« Pitiez, emparez-vous de la procédure participative ! », c’est en ces termes que le Professeur Natalie Fricero enjoignait aux avocats présents lors d’un colloque organisé par le Conseil national des barreaux (CNB) les 6 et 7 novembre 2015, d’utiliser l’un des nombreux modes de règlement amiable des différends civils.
Le sujet de procédure civile proposé au premier examen national d’entrée à l’école des avocats (CRFPA) début septembre, relatif notamment à l’insertion d’une clause de conciliation préalable, témoigne de la volonté du CNB de sensibiliser les jeunes futurs avocats aux modes de règlement amiable des différends (MARD).
Il ne faudrait pas se méprendre et s’arrêter à la composition du jury confectionnant les sujets de cet examen, présidé par le Professeur Fricero, afin d’en déduire trop hâtivement qu’il s’agit là d’une obstination déraisonnable d’une seule personne pour un sujet accessoire.
Il y a dans notre pays, une réelle volonté de la doctrine, d’inciter les praticiens à user de ces circuits de dérivation du litige (Philippe Théry — RTD civ. 2015. 187, Roger Perrot — RTD civ. 2013. 17, Xavier Lagarde, L’efficacité des clauses de conciliation ou de médiation, Rev.arb. 2000. 396 Bernard Bouloc — RTD com. 2016. 177, Jean-Daniel Bretzner et Quentin Reynier — 14 avril 2015).
Les MARD en droit procédure civile
Pour des raisons de rapidité, célérité et de coût, les modes de règlement amiables des différends (« MARD »), se sont développés dans notre droit ces dernières années, allant parfois jusqu’à réputer une action irrecevable en cas d’absence de tentative de mise en œuvre d’un tel mode.
C’est le cas de l’insertion d’une clause de règlement amiable imposant une conciliation devant un tiers, préalable à la saisine d’un juge. Certes, l’article 56 du Code de procédure civile (CPC) impose dans son avant dernier alinéa au demandeur à l’action de « préciser également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige », sans assortir son non-respect de sanctions. Inefficace selon les uns, novateur selon d’autres auteurs, en tout état de cause, le droit se soucie mieux qu’auparavant de cette nouvelle dimension de la procédure qui vise à dé-judiciariser le contentieux.
Depuis l’entrée en vigueur des dispositions de la loi dite J21 du 18 novembre 2016, la procédure civile cantonne à l’heure actuelle l’obligation de conciliation menée par un conciliateur de justice qu’en cas de saisine du tribunal d’instance pour les litiges d’une valeur inférieure à 4.000 euros. Depuis la suppression des juridictions de proximité à compter du 1er janvier 2017, les tribunaux d’instance sont désormais compétents pour toutes les actions en justice dont la valeur est comprise entre 0 et 10.000 euros, hors compétence exclusive. En cas de non respect de cette règle destinée à épurer les juridictions judiciaires du nombre important de petits litiges lui étant soumis, une fin de non recevoir pourra être opposée au demandeur à l’action (article 843 CPC).
A ce titre, la fin de non recevoir prononcée n’a pas été jugée disproportionnée de la part de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH 26 mars 2015, n°11/23911, D.2016, 449 obs. Fricero).
Les clauses de conciliation préalable
Concernant les modes de règlement amiable préalable institués par les parties à un contrat anticipant un éventuel différend, comme les clauses de conciliation préalable, la position de la jurisprudence de la Cour de cassation à cet égard est pour le moins ambiguë.
Il est acquis que le non respect d’une telle clause par l’une des parties qui saisirait directement un juge serait aussitôt frappé d’irrecevabilité au titre de l’article 122 du CPC (Ch.mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423), non susceptible de régularisation en cours d’instance sur le fondement de l’article 126 du CPC (Cass. Ch. Mixte, 12 décembre 2014, P+B+R+I, n°13-19.684). Cette sanction particulièrement sévère apparaît comme un gage d’efficacité de ces clauses, afin qu’elles ne demeurent pas lettre morte dans le contrat.
Afin de frapper d’irrecevabilité une telle inobservation de la clause, encore faut-il que celle-ci soit valable, et satisfasse à trois conditions de validité. Celle-ci doit être le fruit d’un accord entre les parties, qui impose un préalable obligatoire au juge, et détaille les conditions particulières de sa mise en œuvre.
Là où la jurisprudence de la Cour de cassation manque de lisibilité concerne la dernière condition de validité de ces clauses tenant à la stipulation des conditions particulières de mise en œuvre. L’on imagine une clause qui imposerait expressément un préalable de conciliation devant un arbitre désigné par elles à l’avance, mais sans plus de précisions. Satisfait-elle, selon les juges, à la condition précitée ? C’est par la négative que répond la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 29 avril 2014, abondemment commenté par la doctrine (Cass. Com. 29 avril 2014, n°12-27.004, Bull. civ. IV, n° 76 ; D. 2014. 1044 ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; AJCA 2014. 176, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2014. 655, obs. H. Barbier ; JCP 2014. 607, obs. Croze ; JCP E 2014. 1290, note Dissaux ; LPA 9-10 sept. 2014, p. 14, note Tricoit ; Gaz. Pal. 7-9 sept. 2014, p. 15, obs. Amrani-Mekki).
La solution a pour conséquence que le non-respect de la clause, qui n’est pas valable, faute de satisfaction de la dernière condition, ne rend pas l’action du demandeur irrecevable.
Revirement probable ?
Par une interprétation plus souple, la 3ème chambre civile a jugé récemment que l’absence de telle précision répute la clause valable, et par conséquent son inobservation par une partie rend son action devant le juge irrecevable (Civ. 3e, 19 mai 2016 n° 15-14.464). En l’espèce, la clause stipulait que « pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction ».
Cette décision, qui n’est aucunement un revirement de jurisprudence, apparaît comme un coup de force de la 3ème chambre civile, qui entend renforcer l’efficacité de ces clauses en assouplissant leurs conditions de validité, élargissant indirectement le champ d’application des fins de non-recevoir.
Cela nous interroge nécessairement sur les limites d’une telle jurisprudence. Sous quels termes la clause serait-elle valable et sous quels autres ne le serait-elle pas ? Dois-je stipuler en amont le nom du conciliateur ou sa fonction suffit-elle ? Le délai pour trouver un accord amiable doit-il être encadré ? Quelle forme devra revêtir l’accord ? Autant de questions que soulève cette jurisprudence, auxquelles les tribunaux devront répondre, en l’absence d’un consensus jurisprudentiel.
En attendant une éventuelle décision d’une chambre mixte afin de régler ce manque de sécurité juridique, il est conseillé aux cocontractants de prendre soin de détailler au mieux leurs clauses contractuelles, au risque de se voir opposer une fin de non-recevoir.
La maxime « un mauvaise arrangement vaut mieux qu’un bon procès » est ainsi mise à mal...