Enjeu n°1 : Délocaliser le travail des avocats...
Les avocats ne travaillent plus seulement en cabinet !
Précisons d’emblée que le « cabinet » recouvre plusieurs dimensions : le cabinet au sens de l’équipe, au sens de la localisation de l’activité, enfin au sens de l’espace de travail.
On s’attachera ici au cabinet dans sa dimension d’espace de travail, même si cette réflexion impacte bien évidemment ses autres dimensions.
L’approche de leurs locaux par les avocats est ambivalente… Signe de réussite, situé généralement en centre-ville, si possible spacieux, ils pèsent corrélativement sur leurs finances.
- Exemple type du cabinet « sanctuarisé »...
Alors peut-on se passer d’un cabinet (au sens donc de locaux) ?
La réponse est non si entendue de manière absolue.
L’avocat se doit « physiquement » de rencontrer ses clients et d’échanger avec son équipe.
Un mouvement vers une délocalisation du travail des avocats hors des cabinets semble toutefois, timidement, se dessiner.
Bien sûr la crise sanitaire a contraint nombre de cabinets à appliquer le télétravail, avec d’ailleurs plus ou moins de zèle… Ce télétravail forcé, « dégradé » pour certains, ne suffira pas en revanche à faire intégrer aux cabinets ce mode de fonctionnement s’ils ne sont pas convaincus de ses vertus sur le long terme.
Pour sortir d’un mode de pensée corrélant le niveau de production et de facturation à la présence physique et au contrôle des collaborateurs, il faut mettre en avant les bénéfices d’un travail délocalisé mais encadré (A.), qui peut s’exécuter sous différentes formes (B.).
A. Pourquoi délocaliser le travail des avocats hors des locaux habituels ?
Les bénéfices d’une telle évolution, voire mutation, sont réels. Mails ils nécessitent un accompagnement au sein du cabinet qui peut s’apparenter à un véritable changement d’état d’esprit.
(i) Les bénéfices.
Le premier argument pour inciter les avocats à sortir d’une conception « sanctuarisée » du cabinet est d’ordre financier sous forme d’une optimisation des coûts. On pense en premier lieu à une optimisation du coût du loyer : moins de présence simultanée = moins de besoins de bureaux = locaux potentiellement plus petits = locaux moins chers !
On touche là à la notion de flex office (partage de bureaux) que quelques rares cabinets ont commencé à expérimenter.
Or, introduire du distanciel offre d’autres perspectives. On peut en effet conserver la même surface ou le même nombre de bureaux, mais en louer une partie pour rentabiliser ses locaux, ou mettre à disposer ponctuellement une salle de réunion pour d’autres confrères.
Au-delà de l’intérêt financier, cette nouvelle manière de travailler peut être l’occasion de repenser son espace et de transformer certains espaces de travail individuels en lieux de travail collectifs.
- Un espace collectif de travail
Ces espaces collectifs ne se résumeraient pas à la salle de réunion pour les clients, ou à la cuisine le plus souvent une kitchenette… Ils seraient aménagés (différentes assises et tables de travail, paperboard etc…) à faciliter les échanges et la réflexion d’une équipe ou même de différentes équipes sur les dossiers transversaux.
Ces espaces collectifs font défaut dans l’immense majorité des cabinets précisément parce que les mètres carrés sont précieux et affectés prioritairement aux bureaux et salles de réunion.
Cette réflexion sur le distanciel et l’aménagement en conséquence des locaux aura indéniablement un impact sur la motivation de l’équipe, et donc sa performance.
Travailler ailleurs permet de sortir, même ponctuellement, d’une ambiance qui peut être anxiogène, représenter une possibilité d’échanger avec d’autres confrères (qui peuvent se retrouver dans des espaces tiers dédiés) ou encore représenter une possibilité de travailler sur ses dossiers personnels plus sereinement.
Enfin, il n’est pas inintéressant de mettre en avant cette manière de travailler en termes d’image auprès des clients.
Il s’agit de montrer un exercice plus moderne de la profession, aujourd’hui dans la droite ligne de la propre politique managériale de beaucoup d’entreprises.
Introduire du distanciel suppose toutefois des prérequis d’organisation et un accompagnement de l’équipe.
(ii) Les conditions techniques pour réussir une telle évolution.
Le premier prérequis est bien sûr la sécurité et la confidentialité des échanges, d’une manière générale le respect de la déontologie inhérente à la profession .
En outre, le cabinet doit être avancé dans le processus de numérisation et de partage de ses documents pour assurer une continuité à distance du traitement des dossiers.
De même, il devra peut-être mettre à disposition de ses avocats un ordinateur portable.
Cela représente certes un investissement, mais qui peut être compensé par une gestion optimisée, d’une part, de l’espace et d’autre part, de la motivation et de la performance de l’équipe comme évoqué plus haut.
(iii) Les conditions organisationnelles.
L’externalisation du travail peut aboutir à distendre les liens sociaux, et donc impacter tant la cohésion que le suivi des dossiers.
Il faut ainsi instaurer un planning de la présence de l’équipe, et veiller par exemple à ce qu’au moins un membre de chaque équipe soit tous les jours présent au cabinet, et réfléchir à la répartition des bureaux.
Une telle organisation peut sembler contraignante. Elle nécessite de ce fait à la fois de la progressivité dans sa mise en œuvre et de la pérennité (autrement dit ne pas changer de planning toutes les semaines) pour être acceptable.
Ainsi, au départ, le distanciel pourrait être instauré à raison d’un jour de travail, en fonction aussi du profil de l’équipe.
(iv) Les conditions managériales.
Instaurer du distanciel suppose, outre une organisation rigoureuse, d’anticiper le maintien de la cohésion de l’équipe.
Il faut dès lors mettre en place des moments d’échanges, prioritairement physiques, même informels, comme par exemple institutionaliser un petit-déjeuner hebdomadaire, ce qui milite d’ailleurs pour repenser l’organisation de l’espace du cabinet.
Autre point important : une égalité de traitement doit être respectée. Autrement dit, les collaborateurs doivent être en quelque sorte éligibles au même titre que les associés. Avec bien sûr une phase de transition pour les collaborateurs juniors qui doivent encore gagner en autonomie dans la gestion des dossiers et appréhender le mode de fonctionner du cabinet.
D’autres considérations pourraient être retenues dans la modulation du distanciel comme la distance entre le domicile et le cabinet.
Il est intéressant d’imaginer qu’en fin de compte, instaurer le distanciel amènerait à réfléchir collectif en termes de management et d’espace de travail, ce que les cabinets ne prennent suffisamment pas le temps (ou en compte) lorsque l’équipe est sur place, « à porter de main » quotidiennement.
Ainsi naturellement le travail à distance serait un facteur pour sortir d’une vision strictement hiérarchique, et instaurer de la confiance envers ses collaborateurs qui travailleront aussi bien si ce n’est mieux avec cette flexibilité dans leur organisation de travail.
Cette flexibilité est aussi permise car il existe aujourd’hui différentes modalités pour travailler à distance.
B. Où Délocaliser ?
Il existe deux espaces tiers dédiés au travail délocalisé, hors lieux d’exercice plus ponctuels, comme les transports ou les gares, ou encore les entreprises dans le cadre de mission.
Ces deux espaces sont le domicile (télétravail) et les espaces de coworking.
Ils ne répondent pas aux mêmes considérations, sans être toutefois exclusifs l’un de l’autre
(i) Le télétravail.
Le télétravail n’est évidemment pas nouveau car pratiqué par de nombreux avocats en complément de leur journée de travail (soir et weekend) ou pour gérer un imprévu personnel.
Il a été mis en exergue avec la crise sanitaire, mais de manière forcée et brutale sans possibilité pour une immense majorité de cabinets de s’adapter. D’où l’impression partagée par beaucoup de conditions de travail dégradées.
Le véritable enjeu est d’en poursuivre la mise en place dans le cadre d’une véritable politique dès lors qu’il est souhaité et dans le temps normalement dédié à son activité (et non plus en débordement de ses journées).
Au-delà de la gestion du télétravail au sein du cabinet, une gestion doit également se mettre en place au sein du foyer, notamment :
Se fixer des horaires de travail réguliers,
Organiser un espace de travail dédié et confortable,
Bénéficier d’un équipement adéquat pour assurer la continuité de la gestion des dossiers (visioconférences, messagerie instantanée, scan etc…)
Il s’agit là aussi d’une responsabilité individuelle de respecter ce temps de travail au sein de son espace personnel.
(ii) Espaces de co-working dédiés aux avocats.
- Un "Espace tiers"
Il existe deux types d’espaces tiers :
Ouverts par des personnes extérieures à la profession, comme l’espace Coworka, un coworking dédié aux avocats à Montpellier,
Ouverts par les Ordres comme le CDAAP (Coworking Barreau de Paris).
Ils permettent d’accueillir les avocats dans un espace dédié, respectueux des contraintes de la profession et équipé, tout en sortant du cadre d’un cabinet classique.
(iii) L’un ou l’autre ?
Ces deux types d’espaces ne répondent pas aux mêmes besoins, également selon que l’avocat exerce à son compte ou en tant que collaborateur.
Le télétravail offre une concentration optimisée mais peut entraîner à la longue une certaine solitude, outre la gestion éventuelle de la présence d’une famille. Le coworking permet justement de sortir de ce cadre personnel qui ne convient pas à tous, de rencontrer d’autres confrères, ou de bénéficier d’une salle de réunion pour un client personnel.
Il semble plus difficile, en termes de lisibilité et même d’image, de recevoir des clients du cabinet en dehors des locaux de celui-ci.
Il est vrai, par ailleurs, que si le télétravail peut être entendu par les cabinets, il peut leur sembler plus difficile de prendre en charge du coworking en plus de leurs locaux.
Il est dès lors envisageable pour des avocats exerçant à leur compte comme une alternative, même temporaire, à prendre des locaux fixes, ou pour la gestion de dossiers personnels de la part de collaborateurs.
En conclusion :
Un travail nomade est parfaitement compatible tant avec l’esprit libéral de la profession, qu’avec la nature des prestations qu’elle délivre.
Il doit encore lutter contre un état d’esprit du présentéisme (certainement plus présent dans les cabinets français), et parfois la réticence de certains ordres à sortir du cadre du cabinet « sacralisé » au prétexte de l’image et des règles déontologiques de la profession.
Mettre en avant ses atouts, y compris financiers dans une période économiquement délicate, pourrait représenter une porte d’entrée dans cette réflexion. Réflexion qui est partie intégrante de la modernisation inévitable de la profession à laquelle aspirent à la fois les clients et la nouvelle génération en attente de flexibilité et d’autonomie.
> > A suivre dans cette chronique : "Enjeu n°2 : Faire de son cabinet un outil d’attractivité des clients".