Contrairement au juge administratif saisi d’un recours en excès de pouvoir, le juge civil, saisi d’une action en démolition des tiers, apprécie la zone d’implantation d’une construction à la date à laquelle il statue.
Dès lors, il peut prononcer la démolition d’une construction qui a été classée en zone inondable postérieurement à la délivrance du permis de construire.
C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 11 février 2021 [1].
Cette jurisprudence nous donne l’occasion de rappeler le cadre juridique de cette action des tiers en démolition (I) avant de nous pencher sur le contenu de ladite décision, illustration particulièrement frappante de ce régime (II).
I / Le cadre juridique de l’action des tiers en démolition.
Avant l’entrée en vigueur de la loi du 6 août 2015, dite loi « Macron », l’article L480-13 du Code de l’urbanisme ne prévoyait aucune restriction quant à l’action des tiers en démolition dès lors que l’autorisation d’urbanisme obtenue pour l’édification de la construction litigieuse avait été définitivement annulée par le juge administratif.
Dans ces conditions, dès que l’autorisation d’urbanisme avait définitivement été annulée par la juridiction administrative, les tiers disposaient d’un délai de deux ans afin d’agir en démolition devant le juge civil, peu importe où était implantée la construction litigieuse.
Toutefois, la loi « Macron » a entendu mettre fin à cette possibilité étendue en restreignant les conditions d’exercice de l’action des tiers en démolition.
Désormais, en application de l’article L480-13 du Code de l’urbanisme en vigueur, l’action des tiers en démolition n’est possible que sous réserve du respect de deux conditions cumulatives :
Que le permis délivré ait été annulé par le juge administratif (cette condition n’ayant pas été modifiée) ;
Que la construction litigieuse se trouve dans l’une des 14 zones particulières, limitativement énumérées (par exemple : dans les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard, terrestre ou marin ; dans un bande de littorale de cent mètres ; dans les sites inscrits ou classés ; dans le périmètre de servitude des installations classées ou encore abords des monuments historiques, etc).
En ce sens, l’esprit de la loi est bien de limiter l’action des tiers en démolition afin de préserver la sécurité juridique des constructions.
Mais au-delà de la restriction des possibilités d’action des tiers en démolition, il a aussi pour objectif :
D’assurer la protection des personnes et des biens eu regard de la zone d’implantation de leur construction, notamment lorsque la construction est située en zone inondable ou dans le périmètre de servitude d’une installation classée ;
De prévenir et de lutter contre les atteintes que pourraient porter les constructions aux zones au sein desquelles elles sont implantées, par exemple au sein des sites classés ou inscrits, aux abords des monuments historiques ou au sein des sites Natura 2000.
II / Une récente illustration de l’action des tiers en démolition.
La Cour de cassation [2] a récemment eu l’occasion de se prononcer sur la date à laquelle le qualification de la zone d’implantation de la construction devait être appréciée.
A. Première phase : procédure devant le juge administratif.
Dans cette affaire, un couple s’était vu délivrer un permis de construire pour édifier une maison d’habitation en 2010, puis un permis de construire modificatif en 2011.
En 2012, le préfet a classé leur parcelle en zone inondable rouge, dans le cadre d’un plan de prévention du risque d’inondation (PPRI).
En 2015, saisie par un tiers, la juridiction administrative a définitivement annulé le permis de construire obtenu par le couple. Pour quel motif ? Selon la Cour administrative d’appel de Marseille [3], le projet était susceptible de porter atteinte à la sécurité publique, en application des dispositions de l’article R111-2 du Code de l’urbanisme. Le juge avait estimé qu’au jour de la délivrance des permis, le risque d’inondation sur la parcelle était particulièrement important et que d’ailleurs la DDTM avait émis un avis défavorable au projet.
Le juge administratif a-t-il pris en compte le PPRI de 2012 pour annuler les permis de construire ?
Non, car il apprécie en excès de pouvoir la légalité d’un acte au jour de la décision attaquée (soit en l’espèce, en 2010 et 2011). Il n’a donc pas pris en compte le PPRI de 2012, postérieur à la délivrance des permis attaqués.
B. Seconde phase : procédure devant le juge judiciaire.
Bénéficiant d’une décision de justice définitive annulant les permis de construire, le tiers a aussitôt assigné le couple devant le juge judiciaire dans le cadre d’une action en démolition.
La première condition posée par l’article L480-13 du Code de l’urbanisme était donc remplie.
Une question s’est alors posée s’agissant de la deuxième condition : le classement de la parcelle en zone inondable (une des zones permettant l’action en démolition) par le PPRI, bien que postérieur à la délivrance des permis de construire, doit-il être pris en compte par le juge civil ?
La Cour de cassation a jugé dans l’affirmative, au bénéfice des objectifs de protection et de prévention de l’article L480-13 du Code de l’urbanisme.
Conclusions.
Dans le cadre de l’action en démolition de l’article L480-13 du code de l’urbanisme, la condition tenant à l’implantation de la construction attaquée dans une zone particulière s’apprécie à la date à laquelle le juge civil statue, contrairement à la procédure devant le juge administratif.