Dans le monde complexe des ressources humaines, les entreprises d’aujourd’hui sont constamment à la recherche d’un équilibre délicat entre la présence de leurs employés et leur véritable productivité. Ce défi se manifeste à travers deux phénomènes intrinsèquement liés que sont le présentéisme et l’absentéisme.
Pendant longtemps, l’absentéisme, c’est-à-dire l’absence physique des salariés, a été la principale préoccupation des RH en raison de ses coûts visibles et de ses répercussions sur l’organisation du travail. Pourtant, le présentéisme, où les employés sont physiquement présents mais peu efficaces à cause de problèmes de santé ou de motivation, émerge comme une problématique tout aussi, sinon plus, préoccupante.
L’arrivée de la génération Z sur le marché du travail, combinée à une digitalisation rapide et à de nouvelles attentes sociétales, bouleverse ces dynamiques. Comprendre et agir sur ces phénomènes est devenu crucial pour la performance des entreprises et le bien-être durable de leurs collaborateurs.
I) Comprendre les phénomènes de présentéisme et d’absentéisme.
A) Deux facettes d’une même réalité.
Le présentéisme se définit comme la présence physique d’un salarié sur son lieu de travail alors que son état physique, mental ou sa motivation ne lui permet pas d’être pleinement productif. Cela peut se manifester aussi bien au bureau qu’en télétravail. Historiquement vu comme le simple contraire de l’absentéisme, sa définition a évolué pour inclure diverses formes. On distingue notamment le présentéisme contemplatif, où le salarié est physiquement là mais peu efficace à cause d’une souffrance ou d’une démotivation (pouvant mener au bore-out, cet ennui profond). Le présentéisme stratégique est celui où l’employé prolonge délibérément sa journée pour être "vu" et montrer un faux engagement. Le surprésentéisme, c’est travailler même lorsque l’on est fatigué ou malade, souvent par perfectionnisme ou peur de perdre son emploi. Il existe aussi le présentéisme fonctionnel (bonne performance malgré un souci mineur) et le présentéisme thérapeutique (le travail comme refuge face à des problèmes personnels). Le plus préoccupant est le présentéisme dysfonctionnel, où santé et performance se dégradent mutuellement, augmentant le risque d’un arrêt maladie futur.
L’absentéisme, lui, fait référence aux absences fréquentes et prolongées pour maladie, accident ou raisons personnelles, à l’exclusion des congés prévus. Un concept plus récent, le "leaveisme", décrit l’utilisation des congés annuels pour se reposer d’une maladie, masquant ainsi un mal-être réel et sous-estimant les taux officiels d’absentéisme. Cela révèle une culture d’entreprise où prendre un arrêt maladie est mal perçu, poussant les employés à un "surengagement chronique". Pour les professionnels RH, il est donc essentiel de regarder au-delà des chiffres bruts pour saisir la réalité des comportements de présence et d’absence.
B) Un coût caché pour les organisations.
Les causes du présentéisme et de l’absentéisme sont multifactorielles, mêlant le cadre légal, l’organisation du travail et des facteurs individuels. La législation française impose aux employeurs une obligation de sécurité de résultat en matière de santé physique et mentale des salariés, incluant la prévention des risques professionnels (consignés dans le DUERP). Le non-respect de ces règles peut engager leur responsabilité. Parallèlement, le salarié a des devoirs de sécurité et peut exercer un droit de retrait en cas de danger.
Au niveau organisationnel, une culture d’entreprise trop axée sur la présence est un moteur majeur du présentéisme. La valorisation des heures supplémentaires et la peur d’être jugé en cas d’absence poussent les salariés à venir travailler même non productifs. Une pression hiérarchique excessive, une surcharge de travail chronique et le manque de soutien ou de reconnaissance sont d’autres facteurs déterminants.
Sur le plan individuel, les problèmes de santé physique et mentale (fatigue, burn-out, bore-out) sont des causes directes du présentéisme. La perte de sens et de motivation au travail est aussi fréquemment citée. L’arrivée de la génération Z complexifie le tableau. Cette génération valorise l’équilibre vie privée-vie professionnelle, la flexibilité et la santé mentale, et recherche un management transparent et participatif. Une inadéquation entre leurs attentes et la culture d’entreprise peut entraîner démotivation et désengagement.
Les conséquences sont lourdes. Pour les salariés, le présentéisme dégrade leur état physique et mental, augmentant les risques de maladies chroniques et de burn-out. Travailler malgré la maladie peut empêcher la guérison et mener à des problèmes plus graves. Pour les entreprises, la perte de productivité et la baisse de qualité sont directes. Si l’absentéisme coûte des milliards d’euros par an, le présentéisme est encore plus onéreux, représentant 50 à 60% des journées de travail perdues et coûtant 2 à 4 fois plus cher que l’absentéisme. C’est un coût caché souvent sous-estimé. À cela s’ajoute la dégradation du climat social et de la marque employeur, impactant l’attractivité de l’entreprise.
II) Stratégies et interdépendances pour s’orienter vers une qualité de vie au Travail durable.
A) L’interdépendance des phénomènes et les leviers stratégiques.
Le présentéisme et l’absentéisme ne peuvent être compris isolément ; ils sont intrinsèquement liés et s’influencent mutuellement. Le présentéisme est un véritable "signe de malaise" et un "précurseur" de problèmes de santé futurs. À long terme, cette sur-présence forcée dégrade les conditions de travail et la qualité de vie, augmentant le risque d’absentéisme prolongé. Travailler malgré la maladie peut conduire au burn-out, forçant un arrêt de travail plus long et coûteux.
Cette relation est cruciale, car le présentéisme n’est pas seulement une sous-performance ponctuelle, mais un facteur qui aggrave la santé des employés et mène à des absences futures plus lourdes. Cela crée un cercle négatif qui s’auto-entretient, soulignant l’importance d’interventions précoces sur le présentéisme pour prévenir l’absentéisme. Les efforts pour réduire l’absentéisme doivent donc commencer par une gestion proactive du mal-être qui en est la cause.
Paradoxalement, des politiques RH trop strictes sur le contrôle de l’absentéisme, sans s’attaquer à ses origines profondes, peuvent avoir un effet pervers et augmenter le présentéisme. Cette approche répressive peut inciter les salariés à masquer leur état de santé pour éviter des sanctions. La peur de perdre son emploi ou de ne pas pouvoir être remplacé encourage fortement le présentéisme. Il est essentiel que les RH évaluent l’impact global de leurs politiques et privilégient des stratégies qui favorisent la transparence et la confiance plutôt que la simple conformité. Le stress est un facteur central, ayant le lien le plus fort avec le présentéisme. Il prédispose à la maladie et pousse le salarié à se présenter au travail malgré son état. Les problèmes de santé mentale sont fortement liés aux deux phénomènes. La Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) est donc un enjeu majeur, car le stress et une QVCT dégradée sont des causes profondes de l’absentéisme et du présentéisme. En agissant sur ces racines communes, les entreprises peuvent améliorer à la fois le bien-être des employés et leur performance. De plus, la gestion des ressources humaines a évolué de la qualification vers la compétence.
La qualification était axée sur le poste et l’ancienneté, tandis que la compétence valorise la polyvalence et la réactivité, devenant un moyen essentiel de régulation du marché du travail interne. Atteindre un équilibre effectif-compétence est un impératif stratégique pour aligner les ressources humaines avec les besoins de l’entreprise, tant en nombre qu’en compétences. Cet équilibre est à la fois quantitatif (effectif adapté au volume de production) et qualitatif (salariés avec les bonnes compétences).
Les RH doivent être vigilantes face aux déséquilibres (déficit/excédent quantitatif ou qualitatif) et déployer des stratégies à court terme (heures sup, CDD, CTT) et à moyen/long terme (formation, mobilité interne, Gestion des Emplois et des Parcours Professionnels (GEPP), et en dernier recours les licenciements). Un management par la compétence est indispensable pour la compétitivité, nécessitant une connaissance approfondie des savoir-faire à développer et une promotion active de la formation continue.
B) Exemples d’initiatives réussies et perspectives pour l’avenir.
De nombreuses organisations ont mis en œuvre des initiatives efficaces pour lutter contre le présentéisme et l’absentéisme, démontrant la puissance des approches intégrées. La mise en place de programmes de reconnaissance et de soutien psychologique est un levier puissant. Valoriser les efforts, offrir des perspectives d’évolution, et proposer des lignes d’écoute ou des permanences avec un psychologue du travail améliorent le bien-être et l’engagement. Pour la génération Z, le besoin de reconnaissance et de feedback constant est particulièrement élevé. L’amélioration de l’environnement de travail contribue aussi significativement ; il peut s’agir de créer des espaces agréables, optimiser l’ergonomie des postes et assurer la sécurité réduisent les risques psychosociaux. La génération Z apprécie particulièrement les espaces collaboratifs et conviviaux.
La formation des managers est fondamentale pour une gestion proactive. Sensibiliser les managers aux risques psychosociaux et les former au management bienveillant et à la communication positive leur permet de mieux détecter les signes de mal-être et d’intervenir de manière appropriée. Les jeunes générations attendent un leadership plus humain et attentif à leur bien-être mental. Enfin, l’instauration de politiques RH claires et humaines, en conformité avec le droit du travail, les conventions collectives et les accords d’entreprise, est essentielle. Clarifier les procédures d’absence, mener des entretiens de retour et proposer des plans de retour progressifs rassure les salariés et favorise un climat de confiance, tout en respectant leur droit de retrait en cas de danger. Les entreprises doivent aussi moderniser leur approche du recrutement en utilisant les canaux digitaux (TikTok, Instagram, LinkedIn) et en simplifiant les processus pour attirer la génération Z, qui valorise la rapidité et la transparence. Mettre en avant les engagements RSE et l’impact social de l’entreprise est également un levier d’attractivité majeur.
Le sujet de la lutte contre le présentéisme et l’absentéisme ouvre de vastes perspectives pour les ressources humaines. Malgré l’intérêt croissant, un manque de consensus sur la définition et la mesure du présentéisme persiste, rendant difficile la comparaison des études. Les études empiriques sur sa gestion sont limitées, et il est crucial de développer des typologies plus fines et d’approfondir les autres conséquences du présentéisme.
Ces lacunes offrent des opportunités significatives pour une contribution originale. Il serait pertinent d’explorer l’impact des nouvelles formes d’organisation du travail (télétravail, hybride) sur le présentéisme-absentéisme et la QVCT de la génération Z. On pourrait aussi analyser comment les émotions (culpabilité, peur) influencent le présentéisme, ou comment la culture nationale et organisationnelle modère l’efficacité des initiatives QVCT. Le développement d’une échelle de mesure du présentéisme adaptée au contexte français et l’analyse longitudinale des trajectoires individuelles sont des pistes prometteuses. Enfin, la recherche-intervention peut être un levier puissant pour transformer les pratiques managériales, en intégrant les attentes de la génération Z.
Le présentéisme et l’absentéisme sont des phénomènes complexes et coûteux, profondément interdépendants, qui représentent des défis majeurs pour les organisations contemporaines. Le présentéisme, souvent sous-estimé et plus onéreux que l’absentéisme, agit comme un signal de malaise et un précurseur de futures absences, créant un cycle négatif de dégradation de la santé et de la productivité. Les politiques de contrôle unilatéral de l’absentéisme peuvent paradoxalement aggraver le présentéisme, soulignant la nécessité d’une approche intégrée.
Le stress et la Qualité de Vie et des Conditions de Travail (QVCT) sont des facteurs centraux, et leur gestion proactive est la clé d’une stratégie RH efficace, transformant la QVCT d’une dépense en un investissement stratégique avec un retour significatif. L’intégration de la génération Z et l’évolution des attentes sociétales accentuent la nécessité pour les directions des ressources humaines d’adapter leurs pratiques et de se conformer à un cadre juridique exigeant en matière de santé et sécurité au travail. Une lutte efficace contre ces fléaux ne peut se faire par des mesures isolées ou réactives. Elle exige une vision holistique et proactive, centrée sur le bien-être des salariés, un management bienveillant, une régulation de la charge de travail, et des environnements de travail flexibles et de qualité.
La QVCT n’est plus un simple avantage, mais un levier stratégique de performance et d’attractivité, comme en témoignent les réductions des coûts et les augmentations de productivité observées. Le respect des obligations légales de l’employeur et la promotion des droits et devoirs des salariés sont des piliers fondamentaux de cette démarche. La transition d’une gestion par la qualification vers une gestion par les compétences, et la recherche d’un équilibre effectif-compétence, sont également des axes stratégiques majeurs pour optimiser les ressources humaines et prévenir les déséquilibres qui alimentent le présentéisme et l’absentéisme.