1°) Ce qui est gratuit n’est pas sans valeur.
Laissons à d’autres lieux l’histoire de la gratuité.
Des différents objets immatériels que le droit s’efforce d’intégrer, les droits de propriété intellectuelle occupent une place exemplaire. La cession gratuite de droit d’auteur constitue probablement sa forme d’exploitation la plus fréquente, conférences, expositions, affichages [1], nos rues recèlent d’œuvres éligibles à la protection sans que celui dont les sens et l’intelligence sont ainsi stimulés, et l’auteur aient été contraints à une visite notariale !
La cession gratuite est reconnue [2], sans que la pratique ne lui ait ajouté une condition notariale.
Internet a fait de la gratuité une culture. De nouveaux services gratuits devaient être développés [3]. D’où l’extraordinaire essor des licences libres, des licences gratuites, des biens communs et de leurs nombreuses variantes ou wiki. Avec sur l’autre versant de la gratuité, le développement des géants de l’Internet auxquels l’internaute qui accepte l’enregistrement de ses données, leur cède gratuitement. Et l’impressionnante législation sur la protection des données personnelles n’est pas allée chercher la solution dans l’exigence d’un acte notarié. Cette simple évocation des GAFAM rappelle que la gratuité n’est pas sans valeur.
Que nous dit la rumeur pour éviter la nullité de toutes ces cessions gratuites : fixer un prix, sans refléter la valeur réelle des droits cédés puisque leur valorisation nécessiterait des procédures lourdes et coûteuses !
Autrement dit, n’importe quel prix quitte à en détruire la valeur !
2°) Une cession gratuite n’est pas une libéralité.
Cette rumeur reposerait sur l’exigence et la sanction de l’article 931 du Code civil [4]. mais cet article se place à la suite de l’article 893 « Il ne peut être fait de libéralité que par donation entre vifs ou par testament », ce qui limite l’application pratique de ce formalise notarial et que cantonne encore à certaines circonstances la Cour de cassation [5].
A côté des "Libéralités" des articles 893 à 1099-1, le Code civil prévoit d’autres « manières dont on acquiert la propriété » dont le contrat à titre gratuit prévu à l’article 1107. De la libéralité, l’acte gratuit s’en distingue aussi par l’article 1303-1 du Code civil.
Mais pour la rumeur, c’est la libéralité qui deviendrait la règle !
3°) La rumeur s’est emparée de cinq décisions récentes.
Ces cinq décisions sont à regrouper en trois affaires :
- Jugement du tribunal judiciaire de Paris du 8 février 2022 RG numéro 19/14142, et l’arrêt d’appel du 13 mars 2024, RG numéro 22/05440.
- Tribunal judiciaire de Lyon 9 avril 2024 RG numéro 20/05900.
- Ordonnance de référé du Tribunal judiciaire de Paris du 12 avril 2023, 23/50949 et le jugement du 12 juillet 2023 numéro 23/02616 [6].
Pour la rumeur, toutes ces décisions frappent de nullité des contrats de cession gratuite de marque ou de droit d’auteur.
Or, l’annulation du contrat par la Cour de Paris intervient pour vice de consentement [7].
Au jugement du 9 avril 2024, le cessionnaire reconnaît qu’il s’agit d’un acte de cession gratuit et qu’il s’agit d’une libéralité ! Cette démarche, semble-t-il, est motivée par le délai de 10 jours qui sépare ce contrat d’un second contrat à titre onéreux qui s’applique rétroactivement à la date du 1ᵉʳ, l’un et l’autre établis parce que la première lettre de mise en demeure au présumé contrefacteur a été adressée par la holding et non par la société exploitante de la marque. Et la lecture du jugement apprend que ce second contrat prévoit l’annulation du premier contrat ! Que le jugement retienne la nullité du premier contrat n’a donc rien d’étonnant.
Également au jugement du 12 juillet 2023, c’est un accord mais cette fois entre les parties au litige, qui reconnaît la nullité du contrat « Le tribunal relève qu’en l’espèce, la fondation acquiesce à la demande de l’auteur tendant à voir prononcée la nullité du contrat de cession de droits portant sur l’œuvre « ZOV » conclu le 6 septembre 2022, aux motifs qu’elle n’avait pas la capacité juridique pour recevoir une libéralité autre qu’un don manuel, que les prescriptions d’ordre public de l’article 931 du Code civil, qui exigent à peine de nullité qu’une donation entre vifs soit conclue par acte notarié, n’ont pas été respectées, et que les conditions de l’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle, qui imposent une mention distincte, dans le contrat de cession de droits, pour chaque droit cédé et la délimitation précise du domaine d’exploitation, n’ont pas davantage été remplies.
Le tribunal constate donc l’accord des parties et déclare nul, dans son intégralité, le contrat de cession … ».
Quant à l’ordonnance de référé du 12 avril 2023 rendue dans la même affaire, elle indique seulement « il est donc possible que cet acte conclu sous seing privé soit nul ».
Resterait que le jugement du 8 février 2022, mais l’arrêt d’appel comme il a été dit ci-dessus, s’il confirme la nullité du contrat, abandonne la motivation au visa de l’article 931 du Code civil.
Arrêtons la rumeur.