Licenciement d’un salarié refusant la modification de son contrat par APC : le juge contrôle la cause réelle et sérieuse.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Léonie Bergeran, Juriste.

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Explorer : # licenciement # accord de performance collective # contrat de travail # contrôle judiciaire

Dans un arrêt du 10 septembre 2025 (23-23.231) publié au bulletin, la Cour de Cassation affirme qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif du licenciement du salarié consécutif à son refus de la modification de son contrat de travail résultant de l’application d’un Accord de Performance Collective (APC).

Cette appréciation se fait au regard de la conformité de cet APC aux dispositions de l’article L2254-2 du Code du travail et de sa justification par l’existence des nécessités de fonctionnement de l’entreprise, sans qu’il soit nécessaire que la modification, refusée par le salarié, soit consécutive à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète de l’activité de l’employeur.

Cet arrêt doit être approuvé.

-

1) Les faits.

Mme [X] a été engagée en qualité de comptable, le 1ᵉʳ mars 2002, par la société Imerys TC, aux droits de laquelle vient la société Edilians.

Le 12 juin 2018, la société Imerys TC et les organisations syndicales ont conclu un accord collectif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, comprenant les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise.

La salariée ayant refusé la modification de son contrat de travail résultant de l’accord de performance collective (APC), qui lui avait été proposé le 30 avril 2019, a été licenciée le 7 juin 2019.

Contestant la rupture de son contrat de travail, elle a saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La Cour d’appel de Toulouse l’a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause.

La salariée s’est pourvue en cassation.

2) Moyens.

La salariée fait grief à l’arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Elle considère que la Cour d’appel de Toulouse, dans son arrêt du 5 octobre 2023, viole l’article L2254-2 du Code du travail (définissant les modalités de l’accord de performance collective) en considérant qu’il n’incombe pas au juge prud’homal d’apprécier le bien-fondé des objectifs exposés dans l’accord collectif, dès lors qu’ils répondent aux exigences légales.

En outre, la salariée affirme, qu’il appartient au juge de contrôler que l’accord de performance collective a été conclu afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi.

En l’espèce, l’APC conclu par l’entreprise avait pour objectif de « développer son activité afin de devenir le leader français de la tuile en terre cuite ».

Elle soutient alors, que ce motif ne permet pas de considérer son refus de mobilité géographique proposé, comme une cause réelle et sérieuse de son licenciement.

3) Solution.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse.

Au visa des articles 4, 9.1, 9.3 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l’Organisation internationale du travail, la Cour de Cassation considère dans un premier temps, qu’un travailleur ne devrait pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service.

Le tribunal auquel est soumis un recours devra être habilité à examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement ainsi que les autres circonstances du cas et à décider si le licenciement était justifié.

En outre, et qu’en cas de licenciement motivé par les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, le tribunal devra être habilité à déterminer si le licenciement est intervenu véritablement pour ces motifs et l’étendue de ses pouvoirs éventuels pour décider si ces motifs sont suffisants pour justifier ce licenciement sera définie par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, ou par voie de législation nationale.

Enfin, selon l’article L2254-2 du Code du travail, lorsque le salarié refuse la modification de son contrat de travail résultant de l’application d’un accord de performance collective, l’employeur peut engager une procédure de licenciement. Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse.

Il en résulte qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif du licenciement consécutif à ce refus au regard de la conformité de l’accord de performance collective aux dispositions de l’article L2254-2 du Code du travail et de sa justification par l’existence des nécessités de fonctionnement de l’entreprise, sans qu’il soit nécessaire que la modification, refusée par le salarié, soit consécutive à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète de l’activité de l’employeur.

Pour dire que le licenciement de la salariée repose sur une cause réelle et sérieuse et la débouter de ses demandes, l’arrêt constate d’abord que la présentation formelle des dispositions relevant de l’accord collectif de performance sont bien mentionnées dans un chapitre spécifique faisant expressément référence à l’article L2254-2 du Code du travail, de sorte qu’aucune illicéité n’est établie de ce chef.

Il relève ensuite qu’en vertu de cet article, l’accord de performance collective est conclu afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou développer l’emploi et que l’accord collectif litigieux énonce en préambule de l’article 6 relatif à la mobilité professionnelle et géographique interne, au visa de l’article L2254-2 du Code du travail, l’objectif stratégique de développer son activité afin de devenir le leader français de la tuile en terre cuite et développer l’emploi.

Il en déduit qu’il n’incombe pas au juge prud’homal d’apprécier le bien-fondé des objectifs exposés de façon liminaire dans l’accord collectif et ayant conduit à sa négociation dès lors qu’ils répondent aux exigences légales.

En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait de rechercher si l’accord collectif était justifié par les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Ainsi, la Cour de Cassation casse et annule, mais seulement en ce que l’arrêt de la Cour d’appel de Toulouse déboute la salariée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

4) Analyse.

Un accord de performance collective est un accord collectif permettant de négocier des mesures dans trois domaines limitativement énumérés par la loi :

  • l’aménagement de la durée du travail des salariés ;
  • l’aménagement de leur rémunération ;
  • la détermination des conditions de leur mobilité professionnelle ou géographique au sein de l’entreprise.

En cas de refus par un salarié de l’application de l’APC, celui-ci peut être licencié pour
un motif sui generis qui constitue une cause réelle et sérieuse et selon la procédure de licenciement pour motif personnel.

Dans cette décision, la Cour de Cassation affirme qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement du salarié consécutif à son refus de la modification de son contrat de travail résultant de l’application d’un APC (accord de performance collective).

La Chambre sociale énonce qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement du salarié consécutif à son refus de modification de son contrat de travail résultant de l’application d’un APC au regard de la conformité de cet accord aux dispositions de l’article L2254-2 du Code du travail et de sa justification par l’existence des nécessités de fonctionnement de l’entreprise, sans qu’il soit nécessaire que la modification, refusée par le salarié, soit consécutive à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète de l’activité de l’employeur.

Dit autrement, le juge doit rechercher si la conclusion de l’APC est nécessaire par l’existence des nécessités de fonctionnement de l’entreprise.

Dans un arrêt du 2 décembre 2020 (19-11.986) concernant un accord de mobilité interne, la Cour de cassation utilisait le même attendu et affirmait

« qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif du licenciement consécutif à ce refus au regard de la conformité de l’accord de mobilité aux dispositions des articles L2242-21, L2242-22 et L2242-23 du Code du travail et de sa justification par l’existence des nécessités du fonctionnement de l’entreprise, sans qu’il soit nécessaire que la modification, refusée par le salarié, soit consécutive à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète de l’activité de l’employeur » (cf notre article Licenciement suite au refus d’un accord de mobilité interne : quel contrôle du juge ?)

Il faut saluer cette jurisprudence qui garantit au salarié un contrôle même léger de la cause réelle et sérieuse de son licenciement, même si le législateur en a fait un licenciement sui generis.

Sources.

Frédéric Chhum, Avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
et Léonie Bergeran, Juriste
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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