Détails du Brevet EP 1 845 961 pour un usage du Rivaroxaban.
La société Bayer intellectual property est titulaire du brevet EP 1 845 961 ("EP 961"), déposé le 19 janvier 2006 portant sur le traitement de troubles thromboemboliques avec du Rivaroxaban et revendiquant un usage du Rivaroxaban dans le cadre d’une administration journalière, par un comprimé à libération rapide.
L’invention couverte par le brevet EP 961 concerne une posologie particulière du Rivaroxaban. La revendication principale du brevet EP 961 est la suivante :
1. Utilisation d’un comprimé à libération rapide du composé de 5-chloro-N-((5S)-2-oxo-3-[4-(3-oxo-4-morpholinyl)phényl]-1,3-oxazolidin-5-ylméthyl)-2-thiophènecarboxamide pour l’élaboration d’un médicament destiné au traitement d’un trouble thromboembolique administré pas plus d’une fois par jour pendant au moins cinq jours consécutifs, dans laquelle ledit composé possède une demi-vie de concentration plasmatique de 10 heures ou moins lors d’une administration par voie orale à un patient humain.
La brevetabilité en tant que telle des inventions de posologie en France a fait l’objet de nombreuses jurisprudences, notamment concernant le traitement d’une même maladie.
Action en nullité de Sandoz et arguments sur l’activité inventive.
La société Sandoz considère que le dépôt du brevet et son maintien n’ont pour unique objectif que de retarder l’entrée de génériques du Rivaroxaban sur le marché et a assigné la société Bayer Intellectual Property GmbH devant le tribunal judiciaire de Paris notamment pour annuler la partie française du brevet EP 1 845 961 B1.
En particulier la société Sandoz conteste l’activité inventive de l’invention revendiquée. Elle avance notamment que le test de posologie pour des médicaments relève notamment « d’essais de routine » et que le régime posologique optimal est une question de routine, le breveter reviendrait à protéger l’autorisation de mise sur le marché et non l’invention.
Elle s’appuie notamment sur des documents de l’état de la technique qui comprend :
- le brevet EP 1 261 606 qui divulgue le Rivaroxaban en tant que tel et mentionne plusieurs molécules qui agissent sur la « cascade de coagulation » par l’inhibition du facteur Xa et a pour objectif de l’inhiber pour le traitement des maladies thromboemliques sans les effets indésirables des anticoagulants existants ;
- des posters/abrégés concernant notamment l’étude de l’innocuité, la tolérance, la pharmacodynamique et la pharmacocinétique du Rivaroxaban, ou l’analyse de sa prise orale sur la production de thrombine. Il s’agit notamment d’études cliniques de phase I (volontaires sains).
Le titulaire soutient notamment dans son argumentaire que :
- le brevet est valide,
- la grande chambre de recours de l’OEB admet explicitement comme brevetable une invention de posologie si celle-ci n’est pas comprise dans l’état de la technique (G 2/08),
- la recherche scientifique repose nécessairement sur des résultats précédents et que les études, particulièrement de phase II, ne doivent pas être considérées comme un travail de routine au risque d’occulter les réalisations accomplies, et alors qu’ils sont majoritairement des échecs.
Décision du tribunal et annulation du brevet.
De manière intéressante, le tribunal dans sa décision indique que les inventions de posologie sont admises par la Cour de cassation et la Chambre des recours de l’OEB, y compris pour le traitement d’une même maladie (Cass. Com. 6 décembre 2017 15-19.726, Ch. des recours OEB grande chambre, 19 février 2010, G 2/08) et examine ainsi la brevetabilité de l’invention revendiquée, en particulier son activité inventive, utilisant l’approche problème solution.
Il ressort de la décision que l’invention diffère de l’art antérieur cité (brevet EP 1 261 606) en ce que :
- le Rivaroxaban est administré via un comprimé à libération rapide,
- à un patient humain pas plus d’une fois par jour pendant au moins cinq jours consécutifs, et
- a une demi-vie de concentration plasmatique de 10 heures ou moins lors d’une administration orale.
Le problème technique posé a été défini comme étant de fournir une première posologie de Rivaroxaban pour le traitement de la prophylaxie et de troubles thromboemboliques.
Les résultats décrits dans le brevet correspondent à un essai clinique de phase II : résultats obtenus sur des patients pas des volontaires sains (art antérieur).
Dans sa décision, une analyse indépendante de chacune des caractéristiques distinctives de la posologie revendiquée à la lumière des documents cités est effectuée. Il est mentionné que la fenêtre thérapeutique du Rivaroxaban n’était pas connue à la date de priorité, que seules des études de phases I étaient divulguées impliquant une vigilance particulière concernant la posologie envisagée, notamment à la lumière d’effets secondaires apparus pour d’autres médicaments de la même classe lors d’essai clinique de phase II.
Concernant le mode d’administration et l’efficacité, la décision, sur la base notamment des études cliniques de phase I divulgués dans l’état de la technique, mentionne que ces caractéristiques sont suggérées/évidentes.
Concernant la prise orale, elle est considérée comme divulguée dans le brevet EP 1 261 606 et les études cliniques de phase I divulguant la pharmacodynamiques du Rivaroxaban, le tribunal considère que l’homme du métier aurait considéré de manière évidente un comprimé à libération rapide.
Concernant le nombre d’administrations, bien que deux prises par jour au stade d’une étude de phase I soient suggérées par l’art antérieur, la décision mentionne notamment qu’un des documents de l’art antérieur étudie, après l’administration d’une dose orale unique, l’innocuité, la tolérance, les effets pharmacodynamiques et le profil pharmacocinétique du Rivaroxaban et suggère « qu’il convient à un schéma posologique une fois par jour », confirmé par les analyses pharmacodynamiques sur 24 heures. Il est ainsi conclu que ces enseignements incitaient fortement l’homme du métier à envisager une posologie une fois par jour.
L’argument du titulaire concernant une « difficulté technique » particulière en lien avec une espérance raisonnable de réussite est évalué dans la décision. En particulier, cet argument est lié à l’incertitude de la fenêtre thérapeutique du Rivaroxaban et sa détermination. En particulier, la détermination de la fenêtre thérapeutique, via des essais cliniques, ne devait être réalisé « qu’avec une grande prudence ». Dans la décision, il est considéré que la difficulté technique soulevée porte sur les tests de phase II envisagés pour confirmer la fenêtre thérapeutique non pas l’invention. Il considère ainsi que la difficulté technique n’est pas démontrée et suppose d’écarter le moyen tiré de l’absence d’espérance raisonnable de réussite pour l’homme du métier. En outre, il est ajouté que les tests auraient, en tout état de cause, été risqués, peu important le nombre de doses administrées et que les déclarations fournies par les experts démontrent que des dispositions pouvaient être prises pour améliorer la sécurité des études éventuellement envisagées par l’homme du métier qui n’aurait pas été désincité à rechercher la solution du brevet. Il est également ajouté que des résultats inquiétants sur un autre composé ne pouvaient conduire à interrompre toute recherche sur la classe de composés.
Le tribunal dans sa décision conclut que l’invention revendiquée d’une posologie constituée d’une administration par jour de Rivaroxaban par un comprimé à libération rapide était évidente. Il ajoute que la seule incertitude de la durée de vie du Rivaroxaban, et la mention d’une demi-vie de 10 heures ou moins, n’est pas de nature, à démontrer le caractère inventif.
Ainsi, le tribunal annule la partie française du brevet EP 1 845 961 B1.
Implications pour la brevetabilité des inventions de posologie.
Cette décision affirme une nouvelle fois et confirme que les inventions de posologie sont admises par la Cour de cassation et considérées comme brevetables par les tribunaux français. Cette considération étant différente de celle mentionnée notamment dans les directives de l’INPI (méthodes thérapeutiques non brevetables (L611-6 CPI)). Cette décision semble donc aller à nouveau dans le sens d’une éventuelle brevetabilité des inventions de posologie en France.
En outre, dans la décision, bien qu’un document cité semble décrire un préjugé/risque, notamment d’effets secondaires, dans la détermination de la posologie « optimale » sur des patients, celui-ci n’est pas considéré comme une « difficulté technique » en lien avec l’invention, étant donné la connaissance des propriétés (pharmacodynamique…) obtenue sur des volontaires sains. Ainsi, une attention particulière doit être apportée concernant la divulgation/communication de résultats obtenus lors des essais cliniques, en particulier de phase I.