Face à toute évolution importante naissent des tensions, liées aux craintes et aux enthousiasmes, aux perspectives de risques et de bénéfices... Les évolutions de la Justice n’échappent pas à cette règle et les débats sont animés.
Mais comme la Justice concerne de nombreux professionnels en particulier et à peu près tout le monde en général, comme il y a une tradition du débat en Droit, on aboutit dans les échanges non pas à une volonté de rupture mais plutôt à une recherche de conciliation. Avec un but qui doit dominer, conserver ses valeurs fondamentales tout en s’ancrant dans le futur. Vaste défi...
L’action du roman d’anticipation de Pierre Janot, avocat, se déroule en 2030 ; la Justice est rendue par “Cujas”, un système informatique qui mêle textes de loi et "justice prédictive" [1] pour donner des décisions rapides et "sûres". Le système ayant supprimé toute subjectivité et ce dans un délai record, un monde où les avocats n’ont plus besoin de plaider.
Mais bien entendu certains vont se rebeller...
On le voit, il s’agit là de sujets complètement actuels ! L’auteur y ajoute le thème de l’intelligibilité de la loi, car il prône qu’il ne suffit pas à la Justice d’être juste, il lui faut aussi être comprise... et débattue ("Rien n’est évident. Il n’existe pas d’idée qui ne puisse être débattue").
L’auteur ne condamne pas le système du futur, mais veut visiblement rappeler les fondamentaux de la Justice, du contradictoire (qui a complètement disparu en 2030) : une automatisation complète amènerait à perdre la compréhension de la règle et, surtout, enlèverait au juge et donc à l’être humain, la possibilité d’arbitrer et de se tromper, ou encore de tenir compte d’un contexte spécifique.
L’auteur indiquait récemment à la presse [2] que "la justice, c’est une décision. Mais c’est également une écoute qui évite les phénomènes d’ostracisation et de radicalisation... La justice, c’est du lien social."
Le sujet de l’évolution des lois en lien avec la société est aussi abordé. "Dans mon livre, en 2030, existera le “délit d’instance excessive”. Si un homme regarde trop une femme, celle-ci peut se sentir oppressée et l’homme condamné. Les relations humaines finissent donc par se régler par les réseaux", raconte l’auteur qui estime que "la liberté d’expression est en train de devenir un vrai enjeu. Les organes “officiels” ne pourront plus rien dire et les réseaux sociaux pourront tout dire".
La science-fiction a souvent des décennies d’avance sur la réalité. Cela sera-t-il le cas pour ce roman ? Difficile à dire, mais nous penchons plutôt pour un délai bien plus court [3] : l’auteur s’appuie sur les technologies en débat et en test aujourd’hui (prédictif, automatisation...), ainsi que sur les craintes actuelles de notre société (les parentalités multiples, le climat, l’emploi, l’égalitarisme, la définition juridique des systèmes d’intelligence artificielle... oui tout ça !). Le monde décrit dans le livre est une hypothèse directement liée à ces sujets contemporains ; rien n’interdit donc de penser que ce n’est pas vraiment de la science-fiction, mais une "simple" anticipation de quelques années... une agréable lecture dans tous les cas.
Ce roman nous interroge par rebond sur le sujet de savoir s’il faut refuser le futur par inquiétude et prudence, ou l’accepter en étant vigilant pour en tirer les bénéfices... Des outils comme la charte Ethique de la Legaltech d’OpenLaw sont justement là pour ça... tout comme le débat, récurrent dans cet ouvrage.
Lex humanoïde, des robots et des juges, par Pierre Janot.
Parution décembre 2017.
Accessible dans les librairies traditionnelles et sur le site éditionthot.com
Discussions en cours :
"Justice digitale : Révolution graphique et rupture anthropologique"
de Jean Lassègue et Antoine Garapon
https://www.la-croix.com/Journal/premiers-pas-justice-numerique-2018-04-10-1100930387
A ce sujet notamment...
[Edito dans la Semaine Juridique du 9/4/2018] L’accusé.e et le bénéfice du doute : http://ift.tt/2v35tPi