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Bail commercial : quelles sont les règles pour le locataire en matière de travaux ?

Par Aubéri Salecroix, Doctorante en Droit.

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Explorer : # bail commercial # travaux # réparations locatives # liberté contractuelle

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La répartition des travaux dans un bail commercial suit les règles du Code civil et est influencée par la loi Pinel. Le bailleur gère généralement les grosses réparations, tandis que le preneur peut effectuer des aménagements légers sans autorisation, mais doit obtenir l'approbation pour des transformations majeures.
Description rédigée par l'IA du Village

La question des travaux dans le cadre d’un bail commercial demeure délicate, tant il est courant que les locaux nécessitent des interventions, allant de simples travaux d’embellissement à des transformations structurelles, en passant par la mise en conformité avec les normes en vigueur.
De telles situations peuvent donner lieu à des tensions entre le bailleur et le preneur, chacun cherchant à déterminer qui devra en assumer la charge, quelle sera l’étendue exacte des travaux et quelles en seront les répercussions, notamment sur le montant du loyer ou sur le sort des lieux à l’issue du bail.

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La répartition des travaux entre le bailleur et le preneur obéit, en premier lieu, aux règles de droit commun issues du Code civil, mais elle a été substantiellement encadrée, pour les baux conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014, par la loi Pinel du 18 juin 2014 et son décret d’application du 3 novembre 2014, aujourd’hui intégrés au Code de commerce.

En principe, il appartient au bailleur de prendre en charge les grosses réparations [1], définies à l’article 606 du Code civil, lesquelles ne peuvent plus, depuis l’entrée en vigueur de la loi Pinel, être transférées au locataire par voie contractuelle. Le preneur demeure donc tenu, en règle générale, des seules réparations locatives énumérées à l’article 1754 du Code civil.

Toutefois, des aménagements conventionnels sont possibles, notamment en ce qui concerne les travaux rendus nécessaires par la vétusté ou par un cas de force majeure. Le caractère supplétif de l’article 1755 du Code civil permet en effet d’en transférer la charge au preneur, sous réserve que cette répartition dérogatoire soit clairement stipulée dans le bail [2]. Ces clauses sont interprétées de manière stricte par la jurisprudence [3] et ne sauraient en aucun cas exonérer le bailleur de ses obligations essentielles, au premier rang desquelles figurent l’obligation de délivrance [4] et la réalisation des grosses réparations relevant de l’article 606 précité.

1. Liberté d’aménager les lieux vs obligation de ne pas transformer sans autorisation.

A. Le principe de la jouissance paisible et le droit d’aménagement.

Conformément à l’article 1719 du Code civil, le bailleur est tenu d’assurer au preneur la « jouissance paisible du bien loué pendant la durée du bail ». Ce principe implique que le locataire puisse aménager les lieux pour les adapter à son activité.

La jurisprudence opère une distinction fondamentale entre :

  • Les travaux d’aménagement léger ou de décoration (cloisons amovibles, peinture, mobilier, enseigne intérieure, installations non fixées au sol ou au mur) : ces travaux relèvent de la liberté du preneur. Ils sont considérés comme des améliorations nécessaires à l’exercice de l’activité commerciale et ne requièrent pas l’accord préalable du bailleur, sous réserve qu’ils ne portent pas atteinte à la structure de l’immeuble ou à sa destination. En effet, la Cour de cassation a pu juger que le locataire commercial est en principe libre de réaliser dans les lieux loués des aménagements ou des améliorations qui ne constituent pas des transformations.
  • Les travaux d’aménagement lourd ou permanents (cloisons fixes, vitrine modifiée, revêtements scellés, cuisine professionnelle installée) : ces travaux nécessitent une appréciation au cas par cas selon leur incidence sur l’immeuble. Dès que les travaux affectent les structures de l’immeuble ou modifient sa destination, ils peuvent être requalifiés en travaux de transformation, soumis à une autorisation expresse.

B. L’interdiction de transformer les lieux sans autorisation expresse.

L’article 1728 du Code civil impose au preneur d’user du bien en « bon père de famille » et « conformément à sa destination ». Dès lors, les travaux qui :

  • affectent la structure (murs porteurs, planchers, toitures, réseaux collectifs),
  • modifient l’aspect extérieur du local (enseignes, vitrines, façades),
  • ou changent la destination contractuelle (transformation d’une boutique en restaurant),
    sont considérés comme des transformations. Or, la jurisprudence est constante : de tels travaux nécessitent l’accord écrit du bailleur, sauf clause contraire du bail.

À défaut d’autorisation préalable, le locataire s’expose à la résiliation du bail, voire à une action en remise en état ou à des dommages-intérêts. La Cour de cassation a maintes fois affirmé que la réalisation de travaux non autorisés peut constituer un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du bail aux torts du preneur.

Il convient également de rappeler que, de façon tout aussi constante, la Cour de cassation maintient que la charge de la preuve des dégradations dans les lieux loués, pendant la durée du bail, incombe au preneur [5] et ce même en l’absence d’état des lieux d’entrée lorsque les travaux n’ont pas été autorisés par le bailleur [6].

C. Qui dépose les déclarations de travaux ?

Le locataire reste responsable des autorisations administratives nécessaires à la réalisation de ses travaux (permis de construire, déclaration préalable, autorisation d’établissement recevant du public - ERP, etc.). Toutefois, la démarche est rarement possible sans la coopération du bailleur, notamment lorsque les travaux portent sur l’extérieur ou les parties communes de l’immeuble.

Le Code de l’urbanisme [7] prévoit que seul le « propriétaire du terrain ou son mandataire » peut valablement déposer une demande de permis de construire ou une déclaration préalable. Il est donc fréquent que le bailleur doive donner mandat ou autorisation écrite au preneur pour accompagner la démarche administrative. À défaut, l’autorisation obtenue par le preneur sans le consentement du propriétaire pourrait être considérée comme irrégulière et potentiellement retirée.

En pratique, le bail commercial doit préciser cette répartition et la procédure d’obtention des autorisations, ainsi que les conséquences en cas de non-obtention ou de non-respect de celles-ci.

2. Incidences des travaux non autorisés en fin de bail et précautions contractuelles.

A. L’incidence des travaux non autorisés en fin de bail.

À la fin du bail, si des travaux de transformation ont été réalisés sans autorisation préalable, plusieurs conséquences peuvent s’ensuivre :

  • Le bailleur peut exiger la remise en état des lieux, à la charge du locataire, souvent sur la base d’une clause de "remise en état en fin de bail". Cette obligation peut être mise à la charge du locataire même en l’absence de clause expresse, sur le fondement de l’usage anormal des lieux.
  • À défaut de remise en état, il peut demander des dommages-intérêts, voire refuser tout renouvellement sans indemnité d’éviction en cas de modification substantielle des lieux sans autorisation.
  • En l’absence de clause contraire, les améliorations ou ouvrages non démontables peuvent devenir propriété du bailleur sans indemnité [8]. Cet article, bien que situé dans les dispositions relatives au droit de propriété, est souvent appliqué par analogie aux baux. La Cour de cassation a précisé que les ouvrages réalisés par le preneur, incorporés au fonds, deviennent en principe la propriété du bailleur en fin de bail sans indemnité, sauf clause contraire ou accord spécifique.

En revanche, si les transformations ont été autorisées, le locataire peut parfois prétendre à une indemnisation ou, au minimum, éviter toute obligation de remise en état, selon les clauses du bail. L’indemnité d’éviction due au preneur évincé, si le bailleur refuse le renouvellement sans motif grave et légitime, doit en principe couvrir le préjudice causé par le non-renouvellement. Elle peut inclure la valeur marchande du fonds de commerce, à laquelle peuvent s’ajouter les frais de déménagement et de réinstallation, ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de commerce de même valeur. La jurisprudence a pu considérer que les travaux ayant augmenté la valeur du fonds de commerce pouvaient être pris en compte dans le calcul de l’indemnité d’éviction.

B. Précautions contractuelles pour anticiper les litiges relatifs aux travaux.

Pour éviter les contentieux, le contrat de bail doit encadrer explicitement les conditions de réalisation de travaux par le locataire.

Les clauses les plus usuelles sont :

  • Clause d’autorisation préalable : elle doit préciser les types de travaux nécessitant l’accord écrit du bailleur (structure, façade, réseaux, etc.) et les modalités d’obtention de cet accord (délais, pièces à fournir, etc.).
  • Clause d’entretien et de remise en état : elle précise la répartition des charges d’entretien et de réparations entre les parties, souvent en dérogeant aux articles 605 et 606 du Code civil. Elle prévoit également l’obligation pour le locataire de remettre les lieux en l’état initial, ou non, en fin de bail. La jurisprudence impose des limites aux clauses de répartition des charges, notamment concernant les grosses réparations de l’article 606 du Code civil. Une clause ne peut pas transférer au preneur des réparations qui intéressent la structure et la solidité de l’immeuble.
  • Clause relative aux autorisations administratives : elle désigne le locataire comme seul responsable de leur obtention, sous réserve de coopération du bailleur si nécessaire (dépôt du permis, par exemple).
  • Clause d’accession : elle précise si les améliorations faites deviennent ou non la propriété du bailleur et avec ou sans indemnité. En l’absence de clause, l’article 555 du Code civil s’applique, mais il est préférable de l’aménager contractuellement pour éviter les incertitudes.
  • Clause d’état des lieux : initial et de sortie, indispensable pour établir la consistance des lieux et évaluer la remise en état. L’absence d’état des lieux d’entrée est préjudiciable au bailleur [9].

La liberté contractuelle autorise aussi certaines pratiques favorables au locataire :

  • Clause de non-remise en état pour certains travaux d’aménagement pérennes utiles au bailleur (ex : installation d’un système de climatisation ou d’un équipement de sécurité).
  • Clause de transfert de propriété avec indemnisation : rare mais utile si les travaux constituent une plus-value objective de l’immeuble, ce qui déroge au principe de l’accession sans indemnité.

Certaines conventions prévoient un accord global, en début de bail, sur un programme de travaux identifiés comme étant nécessaires à l’exploitation (avec ou sans réduction de loyer temporaire). Cela permet de lever toute ambiguïté sur la répartition des charges et les attentes du bailleur.

Pour conclure, en matière de baux commerciaux et spécialement en matière de travaux, la vigilance contractuelle est un impératif.

En effet, si le preneur dispose d’une liberté d’aménagement des lieux, celle-ci trouve ses limites dès lors qu’il s’agit de transformer le bien ou d’affecter la structure du local. Le Code civil ne fournit que des principes généraux, laissant une place essentielle au contrat et à la jurisprudence.

Aussi, la prudence s’impose : toute entreprise de travaux substantiels sans l’accord exprès du bailleur fait courir au preneur un risque juridique important, notamment en fin de bail. Pour sécuriser la relation, il est indispensable d’insérer dans le bail des clauses précises et équilibrées permettant d’anticiper tant la phase d’exploitation que celle du départ du locataire.

Aubéri Salecroix
Doctorante à l’ISCJ de l’Université de Bordeaux
Enseignante à l’Ecole Supérieure des professions de l’immobilier (ESPI)

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Notes de l'article:

[1Cass. Civ. 3ᵉ, 16 mars 2023, n°21-25.106.

[2Cass. Civ. 3ᵉ, 5 octobre 2009, n°98-12.651.

[3Cass. Civ. 3ᵉ, 16 mars 2023, n°21-25.106.

[4Cass. Civ. 3ᵉ, 9 juillet 2008, n°07-14.631.

[5Cass. 3ᵉ civ., 8 avr. 2021 : RG n°20-14.247.

[6Cass. 3ᵉ civ., 25 janv. 2023 : RG n°21-22.311.

[7Notamment l’article R423-1.

[8Article 555 du Code civil.

[9Article L145-40-1 du Code de commerce.

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