Le Droit est-il en train de changer ?
"Nous sommes entrés dans une crise globale à l’échelle de la Planète, d’autant plus grave que son fait générateur n’a été anticipé par personne à ce niveau et que les dommages qui vont en résulter ne sont pas encore vraiment mesurables" constate Jean-Charles Simon, Associé du cabinet Simon Associé, membre du réseau Simon Avocats et actif dans les évolutions des offres de droit.
- Jean-Charles Simon
Avocat chez Simon Associés
"La profession d’avocat, si proche des hommes, en est nécessairement affectée. Tous les domaines sont concernés, droit des contrats, sociétés, commercial, social et RH, contentieux, procédure, immobilier, public, données, fiscal, propriété intellectuelle, procédures collectives, concurrence, etc.."
"Définissons d’abord l’échelle du marché" rebondit Louis Buchman, avocat aux Barreaux de Paris et de New York, membre du Conseil National des Barreaux et ancien membre du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris, qui fut souvent un ambassadeur du barreau français à l’étranger. "Parlons-nous du marché du droit en France, en Europe, dans le monde ? Ce n’est pas la même chose.
- Louis Buchman,
Avocat aux Barreaux de Paris et de New York, membre du CNB
Ancien membre du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris
Posons-nous aussi, comme classiquement en droit de la concurrence, la question du marché pertinent : quels sont les divers segments qui composent ce marché ?
Le segment du contentieux (sous-divisé en contentieux social, commercial, civil, administratif, pénal, fiscal, des procédures collectives, de la concurrence etc), le segment de l’arbitrage, celui des fusions-acquisitions, celui des transactions immobilières, celui des restructurations, celui des introductions en bourse, de la blockchain et des crypto-monnaies, celui de la protection de la propriété intellectuelle, et tant d’autres, qui démontrent que la notion même de marché du droit est par nature composite et complexe.
Ceci posé, oui, le marché du droit se transforme localement au gré du temps, en fait il change tout le temps, graduellement et presque insensiblement. Par exemple, le droit maritime encore vivace en France dans les années 70-80 a quasiment émigré en totalité à Londres, le droit de l’environnement a émergé, je dirais presque à sa place.
Le coronavirus a-t-il changé le marché ? Superficiellement et à un instant T oui, en le mettant quasi à l’arrêt, mais sur le moyen ou long terme, il est trop tôt pour le dire. Je dirais a priori non, sauf peut-être pour le segment du droit de la santé, ou droit des sciences de la vie, comme disent nos amis anglais ou américains.
Là, je parierais que des évolutions notables auront lieu très vite, sur les tests cliniques, sur les procédures d’autorisation de mise sur le marché… Une accélération des délais est inévitable, voire une déconstruction de l’empilement bureaucratique de normes réglementaires et administratives."
Parlons maintenant des méthodes, des outils, de la façon d’exercer...
- Dan Kohn
Directeur de la prospective pour le Groupe Septeo
Pour Dan Kohn, Directeur de la prospective pour le Groupe Septeo, observateur impliqué dans les évolutions des professions du droit, "cette crise sanitaire et économique que nous traversons est de manière contrainte un catalyseur de la transformation digitale de la justice et des acteurs qui la compose, un accélérateur de la transition managériale, de la prise de décision en circuit court ; c’est aussi une opportunité pour démontrer son agilité et faire preuve d’initiative et de réactivité.
Dans le même temps jamais les avocats n’ont été aussi sollicités pour apporter un décryptage devant l’afflux de mesures législatives et d’ordonnances impactant le fonctionnement de tout un pays et de chaque pan d’activité. Dans une période où le juriste joue un rôle pivot, c’est une occasion de gagner en efficacité opérationnelle.
J’ai l’occasion d’échanger régulièrement sur ce sujet avec tous les dirigeants de Septeo et des différentes filiales dédiées aux avocats, filiales qui les accompagnent au quotidien dans les évolutions inhérentes à leur profession. Le retour général est que du point de vue organisationnel, structurel et dans la relation client, une partie des avocats avaient déjà amorcé la digitalisation de leur cabinet et ont su s’adapter rapidement à cette situation ; d’autres au contraire ont pris du retard dans l’adaptation à cette crise sanitaire et dans leur plan de continuité d’activité.
Sans aucun doute cela va profondément transformer la relation-client de l’avocat ; on peut y voir un avantage non négligeable s’il celui-ci est en mesure de digitaliser complètement son processus de relation client. De la recherche (bouche à oreille vs recherche via le Net), à l’accessibilité (accueil téléphonique plus ou moins empathique + déplacement + parking + attente dans une salle + retour déplacement + difficulté de se lancer dans une consultation chez un professionnel du droit), de la consultation via visioconférence au paiement en ligne, de la gestion automatisée de son agenda, à la remonté du règlement dans son ERP, du suivi du dossier dans l’espace client qui peut à nouveau servir de prise de RDV à l’externalisation des tâches non productives, l’ensemble de ce process va se digitaliser, c’est inévitable.
Pourquoi ? Parce que les clients ne seront plus près à perdre deux heures dans les transports pour vingt minutes de consultation tout en prenant le risque d’attendre dans un lieu confiné. La barrière de l’accès au professionnel du Droit risque de sauter et cela va être extrêmement bénéfique pour les avocats dès lors qu’ils sauront le mettre en pratique.
La justice ne semble pas faire partie des 17 chantiers prioritaires pour faire redémarrer l’économie et les services de l’Etat. Comment s’organiser pour faire reprendre les audiences, sans affirmer que nous nous dirigeons vers une justice privée ? On assiste à une explosion des recours à des solutions de MARD, en grande partie par voie numérique. Se pose aussi la question des audiences en visioconférence.
Nous voyons aussi l’avocat décodeur, l’avocat éclaireur et l’avocat stratège, qui s’est très rapidement emparé des enjeux de l’information et de la formation au travers de webinaires, podcasts, newsletters.
On remarque encore que la quasi-totalité des cabinets ont entrepris un programme de réduction de coûts en deux étapes :
1 - Dès le début de la crise avec des mesures préventives : renégociation avec les fournisseurs (loyer, télécom…) et réduction de la charge de personnel (fin de mission CDD ou Interim, chômage partiel).
2 - A l’approche du dé-confinement du 11 mai, face à l’incertitude généralisée, l’ajustement des volumes d’activités avec les coûts apparait comme un enjeu majeur. C’est une transformation profonde et durable du marché du travail qui s’annonce. Les cabinets se préparent à une réduction et à une flexibilisation de la main d’œuvre : gel des recrutements, non remplacement des départs et licenciements. Ceux pour qui l’activité reprendra le plus vite, préféreront recourir à de la main d’œuvre externe pour les services administratifs en attendant que la tendance se confirme.
On assiste enfin à un recentrage des activités de l’avocat et à une plus grande transparence dans sa communication et dans le fonctionnement du cabinet ; on en profite aussi pour repenser son modèle économique et on prend le temps de réfléchir à sa stratégie, sa valeur ajoutée et à son positionnement.
On ne parle pas assez des dommages collatéraux au niveau des fonctions supports, administratives, commercial et marketing, étant donné qu’au niveau de la masse salariale, même si ceux-ci peuvent bénéficier des mesures mises en place par le gouvernement, ils risquent d’être les premiers à en pâtir. On va plus avoir recours à une externalisation de ces métiers, pour raisonner en flux tendu.
Enfin, même si les projets nous font vivre et nous permettent de nous projeter dans l’avenir, nous sommes tous entrés dans une phase court-termiste de nos activités, ce qui développe chez nous une plus grande agilité, une capacité d’adaptation et de priorisation."
- Marine Cahn,
Ancienne avocate d’affaires
Partner LEXD
Prenons un peu de recul.
Marine Cahn, ancienne avocate d’affaires et désormais Coach des avocats chez LEXD, nous confie que "la perception du métier par les avocats a changé bien avant la crise sanitaire actuelle. Ce n’est plus un métier dont tout le monde peut vivre facilement.
En revanche, la façon dont chaque avocat aura vécu la période de confinement, notamment au regard de son niveau d’activité, va être déterminante dans la mise en œuvre d’actions concrètes.
Ce qui est vrai, c’est que la crise sanitaire a provoqué chez les gens des réflexions existentielles. Comme pour tout le monde, il y a des avocats pour qui la crise sanitaire a révélé une crise de sens et qui veulent définitivement « changer de job ». Je constate d’ailleurs qu’il n’y a pas nécessairement de correspondance entre les problèmes de trésorerie et la crise de sens qu’ils traversent.
Il y a aussi des avocats qui ont réalisé à quel point leur hygiène de vie professionnelle était mauvaise (trop de stress, trop de travail, pas de temps pour soi) et qui veulent désormais « être aux manettes ».
Si l’on regarde quelques conséquences de la crise du Coronavirus :
1 - Le confinement aura montré qu’un avocat qui travaille de chez lui, c’est possible. On le savait avant pour certains individus mais là, on l’a testé à grande échelle. Est-ce que cela va pour autant démocratiser le télétravail dans les cabinets d’avocats ? Cela pourrait être, en tout cas, une piste à creuser ne serait-ce qu’au regard des difficultés à recruter dans certains domaines et du coût de l’immobilier dans certaines villes.
2 - La fermeture de la majorité des tribunaux aura amené certains avocats à prendre la décision de se développer sur d’autres marchés (la médiation aurait le vent en poupe ..). Cela aura aussi montré à quel point le système judiciaire doit aller un cran plus loin dans sa digitalisation. Il y a un réel marché à développer. La question est de savoir de quelles façons les avocats vont s’y positionner.
3 - Les problèmes de trésorerie des avocats auront convaincu certains de « ne pas grossir » pour conserver un loyer raisonnable et ne pas avoir trop de collaborateurs à leur charge. Le sujet trésorerie aura sans doute aussi permis d’entamer une réelle réflexion sur la modification des process et du business model des cabinets d’avocats."
La suite sur Le Village... "L’Avocat, le Covid-19 et la Société (2) : Résilience... ou transformation profonde et individuelle ?"
Un cheminement de réflexion qui nous amènera vers le Salon Transformations du Droit, l’édition 2020 augmentée du Village de la Legaltech, co-organisé depuis 5 ans par Le Village de la Justice et OpenLaw.
Carrefour des évolutions du droit, ce rendez-vous propose une expérience nouvelle aux participants avec la possibilité de moduler son parcours grâce à ces formats variés : grandes conférences, ateliers collaboratifs et d’idéation, séances de pitchs, exposition et démonstration d’outils.
Cette rencontre entre acteurs du monde du droit, utilisateurs, étudiants et entrepreneurs, sera l’occasion, comme lors des précédentes éditions, d’analyser et de travailler sur les transformations qui agitent les métiers du Droit et le Droit lui-même. Juristes de près ou de loin, à vos agendas ! (19 et 20 novembre 2020 au Palais des congrès, Paris.