Dès 2018, au moment de la notification du Royaume-Uni de sa volonté de quitter l’Union européenne, la Cour européenne de justice avait pu indiquer que la notification par un Etat membre de son intention de se retirer de l’UE ne justifierait pas un refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen (ci-après « MAE ») délivré par les autorités britanniques, au seul motif que la personne remise ne pourrait plus ensuite se prévaloir du droit de l’Union.
La Cour avait néanmoins ordonné à l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier s’il y avait des motifs sérieux de croire que la personne recherchée risquait d’être privée des droits fondamentaux reconnus par la Charte de l’UE à la suite du retrait de l’Etat membre d’émission de l’Union européenne. Un tel risque aurait pu empêcher l’exécution d’un MAE tant que l’État membre d’émission reste membre de l’UE [1].
Désormais, les personnes arrêtées en exécution d’un MAE après la fin de la période de transition, soit après le 1er janvier 2021, ne sont plus soumises à l’Accord de sortie du Royaume-Uni qui renvoyait au droit de l’UE pour la remise [2].
Si les Etats membres de l’Union n’ont pas à vérifier que le cadre de l’Accord de coopération prévoit les mêmes garanties que le droit européen, ils doivent cependant s’assurer que les droits fondamentaux de la personne recherchée, tels que reconnus par la Charte des droits fondamentaux de l’Union, y sont effectivement garantis pour exécuter une demande de remise vers le Royaume-Uni.
Dans ces conditions, il reste à déterminer les modalités de la protection des droits de fondamentaux en matière d’extradition depuis l’Union vers le Royaume-Uni. La mise en œuvre de la protection reposera exclusivement sur les juridictions des Etats membres (I.), pour autant elle ne devrait pas être réduite et demeurera effective (II.).
I. Mise en œuvre de la protection des droits fondamentaux en matière d’extradition vers le Royaume-Uni.
La mise en œuvre de l’Accord de coopération est guidée par le principe de proportionnalité, qui exige que l’émission d’un mandat d’arrêt soit à la fois nécessaire et proportionnée en termes de répression pénale, d’une part, et de sauvegarde des droits de l’homme des personnes poursuivies ou condamnées, d’autre part.
Ainsi, en vertu de l’article LAW.SURR.77 de l’Accord de coopération, lorsqu’elles évaluent la proportionnalité de l’émission d’un mandat d’arrêt, les autorités judiciaires doivent prendre en compte les droits de la personne recherchée et les intérêts des victimes, au regard notamment de la gravité de l’acte, de la peine probable qui serait imposée et de la possibilité de prendre des mesures moins coercitives, afin d’éviter des périodes de détention provisoire inutilement longues.
Par ailleurs, l’article 49§3 de la Charte des droits fondamentaux pose comme principe que l’intensité des peines ne doit pas être disproportionnée par rapport à l’infraction. En principe, il appartenait à l’Etat d’émission de vérifier la proportionnalité du MAE au regard des faits poursuivis avant de l’émettre, afin de conforter le principe de reconnaissance mutuelle [3].
Le Royaume-Uni étant sorti de l’Union, il reviendra donc également à l’Etat de réception de vérifier ce critère à la lumière des droits garantis par la Charte.
Ce d’autant plus que l’Accord de coopération rétabli le principe de double incrimination en son article LAW.SURR.79, en dehors des crimes les plus graves, sauf déclaration express au Comité spécialisé sur la coopération des services répressifs et judiciaires. En vertu de ce principe, la remise est subordonnée à la condition que les faits pour lesquels le mandat d’arrêt a été lancé constituent une infraction au regard du droit de l’Etat d’exécution. A son socle se trouve une certaine défiance à l’égard du système juridique de l’Etat d’émission, plus spécifiquement à l’égard de sa faculté à assurer le respect des droits fondamentaux.
Aussi, sauf déclaration express au Comité spécialisé ou crime d’une gravité particulière, il reviendra aux juridictions des Etats membres de s’assurer que les faits pour lesquels la remise est demandée constituent une infraction au regard de leur droit propre.
Dans ce cadre, l’application conjointe des principes de proportionnalité et de double incrimination amènerait à refuser, au moins partiellement, d’extrader vers le Royaume-Uni un individu contre lequel a été délivré un mandat d’arrêt aux fins d’exécution d’une peine unique en répression d’une infraction unique, alors que certains faits pour lesquels cette peine a été prononcée ne constituent pas une infraction au regard du droit de l’Etat d’exécution [4].
Enfin, la Cour de Justice de l’UE a reconnu la faculté pour l’autorité judiciaire d’exécution de mettre fin à la procédure de remise, lorsqu’une telle remise risque de conduire à un traitement inhumain ou dégradant de la personne recherchée, au sens de l’article 4 de la Charte, lequel correspond à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « CEDH ») [5].
II. Garanties de protection des droits fondamentaux en matière d’extradition vers le Royaume-Uni.
En l’état actuel de sa législation, le Royaume-Uni est parti à la Convention européenne des droits de l’homme et a incorporé notamment les dispositions de l’article 3 relatives aux traitements inhumains et dégradants dans son droit national. Le maintien de sa participation à cette convention n’étant pas lié à son appartenance à l’Union, le Brexit n’a pas d’incidence sur son obligation de respecter l’article 3, auquel correspond l’article 4 de la Charte. Il en va de même pour les autres articles liés aux droits fondamentaux, notamment les articles 6 et 8 relatifs au procès équitable et à la vie privée et familiale.
Par ailleurs, il se peut même que la sortie de l’UE du Royaume-Uni et la mise en œuvre de l’Accord de coopération ait une incidence bénéfique sur la garantie des droits fondamentaux des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt.
Notamment, alors que la décision-cadre avait supprimé l’exception relative aux infractions politiques, cette dernière a été réintroduite par l’article LAW.SURR 82 de l’Accord de coopération. Aussi, il sera désormais de nouveau possible pour les juridictions des Etats membres de contrôler le caractère politique de l’infraction pour laquelle la remise est demandée. Cette possibilité vient élargir le champ, traditionnel en matière de respect des droits fondamentaux, du refus de remise au motif qu’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que la personne est recherchée, non pour une infraction politique, mais en raison de ses opinions politiques, prévu à l’article LAW.SURR.81.
En effet, si elles sont distinctes sur le plan théorique, ces deux exceptions sont en pratique plus ardues à discerner, de telle sorte que la faculté de pouvoir toutes deux les opposer permet de garantir un standard plus élevé de protection contre les persécutions politiquement motivées [6].
Enfin, l’article LAW.SURR.84 de l’Accord de coopération élargit la possibilité qu’à l’Etat d’exécution de demander des garanties à l’Etat d’émission. Le motif supplémentaire n’est pas des moindres puisqu’il s’agit du risque de violation des droits de l’homme de la personne recherchée. Aussi, la sortie du principe de confiance mutuelle et la résurgence d’une méfiance interétatique vis-à-vis des garanties en matière de droits fondamentaux pourrait s’avérer à l’avantage des personnes visées par des mandats d’arrêts vers ou depuis le Royaume-Uni.
En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a expressément proscrit l’extradition vers un Etat où les règles du procès équitable seraient transgressées au motif que :
« le droit à un procès pénal équitable occupe une place éminente dans une société démocratique. La Cour n’exclut pas qu’une décision d’extradition puisse exceptionnellement soulever un problème sur le terrain de ce texte au cas où le fugitif aurait subi ou risquerait de subir un déni de justice flagrant » [7].
Résiduellement, subsiste la question de la faculté de saisir la CJUE d’une question préjudicielle une fois remis au Royaume-Uni. Néanmoins, pour que le droit à un procès équitable soit respecté, il suffit que les voies de recours internes ouvrent bien à l’étranger un recours approprié et suffisant [8]. Dès lors, si les voies de recours sont efficaces au Royaume-Uni, le mécanisme de la question préjudicielle n’entre a priori pas dans le champ des garanties fondamentales en matière de procès équitable et l’impossibilité d’y recourir ne devrait pas justifier un refus de remise.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la Cour de justice de l’UE a d’ores et déjà pu indiquer que :
« d’une part, (…), la personne remise devrait pouvoir invoquer l’ensemble de ces mêmes droits devant une juridiction dudit Etat membre. D’autre part, il convient de rappeler que le recours au mécanisme de la procédure préjudicielle devant la Cour n’a pas toujours été ouvert aux juridictions chargées d’appliquer le mandat d’arrêt européen. En particulier, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 76 de ses conclusions, ce n’est que le 1er décembre 2014, soit cinq ans après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, que la Cour a obtenu pleine juridiction pour interpréter la décision-cadre alors que cette dernière devait être mise en œuvre dans les Etats membres dès le 1er janvier 2004 » [9].