L’atténuation de la nullité en cascade en droit des sociétés.

Par Aboubacar Idi Chaïbou, Juriste.

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Explorer : # droit des sociétés # nullité des décisions sociales # intérêt social # sécurité juridique

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La nullité en droit des sociétés sanctionne les décisions prises en violation des règles légales. La récente ordonnance de 2025 introduit des mécanismes pour atténuer les effets de cette nullité, permettant au juge de moduler ses conséquences pour préserver l’intérêt social et éviter des annulations en cascade.
Description rédigée par l'IA du Village

Depuis le 1ᵉʳ octobre 2025, l’ordonnance 2025-229 du 12 mars 2025 a introduit des dispositions visant à limiter fortement les nullités dites « en cascade » en droit des sociétés.

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En droit des sociétés, la nullité constitue une sanction grave qui frappe les « décisions sociales » (car l’ordonnance parle désormais de « décisions sociales » au lieu d’« actes ou délibérations » utilisés auparavant par les articles 1844-10 du Code civil et L235-1 du Code de commerce) pris en violation des règles légales ou statutaires.

La nullité en cascade est une situation par laquelle l’annulation d’une décision sociale peut, par voie de conséquence, entraîner la nullité des décisions prises subséquemment.

Avant cette ordonnance, en droit des sociétés, seule la nullité de la société est privée d’effet rétroactif [1]. Ainsi, le phénomène des nullités en cascade qui est un phénomène redoutable, tire sa source de la rétroactivité de la nullité en droit des sociétés. De nouveau, dans une décision récente, la Cour de cassation a décidé que « l’annulation d’une délibération excluant un associé a pour effet de le rétablir rétroactivement dans ses droits d’associé » [2]. Avant cette décision, dans l’hypothèse inverse, les sages avaient déclaré nulles toutes les assemblées générales auxquelles un non-associé avait participé ainsi que les décisions en découlant, à condition que l’irrégularité soit de nature à se répercuter sur le résultat du processus de décision [3].

Ainsi, la nullité n’est prononcée par la cour que lorsqu’elle a une influence sur le résultat du processus de décision.

Toutefois en 2024, la Cour de cassation a prononcé la nullité d’une assemblée générale irrégulièrement constituée en absence de justification d’un quelconque grief [4]. Dès lors, le vote de la personne irregulièrement présente à l’assemblée générale n’a pas eu pour effet de modifier le sens de la décision adoptée pour qu’elle soit annulée.

Au vu de l’insécurité juridique et des conséquences disproportionnées qu’elle engendre pour la vie sociale, l’ordonnance du 12 mars 2025 portant réforme du régime des nullités en droit des sociétés a introduit des mécanismes d’atténuation de la nullité en cascade.

I. La neutralisation des effets de la nullité liée à la nomination ou au maintien irrégulier d’un organe social.

Le premier mécanisme est prévu à l’article 1844-15-1 du Code civil et atténue la nullité affectant la nomination ou le maintien irrégulier d’un organe ou l’un de ses membres. Autrement dit, lorsqu’un membre d’un organe, par exemple un administrateur, un membre du conseil de surveillance, un directeur général ou un gérant, a été nommé de manière irrégulière, c’est-à-dire sans respect de la loi ou des statuts éventuellement, ou que sa présence est irrégulière, car il est révoqué ou que son mandat a expiré, mais qu’il continue à agir.

En effet, cet article prévoit que cette nomination ou ce maintien n’entraîne désormais pas, par ricochet, la nullité des décisions prises par celui-ci. Pour autant, la décision ayant prononcé la nomination irrégulière reste nulle. Pour le maintien irrégulier, c’est aux autres membres ou aux associés de s’assurer de la cessation de cet état de fait.

Le dirigeant ou l’organe nommé irrégulièrement rendrait la rémunération perçue et s’il s’agit d’un maintien irrégulier, la rémunération perçue durant la période de ce maintien. L’objectif est d’assurer la continuité et la sécurisation des décisions sociales, en évitant que des vices de désignation ne paralysent durablement le fonctionnement de la société. Contenu dans le Code civil, ce principe général tend à s’appliquer à toutes les formes sociales.

Cette neutralisation concerne toutes les décisions sociales prises par l’organe ou le membre irrégulièrement nommé ou maintenu, qu’il s’agisse d’organes de direction, d’administration ou de surveillance.

Ainsi, il s’agit aussi bien des décisions dont la nullité est obligatoire que celles qui ne le sont pas. L’article est érigé en un principe général qui vient en substitution aux dispositions spéciales contenues dans le Code de commerce qui ont le même objet que lui. Il s’agit notamment des articles L225-19, L225-22, L.225-48, L225-54, L225-54-1 et L.225-60 du Code de commerce. Ces dispositions ayant le même objet deviennent donc abrogées. Il vient également se substituer aux dispositions spéciales portant sur la nullité qui sont contraires à ses termes [5].

L’article dispose que la loi peut prévoir des exceptions à cette neutralisation, mais à ce jour, semble-t-il qu’aucune disposition légale en vigueur ne vise spécifiquement une telle exception [6].

La principale difficulté avec cette disposition est sans doute sa transposition à l’hypothèse d’une assemblée générale composée de façon irrégulière. Car, une assemblée générale n’est pas un organe permanent à l’image d’un conseil d’administration, mais plutôt une réunion ponctuelle des associés ou actionnaires qui ne font pas l’objet de nomination. Leur présence à l’assemblée n’est due que par leur détention d’une portion de la société.

Donc, la composition irrégulière d’une assemblée des associés, qui peut se traduire, par exemple, par l’absence de convocation de certains associés ou le vote des personnes non habilitées, n’est pas une question de nomination ou de maintien, mais une irrégularité de procédure. Dès lors, cette irrégularité ne peut entraîner la nullité des décisions prises au visa de l’article 1844-15-1 du Code civil, car cette hypothèse n’est pas régie par ce dernier.

II. Le pouvoir du juge de moduler les effets de la nullité.

L’article 1844-15-2 du Code civil pose le second dispositif qui renforce encore cette logique de sécurisation juridique. Le juge dispose désormais [7] de la faculté de différer les effets de la nullité des décisions lorsque la rétroactivité de la sanction serait de nature à produire des effets manifestement excessifs pour l’intérêt social. En d’autres termes, l’annulation n’est pas remise en cause quant à son principe, mais son effet rétroactif peut être neutralisé par le juge. Ce mécanisme permet, par exemple, d’éviter des nullités en cascade.

Ainsi, même si l’article 1844-15-1 demeure difficilement applicable en assemblée générale des associés, la douleur de l’annulation peut être atténuée par le juge qui dispose désormais des pouvoirs pour décider, en prononçant la nullité, de différer ses effets. Si la méthode demeure incertaine, nul doute que les juges, forts de leur ingéniosité, sauront concevoir une voie jurisprudentielle propre à pallier les lacunes laissées par l’article 1844-15-1.

L’application de cet article fait également appel à l’article 1844-12-1 du Code civil qui oblige le juge à pratiquer le triple test [8] avant même de prononcer la nullité ou, du moins, le 3° de cet article qui soumet le juge à vérifier si « Les conséquences de la nullité pour l’intérêt social ne sont pas excessives, au jour de la décision la prononçant, au regard de l’atteinte à l’intérêt dont la protection est invoquée ».

Ainsi, par exemple, si l’annulation d’une décision d’exclusion d’un associé devait remettre en cause toutes les décisions subséquentes et portait atteinte excessivement à l’intérêt social, le juge pourrait limiter la portée temporelle de la nullité afin de préserver la stabilité juridique de la société.

Dans les SAS, par exemple, la suppression de l’alinéa 4 de l’article L227-9 du Code de commerce, qui permettait d’annuler une décision prise en violation des clauses statutaires même si ces clauses ne modifiaient pas une règle impérative, remet en cause [9] l’arrêt Larzul 2 [10] dans lequel le juge, sur fondement de cet alinéa, a annulé les décisions sociales prises en violation des statuts. Le juge pourrait désormais refuser d’annuler les décisions successives prises en violations [11] des statuts en se basant sur les conséquences excessives que cette nullité pourrait produire sur l’intérêt social.

Mais l’absence de cet alinéa 4 n’accorde pas le droit au juge de refuser l’annulation des décisions prises en violation de l’alinéa 2 qui les soumet à la décision de la collectivité des associés, car il s’agit là d’une disposition impérative au sens de l’article 1844-10 du Code civil. Il n’en demeure pas moins qu’un pouvoir de différer les effets, pourrait lui être conféré.

Aboubacar Idi Chaïbou, Juriste en droit des affaires français et OHADA.

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Notes de l'article:

[1Article 1844-15 du Code civil.

[2Cass. com., 18 juin 2025, n° 23-20.593 F-D.

[3Cass. com., 11 oct. 2023, n° 21-24.646.

[4Cass. civ. 3, 13 juin 2024, n° 22-17.764, F-D.

[5H. Le Nabasque, « Présentation de la réforme » BJS juill. 2025, n° BJS203y6.

[6Ibidem.

[7C. Coupet et F. Drummond, « L’ordonnance Nullités : une réforme radicale », BJS mai 2025, n° BJS203w0.

[8H. Le Nabasque, « L’étrange article 1844-12-1 (nouveau) du Code civil », BJS mai 2025, n° BJS203v7.

[9Coupet et Drummond, op. cit.

[10Cass. com., 15 mars 2023, n° 21-18.324.

[11B. Dondero, « SAS et nouveau régime des nullités », BJS juill. 2025, BJS203z2.

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