Une situation de plus en plus fréquente.
De nombreux couples, bien que séparés de fait, demeurent juridiquement mariés pendant de longs mois, voire plusieurs années, avant d’espérer obtenir un divorce effectif. Cette attente s’explique par l’allongement des procédures de divorce, qu’il s’agisse de divorces contentieux, toutes juridictions confondues, ou même de divorces par consentement mutuel par acte d’avocats. Dans ce second cas, les délais s’accumulent souvent en raison de l’absence de calendrier, de la nécessité de liquider le régime matrimonial (en présence d’un notaire en cas de biens soumis à publicité foncière, ou via les avocats dans le cas contraire), ou encore de la négociation suivie de la rédaction « à quatre mains » de la convention de divorce par consentement mutuel (qui peut parfois nécessiter plusieurs versions avant finalisation).
Dans ce contexte, nombreux sont les époux qui se demandent s’ils peuvent acheter un bien immobilier seuls durant cette période d’incertitude.
La réponse dépend principalement de leur régime matrimonial, c’est-à-dire des règles qui régissent leurs biens.
Le régime de la communauté réduite aux acquêts : le plus contraignant.
Le régime de la communauté réduite aux acquêts est le régime légal par défaut applicable à tous les couples mariés n’ayant pas signé de contrat de mariage avant leur union. Il concerne environ 85 à 90% des mariages en France.
Le principe est clair : tous les biens acquis pendant le mariage (sauf exceptions prévues par la loi) sont présumés communs, car considérés comme des acquêts de communauté. Peu importe qui finance le bien ou au nom de qui il est acheté, la présomption de communauté s’applique tant que le mariage n’est pas dissous.
Ainsi, même un bien immobilier acheté par un seul des époux avant le prononcé définitif du divorce tombera dans la masse commune, sauf si l’époux-acquéreur rapporte la preuve qu’il a utilisé exclusivement des fonds propres pour procéder à cette acquisition. Un achat mixte (apport assorti d’un prêt) ne peut être envisagé en pareil cas.
Un époux séparé de fait, mais commun en biens qui achèterait seul un bien, s’expose donc à la revendication de l’autre conjoint dans le cadre de la liquidation à intervenir, sauf à prouver l’origine propre des fonds utilisés.
En pratique, il faudra veiller à tracer les flux précisément — pour pouvoir prouver que le bien a été financé à 100% avec des deniers propres — et le notaire en charge de l’achat devra insérer par précaution une déclaration de remploi dans l’acte pour protéger un tant soit peu le conjoint-acquéreur finançant seul le bien via ses fonds propres.
Le régime séparatiste : une liberté d’achat plus grande.
Les époux mariés sous le régime de séparation de biens ou de la participation aux acquêts bénéficient quant à eux d’une plus grande autonomie patrimoniale que les époux mariés sous un régime de communauté. En régime séparatiste, chacun reste en effet propriétaire de ses biens personnels, et les achats effectués avec des fonds personnels appartiennent à celui qui les a financés. Il n’existe ni communauté ni présomption d’indivision. La propriété du bien est directement attribuée à l’acquéreur.
Cette indépendance permet donc à un époux séparé de fait d’acheter seul sans accord préalable de l’autre, le bien étant réputé personnel.
Aucune déclaration de remploi n’est nécessaire, car tout achat réalisé avec ses ressources propres est automatiquement considéré comme un bien personnel.
Le risque de litige ultérieur est donc faible sauf à prouver qu’un financement partiel provient de l’autre époux.
En pratique, certaines précautions demeurent néanmoins utiles :
- si le financement provient de fonds indivis, l’autre époux peut le contester, d’où l’importance de bien tracer les flux ;
- en cas de prêt bancaire solidaire, le conjoint reste parfois co-emprunteur ou caution ;
- enfin, les banques se montrent prudentes : elles exigent souvent a minima une clarification écrite du conjoint non-acquéreur précisant qu’il ne revendiquera aucun droit sur le bien.
Quelques pistes pour faciliter l’achat seul en attendant le divorce effectif.
Quel que soit le régime matrimonial, certaines pistes juridiques permettent d’acheter seul tout en sécurisant l’opération. Pour y parvenir, l’époux peut ainsi envisager de :
1. Financer l’achat uniquement avec des fonds propres ou personnels.
L’époux doit prouver que le financement provient exclusivement de ses biens propres ou personnels. Il peut s’agir soit d’économies antérieures au mariage, soit de sommes provenant d’un héritage ou d’une donation reçu(s) pendant l’union (avec clause d’exclusion de communauté), ou d’un prêt familial justifié par écrit.
En cas de prêt familial, une reconnaissance de dette notariée ou sous seing privé est recommandée pour prouver l’origine des fonds.
En tout état de cause, il est essentiel que le notaire insère une clause de remploi dans l’acte d’achat précisant l’origine des fonds. Il faudra également veiller à ce que cette mention figure également par la suite dans la convention de divorce co-rédigée par les avocats respectifs des époux.
C’est une double précaution obligatoire en présence d’époux communs en biens et utile en présence d’époux séparés de biens.
2. Acheter en indivision avec un tiers de confiance.
On y pense trop rarement mais l’achat en indivision avec un proche (un parent, un frère ou une sœur par exemple, ou encore un enfant majeur) est une solution intermédiaire et parfois temporaire qui présente de nombreux avantages.
Cette formule permet en effet de sécuriser l’achat tout en sortant partiellement du champ matrimonial : le bien appartiendra aux deux acquéreurs (le futur divorcé et son proche) en proportion de leurs apports respectifs, et non plus au couple marié.
L’indivision avec un proche est également un gage de souplesse pour l’époux sur le point de divorcer, car de ce fait il sera à même de protéger son investissement tout en gardant la possibilité, une fois le divorce prononcé, de racheter la part de son co-indivisaire et de devenir pleinement propriétaire du bien.
Mais, cela supposera en amont de l’achat la signature d’une convention d’indivision notariée détaillée qui précisera la répartition des dépenses, l’usage du bien ou les modalités de sortie de l’indivision.
En tout état de cause, il faudra éviter toute confusion des fonds entre le futur divorcé (qui devra utiliser des fonds propres ou personnels) et son proche et veiller à ce que chaque apport soit clairement identifié dans la comptabilité du notaire qui devra en rendre compte.
In fine, séparé non divorcé… et coincé pour acheter ? Pas forcément, on l’aura compris.
Bien que complexe, l’acquisition immobilière par un époux dans la phase précédant le divorce reste possible. Elle est surtout facilitée si (i) le potentiel acquéreur est marié sous un régime séparatiste, si (ii) l’achat se fait au comptant à l’aide de fonds propres ou personnels clairement identifiés, insusceptibles d’être qualifiés de fonds communs ou indivis, sans recourir au financement bancaire, ou encore si (iii) un tiers de confiance vient prêter son concours.
Une telle opération requiert toutefois une parfaite connaissance des régimes matrimoniaux et des incidences juridiques qui en découlent.
Aussi est-il vivement recommandé de se faire conseiller à chaque étape – de l’offre d’achat à la signature de l’acte authentique, assortie ou non d’une convention d’indivision, puis post-achat dans le cadre du divorce et de l’état liquidatif qui devra faire mention de cet achat solo –, afin de sécuriser la transaction et de prévenir tout risque de contestation ultérieur.


