Dans son arrêt de Grande Chambre Beuze c. Belgique rendu le 9 novembre 2018 (nº71409/10), la Cour a jugé que les restrictions au droit d’accès à un avocat par le requérant ont été particulièrement importantes et que la procédure pénale, considérée en son ensemble, n’a pas permis de remédier aux lacunes procédurales qui ont affecté la phase préalable au procès.
Dans cette affaire, le requérant n’a pas bénéficié du droit d’accès à un avocat lors de son placement en garde à vue. Ce droit ayant ensuite été restreint tout au long de la phase d’instruction.
Dans ces conditions, sans information préalable suffisamment claire du droit de garder le silence, le requérant a fait des déclarations circonstanciées, contribuant notamment à s’auto-incriminer devant la Cour d’assises saisie ultérieurement.
La Cour considère que la conjonction de ces différents facteurs a rendu la procédure pénale menée à l’égard du requérant inéquitable et que la procédure, considérée dans son ensemble, n’a pas permis de remédier aux lacunes procédurales survenues durant la phase préalable au procès. Elle conclut qu’il y a donc eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) (droit à un procès équitable) de la Convention.
1. Le recul de la CEDH sur le droit à l’assistance par l’avocat.
Si le constat par la Cour d’une violation du droit au procès équitable paraît a priori satisfaisant au vu des circonstances de l’affaire, le raisonnement opéré par la juridiction européenne des droits de l’Homme marque un recul considérable par rapport au principe dégagé dans son arrêt Salduz c. Turquie en date du 27 novembre 2008 (n°36391/02 ).
En effet, cet arrêt consacrait à l’échelle du Conseil de l’Europe, le droit à l’assistance par un avocat dès les premiers interrogatoires de police. Le défaut d’assistance par un avocat résultant de l’application sur une base systématique des dispositions légales pertinentes « suffit déjà à faire conclure à un manquement aux exigences de l’article 6 » (§56).
Selon la Cour, la seule restriction admise à ce droit ne pouvait résulter que de circonstances particulières et de raisons impérieuses qui bien que réunies, ne devaient en tout état de cause pas indûment préjudicier au droit à un procès équitable de l’intéressé.
Autrement dit, le principe du droit à l’assistance par un avocat dès le moment du placement en garde à vue ou en détention provisoire était consacré par la Cour européenne des droits de l’Homme et ne connaissant d’exception qu’à de strictes conditions : dans le cadre de circonstances particulières et pour des raisons justifiées par des nécessités impérieuses, sans toutefois porter atteinte au droit à un procès équitable.
Le 13 octobre 2009, dans son arrêt Danayan c. Turquie (n°7377/03), la Cour jugea que la restriction systématique, sur la base des dispositions pertinentes du droit interne, au droit d’un individu privé de liberté à avoir accès à un avocat suffisait à conclure à une violation de l’article 6 de la Convention (§33).
Les arrêts Salduz et Danayan constituaient donc un « marqueur » important de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme en matière de droits de la défense et de droit à un procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention.
L’arrêt Beuze c. Belgique du 9 novembre 2018, vient cependant remettre en cause une fois de plus ce qui semblait être de jurisprudence établie comme un principe : le droit à l’assistance par avocat n’est plus un droit inconditionnel.
2. L’appréciation globalisante du droit à un procès équitable.
Ainsi, le raisonnement retenu par la Cour est désormais centré sur l’appréciation de la procédure « en son ensemble », celle-ci devant être globalement équitable pour permettre les dérogations au droit à l’assistance par l’avocat dès les premières heures du placement en garde à vue ou en détention provisoire, y compris lorsque ces restrictions sont générales et non plus seulement propres à des circonstances particulières justifiées par des nécessités impérieuses.
Exit les conditions strictes autorisant les dérogations au droit à l’assistance par l’avocat, il s’agit pour la Cour de savoir si la procédure peut être appréciée comme équitable « en son ensemble » pour remédier aux lacunes procédurales qui ont affecté la phase préalable au procès, c’est à dire l’absence d’assistance par avocat au stade de la garde à vue.
La Cour étend donc considérablement l’appréciation globale de l’équité de la procédure, appréciation qui était apparue dans l’arrêt Ibrahim et autres c. Royaume Uni du 1 septembre 2016 (n°50541/08) mais seulement en présence de circonstances particulières et de nécessités impérieuses justifiant la restriction au droit. La Cour avait affirmé « qu’il faut statuer sur l’existence ou non d’une violation du droit au procès équitable en tenant compte de la procédure dans son ensemble […]. L’absence de raisons impérieuses n’emporte donc pas à elle seule violation de l’article 6 de la Convention » (Ibrahim, précité, §262).
Dans son arrêt Beuze c. Belgique, la Grande Chambre déclare de manière surprenante que dans quelques affaires, elle ne s’est pas interrogée sur l’existence de raisons impérieuses et n’a pas davantage procédé à un examen de l’équité de la procédure, mais a constaté que les restrictions systématiques du droit d’accès à un avocat entraînaient ab initio la violation de la Convention (voir, notamment, Dayanan, précité, § 33, et Boz c. Turquie, no 2039/04, § 35, 9 février 2010).
La Cour évoque néanmoins, que dans la majorité des affaires, elle reconnaît avoir opté pour une approche moins absolue, procédant à un examen tantôt bref [1], tantôt détaillé de l’équité globale de la procédure [2] (Beuze, §140).
L’équité globale de la procédure n’en reste pas moins un critère d’appréciation aléatoire incompatible avec l’exigence de sécurité juridique que requièrent les règles et garanties de la procédure pénale.
Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à la lecture des arrêts de la tristement célèbre affaire Lhermitte c. Belgique, où le raisonnement d’appréciation globale très discutable de la Chambre [3], n’a pas résisté à la nécessité d’un réexamen par la Grande Chambre [4]
Pour conclure son raisonnement dans l’affaire Beuze c. Belgique, la Cour « estime important de souligner, comme elle l’a fait dans d’autres affaires relatives à l’article 6 § 1 de la Convention dans lesquelles un examen de l’équité globale de la procédure était en cause, qu’elle ne doit pas s’ériger en juge de quatrième instance » (§ 194).
Quand la prudence devance la jurisprudence.
La quatrième instance, notion tout aussi juridiquement floue et habituellement employée au stade de l’examen du filtrage, est invoquée ici en matière de droit au procès équitable comme la « marge d’appréciation de l’État » peut l’être concernant d’autres garanties de la Convention.
En l’espèce, la Grande Chambre ajoute que lors de l’examen de l’équité globale de la procédure tel que celui exigé par l’article 6 § 1, que c’est la conjonction des différents facteurs précités et non chacun d’eux pris isolément qui a rendu la procédure inéquitable dans son ensemble.
Par conséquent, le défaut d’assistance par avocat même généralisé par la législation pertinente interne, peut ne pas emporter violation de la Convention dans la mesure où la procédure a été jugée par la Cour comme équitable « en son ensemble ».
Cette appréciation globale de la procédure consacrée par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), fait basculer une jurisprudence de principes en principe de prudence s’agissant du droit à un procès équitable.