 à 10 ans par un adulte ayant autorité : forfait de 23.000 euros par la cour d’assises, enfant de 3 ans indemnisé pour maltraitance : forfait de 9.000 euros…
Par rapport à d’autres contentieux en dommage corporel, comme les accidents médicaux, ces indemnisations sont très faibles.

L’évaluation des préjudices en droit s’opère selon la nomenclature « Dintilhac » qui distingue les postes de préjudices patrimoniaux (frais matériels, perte de revenus et préjudice professionnel, préjudice scolaire, tierce personne pour pallier une perte d’autonomie...) et les préjudices extra patrimoniaux (souffrances endurées à titre provisoire, préjudice esthétique provisoire, déficit fonctionnel incluant les souffrances à titre définitif, préjudice sexuel, préjudice d’établissement...).
Cette liste n’est pas limitative et rien n’empêche l’avocat de présenter un préjudice plus spécifique.

Depuis peu, on recourt moins systématiquement au forfait pour évaluer le préjudice des victimes de violences, ce qui tend à une meilleure reconnaissance des dommages.
Mais, les réticences à reconnaître l’ensemble des préjudices persistent ; par exemple, la tierce personne est difficile à faire admettre en cas de viol ou violences conjugales : lorsque la victime, traumatisée, est dépressive et ne peut plus exercer les actes de la vie quotidienne, sortir, s’alimenter normalement, si elle développe des phobies alimentaires, vit sous l’emprise de l’alcool et devient dépendante de ses proches...
Il s’agit bien d’une perte d’autonomie qui doit être prise en compte au titre de la tierce personne. La Cour de cassation admet qu’un état de stress post traumatique ne se réduit pas à un préjudice moral et peut entraîner une invalidité, même en l’absence de blessures physiques (Cass crim, 21 oct 2014, n°13-87669). Cette invalidité qui peut se traduire par des peurs, névroses ou dépressions, exigent la présence de tiers aux côtés de la victime pour l’assister dans les actes de la vie quotidienne qu’elle ne peut plus faire et cette assistance doit se traduire, juridiquement, en termes de tierce personne.
Les troubles psycho traumatiques de la victime peuvent se soigner mais pour se soigner, il faut restituer les faits dans l’ordre des responsabilités (l’agresseur n’avait pas le droit) et reconnaître les dommages causés.

Vers de nouveaux postes de préjudices ?

A cette ultime étape de la reconnaissance des préjudices subis par la victime, les connaissances des avocats spécialisés en dommage corporel ont un rôle déterminant ; présenter une demande forfaitaire à 20.000 pour des faits d’inceste, c’est nier la réalité des préjudices subis, les conséquences durables du psycho traumatisme vécu par la victime.
De nouveaux postes de préjudice, qui prennent en compte la particularité de ce type de contentieux émergent : les préjudices permanents exceptionnels. Il s’agit de préjudices qui ne sont pas intégrés dans d’autres postes comme par exemple les souffrances endurées et prennent une résonance particulière soit en raison de la nature de la victime, soit en raison de la nature ou des circonstances du fait générateur.

Ainsi, de nouveaux postes de préjudices sont plaidés :

- D’un préjudice exceptionnel de mort psychique ou de culpabilité spécifique aux violences sexuelles  :

La spécificité des viols c’est le sentiment d’être sali, de honte, de culpabilité. Contrairement à d’autres violences, la victime se rejette.
Certains auteurs utilisent le concept de traumatisme mortifère, ou de mort psychique ou de mort réelle au sens de LACAN ; tous ces concepts décrivant la mort d’une partie de soi, la perte de son intégrité, le trou noir.
Comme si l’agresseur avait pris une partie de la victime ; l’avait dépossédée, ce qui est très spécifique aux viols (d’ailleurs on dit « posséder » une personne). Elles sont chosifiées.

- Du préjudice exceptionnel d’acte intra familial qui est encore mal indemnisé. Exceptionnel à raison du lien familial avec l’auteur.

Souvent les victimes qui dénoncent des violences intra familiales sont rejetées par leurs proches, cause d’un désordre familial, d’une division qui leur est injustement reproché. D’où des sentiments mêlés de culpabilité et d’isolement. En outre, les repères structurants s’effondrent.
Il peut être intéressant de le plaider de manière autonome, au titre du préjudice exceptionnel, ce qui a déjà été admis par certains tribunaux mais de manière marginale et pour des indemnités toujours faibles (5.000 euros à 18.000 euros).
Le préjudice permanent exceptionnel intra familial peut conduire à une meilleure reconnaissance de la spécificité de ces drames.
Mais récemment (Cass civ 11 sept 2014, n°13-10691), s’agissant d’une tentative d’assassinat commise entre concubins, la Cour de cassation a considéré que les circonstances particulières et la résonance particulière de l’acte ne caractérisaient pas un poste de préjudice permanent exceptionnel distinct du préjudice moral déjà inclut dans le déficit fonctionnel permanent indemnisé.

Carine DURRIEU DIEBOLT
Avocate en droit pénal/ dommage corporel/droit des victimes
Membre de la CIIVISE
cabinet.durrieu chez free.fr
http://www.diebolt-avocats.com

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Discussions en cours :

  • Maître,

    Je me permets de vous contacter afin de savoir si vous pourriez m’indiquer une jurisprudence accordant le préjudice exceptionnel d’acte intra familial dont vous parlez dans cet article.

    Je ne parviens pas à en trouver un.

    Mes remerciements anticipés pour votre retour.

    Bien cordialement,

    AL.

  • Dernière réponse : 11 avril 2019 à 16:56
    par Damien , Le 11 avril 2019 à 13:40

    Bonjour,
    Je passe au tribunal le mois prochain en tant que victime de viol (Ou plutôt requalifié en Agression Sexuelle) pour des faits qui on eu lieu entre mes 6 ans jusqu’a 12 ans environ. Au total ce sont des centaines de viols.

    Je précise que je suis un homme, et les faits ont été produits par mon frère à l’époque mineur, mais majeur depuis mes 10 ans.

    J’ai beaucoup de mal à estimer les dommages et intérêts. Mon avocat m’indique que les forfaits sont généralement entre 7 et 15K€. Ce qui me semble dérisoire. J’ai l’impression qu’on me dit "Tiens voilà un billet ça ira mieux après".
    J’ai 32 ans et je souffre toujours de ce passé. Pour moi c’est 6 ans de ma vie qui ont été détruites. Et 6 ans, ce n’est pas rien. D’autant plus qu’il y a plusieurs victimes, et qu’on s’attende déjà à ce qu’un peine avec sursis soit prononcée, je trouve que la justice amoindri largement la gravité des faits...

    Qu’en pensez vous ?

    • par Carine DURRIEU DIEBOLT , Le 11 avril 2019 à 15:37

      Bonjour,

      Votre avocat doit demander une expertise psychiatrique et une évaluation des préjudices conformément à la nomenclature Dintilhac ; surtout pas un forfait.

      S’il s’agit de plusieurs viols, pourquoi est-ce correctionnalisé ?

      Votre bien dévouée

      Carine DURRIEU DIEBOLT
      Avocate de Victimes de Dommages Corporels
      Diplomée Université Paris 8 "Violences faites aux femmes"
      64 rue des Mathurins 75008 PARIS
      Tel : 01 42 71 56 10
      Fax : 01 42 71 56 50
      https://www.diebolt-avocats.com/

    • par Damien , Le 11 avril 2019 à 16:56

      Merci pour votre retour.
      Lors de la procédure il y a eu une expertise psychologique mais pas psychiatrique.
      Je vais passer le mot.

      Pour la correctionnalisation, nous sommes plusieurs parties civiles, et je pense que comme beaucoup ce qui nous à décidé c’est le délais des assises, et la procédure plus lourde.

      Ce n’était pas forcément la meilleure solution, mais en tant que victime j’ai hâte que cette procédure s’arrête, déjà 2 ans pour une procédure criminelle, c’est déjà long pour moi.

      En tout cas merci pour vos retours je vais en tenir compte.

  • Bonjour j’ai 41 ans, j’ai subi un inceste paternel (il est maintenant décédé) de l’âge de 5 ans à 15 ans ainsi que des deuils et je suis entrer dans la vie complètement écorchée vive... j’ai bataillé des années durant pour tenter d’avoir une vie normale... je n’ai jamais réussi à tenir un travail à cause de crises dépressives et de grandes angoisses qui me terrassaient... toutes mes tentatives de suivi psy ont échouées... mes descriptifs de symptômes envers les médecins n’ont jamais amené à un diagnostic... bref je me retrouve aujourd’hui sans emploi et ayant toujours l’effroyable sensation que je ne m’en sortirai jamais... y a t il des recours dans mon cas (reconnaissance du préjudice et du handicap invisible) ?
    Merci de votre éclairage

    • par diebolt , Le 5 décembre 2018 à 14:33

      Bonjour, malheureusement, je crains qu’il n’y ait prescription pour agir. Cordialement

  • Dernière réponse : 25 août 2016 à 18:54
    par Linda Weil-Curiel , Le 24 août 2016 à 21:55

    Savez-vous dans quelle proportion les sommes versées, en général par le Fonds de Garantie me semble-t-il, sont récupérées sur la personne condamnée ?
    Lorsque la victime est mineure et demeure au domicile parental après sa majorité, donc sous la coupe de son bourreau, n’y a-t-il pas un risque que les indemnités finissent dans la poche de ce dernier ?
    Le soupçon m’est venu à l’occasion des affaires d’excision que j’ai plaidées.
    Bien cordialement,
    Linda Weil-Curiel

    • par acg , Le 25 août 2016 à 08:16

      Dans ces hypothèses de violences intra-familiales, il est donc indispensable de penser à faire désigner un mandataire ad hoc pour les mineurs qui ne sont pas en âge de discernement, et un avocat d’enfant pour ceux qui ont l’âge de discernement... Pour les crimes, la déchéance d’autorité parentale est prononcée+saisine du JE, et pour les délits, le plus souvent il y a saisine du JE. Les mineurs ne demeurent donc pas "sous le toit de leur bourreau"...et si l’autre parent n’est pas en capacité de les protéger, alors les services sociaux s’en chargent, et les mesures de tutelles mineurs servent à la gestion de son patrimoine (y compris des indemnisations perçues).

    • par diebolt , Le 25 août 2016 à 18:54

      Pour la 1ère question, voici les info collectées : "Dans le cadre de l’indemnisation des victimes d’infraction devant la CIVI, en 2013 :
      Le FGTI a réglé 261,9 millions d’euros (dont 257,9 millions d’euros sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale).
      Le FGTI a recouvré 61,8 millions d’euros dont 47,5 millions d’euros auprès des auteurs d’infraction et 14,3 millions d’euros auprès des autres personnes tenues à réparation.
      15% des dossiers contre les auteurs d’infractions font l’objet d’un recours judiciaire, ce qui représente 30 % des encaissements."
      Pour la 2ème, la désignation d’un administrateur ad hoc lorsque la victime est mineure qui mettrait les fonds à l’abri de l’agresseur + retrait de l’autorité parentale si le parent est reconnu coupable pendant la minorité. Mais peut-être n’est-ce pas exactement la question.

  • par Isabelle Dubief Duroyon , Le 23 août 2016 à 12:14

    C est très exact et très réaliste. La difficulté de l indemnisation pour ce type d infraction est bien soulevée.

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