En l’espèce, un enfant, âgé de deux ans, avait été victime, en 1987, d’un accident de la circulation à la suite duquel il avait subi des lésions corporelles. Une expertise médicale amiable avait été diligentée le 13 mars 1992 afin d’évaluer les séquelles résultant de cet événement. Ce n’est toutefois qu’en 2015, alors que la victime avait atteint l’âge de trente ans, qu’elle fit état d’une aggravation de son état de santé.
Saisi en référé, le juge civil ordonna, en 2017, l’octroi d’une provision à valoir sur l’indemnisation du préjudice allégué, ainsi que la mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire. À l’issue du dépôt du rapport expertal, la victime assigna l’assureur du véhicule impliqué devant le juge du fond, sollicitant la réparation tant de ses préjudices initiaux que de ceux liés à leur aggravation.
Toutefois, les juges du fond déclarèrent irrecevable l’action relative aux préjudices initiaux, considérant que celle-ci était atteinte par la prescription. La demande afférente à l’aggravation du dommage subit le même sort. En effet, la Cour d’appel de Grenoble estima que l’action en indemnisation du préjudice aggravé ne pouvait prospérer qu’à la condition que la responsabilité de l’auteur du dommage fut reconnue, que le préjudice initial eût été déterminé, et que son indemnisation fût établie, qu’elle soit intervenue par voie judiciaire ou transactionnelle. Or, selon les juges du fond, la preuve de ces trois éléments faisait défaut en l’espèce, rendant irrecevable la demande présentée par la victime.
Cette dernière forma alors un pourvoi en cassation, invoquant une méconnaissance du principe de réparation intégrale et reprochant aux juges d’appel de n’avoir pas tiré les conséquences juridiques qui s’imposaient au regard de leurs propres constatations.
La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt d’appel, indiquant qu’il résulte du principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime
« qu’une demande d’indemnisation du préjudice aggravé implique que la responsabilité de l’auteur du dommage ait été reconnue et le préjudice initial déterminé ; statuant ainsi, alors, d’une part, que l’implication du véhicule assuré n’était pas discutée, d’autre part, qu’elle relevait que les préjudices initiaux subis par (la victime) avaient fait l’objet d’une expertise médicale amiable réalisée en 1992 puis d’une expertise médicale judiciaire en 2017, ce dont il résultait que le préjudice initial était déterminé, peu important qu’il ait ou non été indemnisé, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le principe susvisé ».
Ainsi et dans un premier temps, la cour consacre le principe selon lequel l’extinction par prescription de l’action initiale ne saurait faire obstacle à l’introduction d’une action autonome en réparation fondée sur l’aggravation ultérieure du dommage.
En l’espèce, les Hauts magistrats reprochent à la cour d’appel une violation du principe de réparation intégrale, laquelle aurait dû conduire à une solution différente. La responsabilité de l’auteur du dommage n’étant pas contestée, il n’y avait pas lieu d’exiger la production d’un protocole transactionnel préalable ni la preuve de son exécution effective.
Ainsi, la connaissance du dommage initial pouvait être regardée comme suffisamment établie pour permettre l’examen de l’aggravation alléguée, justifiant pleinement la recevabilité de l’action engagée à ce titre.
Secondement, s’agissant de dommages corporels, la Haute juridiction admet la possibilité, sous certaines conditions, de revenir sur l’évaluation initiale du préjudice.
En effet, le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime permet de réajuster le chiffrage originel lorsque la victime parvient à montrer que son état de santé s’est aggravé postérieurement à la décision de justice ou si des préjudices nouveaux apparaissent postérieurement à la demande initiale.
L’aggravation du dommage autorise donc la victime à demander une indemnisation complémentaire pour les préjudices non inclus dans la demande initiale en exerçant une nouvelle action en responsabilité civile auprès du même responsable, sans que lui soit opposée l’autorité de la chose jugée précédemment.
En ce sens, l’alinéa premier de l’article 2226 du Code civil dispose que l’action en responsabilité née à raison d’un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé.
Cette seconde action, en réparation du préjudice aggravé, qui se voit ainsi appliquer un délai de prescription propre qui court du jour de l’aggravation du dommage et est donc autonome.
La dissociation opérée par les juges du fond entre l’action prescrite en réparation du préjudice initial et l’action en réparation du préjudice aggravé dans l’arrêt commenté est par conséquent, tout à fait justifiée.