L’obligation pré-contractuelle d’information est un principe fondamental en droit français, destiné à protéger les parties lors de la conclusion d’un contrat, en assurant une transparence sur les éléments essentiels de la prestation ou de l’offre.
L’obligation d’information s’applique à toute relation contractuelle, mais elle est particulièrement importante dans certains types de contrats, comme ceux qui impliquent une relation de consommation (par exemple, la vente de biens ou la prestation de services). Cela impose aux parties de ne pas dissimuler d’informations essentielles qui pourraient influencer la décision de l’autre partie.
Elle se trouve significative dans le secteur du tourisme, un domaine où l’information complète et précise est cruciale en raison de la nature complexe des contrats conclus entre les professionnels du tourisme et les consommateurs. Précisément, ce point ne manqua pas d’être évoqué par la Cour de cassation récemment.
En effet, aux termes d’un arrêt en date du 25 septembre 2024, la cour pose les jalons de l’inévitable articulation entre l’obligation pré-contractuelle d’information spéciale prévue par le Code du tourisme et l’obligation générale de droit commun prévue par le Code civil [1].
Le contexte et les faits.
Rappelons dans un premier temps les faits afin de mieux comprendre l’enjeu juridique.
Une agence de voyage à l’étranger (archipel d’Hawaï) avait vendu à un couple un voyage sur mesure quelques jours avant la date du départ, les clients ayant réglés la totalité du voyage. Cependant, les futurs voyageurs font face à une déconvenue. L’ESTA (Electronic System for Travel Authorization, la demande d’autorisation de voyage aux États-Unis d’Amérique) du couple est refusé car les voyageurs avaient besoin préalablement d’un visa en raison d’un précédent voyage en Iran. Ces derniers ne parviennent pas à obtenir ledit visa à temps en raison de la date proche de leur départ. De ce fait, ils assignent la société de voyage en indemnisation de leur préjudice subi. En cause d’appel, les juges du fond décident de condamner la société à des dommages-intérêts en retenant que celle-ci aurait dû informer le couple de la spécificité administrative de sa situation et des délais nécessaires pour l’élaboration du visa en question. La société voyagiste se pourvoit en cassation car elle estime non seulement avoir donné le conseil nécessaire mais encore que la cour d’appel aurait méconnu la force obligatoire du contrat de vente.
L’arrêt rendu le 25 septembre 2024 n’aboutira qu’au rejet du pourvoi, néanmoins accompagné d’une substitution de motifs.
Il sera opportun, avant de se pencher sur la solution de la cour (III), de rappeler brièvement le cadre juridique de l’obligation litigieuse (I-II).
I - L’obligation pré-contractuelle d’information générale de droit commun.
L’article 1112-1 du Code civil met en exergue l’obligation pré-contractuelle d’information, selon laquelle chaque partie à un contrat doit, avant la conclusion de celui-ci, informer l’autre des éléments essentiels pour qu’elle puisse prendre une décision en toute connaissance de cause. Cette obligation générale découle du principe de bonne foi, qui gouverne les négociations contractuelles.
L’essence de l’article repose sur le caractère déterminant de l’information, qui se veut nécessairement avoir un lien direct avec le contenu du contrat ou les parties. Ici, l’obligation d’information revêt donc une forme générale.
En l’absence d’une information suffisante, le contrat peut être annulé pour vice du consentement, en vertu de l’article 1134 du Code civil, ou bien une action en responsabilité pour dol ou erreur peut être engagée.
Cette obligation est d’autant plus cardinale qu’elle revêt un caractère d’ordre public et donc nul ne peut y déroger, ni la limiter.
L’article 1112-1 du Code civil fait partie des réformes liées à la modernisation du droit des contrats et vise donc à assurer une certaine transparence lors des échanges entre les parties avant la formation du contrat.
II - L’obligation pré-contractuelle d’information spécifique prévue par le Code du tourisme.
Le Code du tourisme impose une obligation spécifique d’information aux professionnels du secteur à l’égard des consommateurs. Selon l’article L211-8 du Code du tourisme, tout professionnel qui propose des prestations touristiques (voyages, séjours, etc.) doit fournir au consommateur un certain nombre d’informations claires, précises et compréhensibles avant la conclusion du contrat. Ces informations couvrent notamment la description des prestations proposées, les prix, les conditions de vente, les modalités de paiement, ainsi que les conditions d’annulation et de rétractation.
L’article R211-4 du Code du tourisme détaille de manière précise les informations devant être communiquées par l’organisateur au consommateur. Notamment, il est question
« d’informations d’ordre général concernant les conditions applicables en matière de passeports et de visas, y compris la durée approximative d’obtention des visas, ainsi que des renseignements sur les formalités sanitaires, du pays de destination ».
L’objectif est de garantir que le consommateur puisse prendre une décision éclairée, en connaissance de cause, avant de s’engager contractuellement.
Cette obligation d’information est d’autant plus cruciale dans le secteur du tourisme, où les prestations sont souvent complexes et non homogènes, et où les attentes des consommateurs sont fortement influencées par la présentation des offres.
III - L’application combinée de l’obligation pré-contractuelle d’information du Code du tourisme et du Code civil.
L’approche de la Cour de cassation.
Le point de départ du raisonnement de la Cour de cassation est la directive (UE) 2015/2302 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées. La cour explicite que « la présente directive n’a pas d’incidence sur les dispositions générales du droit des contrats prévues au niveau national, notamment les règles relatives à la validité, à la formation et aux effets des contrats, dans la mesure où les aspects généraux du droit des contrats ne sont pas régis par la présente directive ».
La question aurait pu faire douter les spécialistes relativement au domaine d’application par rapport aux droits spéciaux.
En effet, ces derniers mois la cour a pu explorer l’articulation de l’article 1112-1 du Code civil avec diverses matières :
- en droit de la consommation avec un arrêt du 20 décembre 2023 se penchant sur les fondements sur lesquels un contrat peut être annulé quand les obligations pré-contractuelles d’information n’ont pas été respectées [2] ;
- en droit bancaire avec un arrêt du 5 avril 2023 sur l’obligation d’information pré-contractuelle en matière d’aval [3]. La chambre commerciale de la Cour de cassation a pu ainsi préciser que l’aval constituant un engagement cambiaire gouverné par les règles propres du droit du change, l’avaliste n’est pas fondé à rechercher la responsabilité de la banque bénéficiaire d’un billet à ordre pour manquement à un devoir d’information au titre de l’article 1112-1 du Code civil.
Si la cour s’est montrée favorable à l’application de l’obligation générale d’information en droit de la consommation, elle en a rappelé les limites en l’excluant dans le cadre d’un engagement cambiaire.
Au cas particulier, à travers l’arrêt du 25 septembre 2024, la Cour de cassation se montre moins hésitante que les juges du fond et procède par voie de substitution de motifs en appliquant l’obligation générale d’information prévue par l’article 1112-1 du Code civil, évitant la cassation de la décision de la cour d’appel.
La cour met en avant l’insuffisance de l’information délivrée par l’agence de voyage, professionnel du tourisme, n’alertant pas les clients sur les risques de ne pas obtenir les documents administratifs leur permettant d’entrer aux Etats-Unis d’Amérique en raison de la date rapprochée du voyage envisagé. D’ailleurs, la motivation de la cour n’est pas sans rappeler les termes de l’article R211-4 du Code du tourisme évoqués plus haut et notamment l’information relative à la durée approximative d’obtention des visas.
Le cumul de l’article 1112-1 du Code civil et des articles L211-8 et R211-4 du Code du tourisme est donc scellé.
Cette application des dispositions générales issues du droit commun des contrats relatives à l’obligation d’information pré-contractuelle aux voyagistes aboutit à une multiplicité de charges à l’égard de ces derniers. En effet, ils devront redoubler de vigilance afin de satisfaire à leur obligation(s) d’information. D’un autre côté, cette approche de la cour semble bien heureuse pour les consommateurs faisant le choix d’une prise en charge par un professionnel dans le cadre de l’organisation de leurs voyages...
Sanctions en cas de manquement à l’obligation d’information.
En cas de non-respect des obligations d’information, le consommateur peut demander l’annulation du contrat ou des dommages-intérêts, à la fois sur la base du Code du tourisme et du Code civil.
Code du tourisme : si le professionnel ne respecte pas ses obligations d’information, il peut être contraint de rembourser le consommateur ou de lui verser des indemnités, notamment en cas de non-respect des conditions de fourniture de services.
Code civil : selon l’article 1112-1, l’absence d’une information déterminante peut également entraîner l’annulation du contrat ou la révision de ses conditions, sous certaines circonstances. Ce manquement pourrait aussi constituer un dol (tromperie), donnant droit à des dommages-intérêts.
Conclusion.
Par conséquent, cette jurisprudence du 25 septembre 2024 pourra sembler redoutable à l’égard des professionnels du tourisme préparant des prestations de voyages sur mesure. Ainsi, le contenu explicite de l’information à délivrer au sein du Code du tourisme se trouve additionné à une plus large marge d’interprétation en droit commun, tant l’article 1112-1 reste plus général.
D’un autre côté, le droit commun aura plus vocation à régir ces diverses situations, faute de dispositions spécifiques.
En somme, l’arrêt du 25 septembre 2024 rejoint celui rendu le 20 décembre 2023 (mentionné plus haut) par cette même chambre s’agissant de l’obligation d’information pré-contractuelle de l’article L111-1 du Code de la consommation.
Ce faisant, l’existence d’une obligation spéciale n’exclut pas l’application de la disposition de droit commun relative à l’obligation d’information pré-contractuelle.
Pour ainsi dire, l’obligation générale d’information reposant sur la bonne foi dont un manquement serait caractérisé par celui qui sait quelque chose de s’être tu, s’imbrique avec l’obligation spéciale d’information prévue par la loi et détachée de cette notion de bonne foi. Donc, que même l’ignorance de telle information prévue légalement par le débiteur pourra conduire à un manquement de sa part en cas de non-délivrance de l’information.
Cette approche de la Cour de cassation favorisant la complémentarité de l’obligation générale avec les obligations spéciales d’information permettrait, à terme, de garantir une protection optimale du consommateur.
Evidemment, la cour alourdit par la même occasion l’obligation d’information pesant sur les voyagistes, dont l’exigence est maintenant double : satisfaire aux conditions du droit commun et du droit spécial.
Finalement, il semblerait que la Cour suprême ne s’arrêtera d’explorer les terrains d’application de cette obligation dont elle en est la source et qui s’est imposée comme un principe majeur du droit des contrats. Il sera aisé de convenir que le spectre de l’obligation générale d’information ne finira pas de planer sur les autres dispositions de droits spéciaux...