Le Village de la Justice : Pourquoi avoir choisi d’exercer en France et à l’étranger ? Pourquoi le barreau de Barcelone ?
Emilie Poignon : Ce n’est pas un projet de carrière, mais un concours de bonnes circonstances qui m’a emmenée à exercer mon métier d’avocate à Paris et à Barcelone. Dans le cadre de ma collaboration libérale dans un cabinet d’avocats sur Paris, j’avais parmi mes contacts un cabinet international à Barcelone qui m’adressait des dossiers à traiter en France. J’ai pris conscience qu’il existait un réel besoin d’accompagnement en droit pour les Espagnols vivant et/ou travaillant en France et inversement. Ainsi, lorsque j’ai pris la décision de me mettre à mon compte, j’y ai vu une opportunité d’installation (confortée par mon plaisir à vivre en Espagne lors de mon année Erasmus). J’ai donc débuté à Barcelone comme avocate communautaire, puis j’ai passé une équivalence en droit espagnol pour gagner en compétence et avoir le titre d’“abogada”. Rapidement, j’ai vu le potentiel de développement de l’activité en ayant cette double compétence.
Quel(s) intérêt(s) revêt un tel exercice du métier d’avocat, que ce soit pour le professionnel lui-même ou ses clients ?
« Ce que j’apprécie dans cette manière d’exercer mon métier, c’est de bénéficier d’une double culture juridique, de bénéficier de deux formations continues afin d’être continuellement à jour en droit espagnol et droit français pour mes clients. Mes deux appartenances s’enrichissent mutuellement. Cela me donne la capacité de faire des ponts entre les systèmes. C’est passionnant intellectuellement.
Pour le client français, il est rassurant d’avoir accès à un avocat qui parle sa langue maternelle, qui peut le guider, le conseiller dans un droit qui lui est inconnu ».
Quelles sont les spécificités, les différences les plus marquantes de cette double appartenance à un barreau français et à un barreau espagnol, que ce soit dans l’exercice de votre profession (organisationnelles, juridiques, formation, relation client...) ou dans leur façon d’aborder le droit ?
« L’aspect culturel est très important, je suis avant tout Française exerçant à titre principal dans un pays qui n’est pas le mien. Mes clients sont majoritairement Français.
Les relations entre confrères sont moins guindées qu’en France. Il y a moins de formalismes dans les échanges, que ce soit à l’oral comme à l’écrit. Bien sûr, la confraternité reste forte que ce soit en Espagne ou en France.
Sur le plan juridique, une des grandes différences entre la France et l’Espagne, ce sont les délais de procédure. En Espagne, ils sont très courts, à titre d’exemple, le délai pour contester une mesure de licenciement est de 20 jours ouvrables (contre 12 mois en France), celui pour répondre à une assignation est de 20 jours ouvrable. Il faut donc être hyper réactif et accompagner efficacement ses clients face à ces délais très courts. Autre exemple, en Espagne, il n’existe pas de commissaire de Justice, les notifications sont faites par les tribunaux, ce qui allonge les délais de traitement ».
Comment s’organise votre travail et votre temps entre vos deux barreaux d’exercice ?
« Avocate en droit du travail et des affaires ; je propose un accompagnement des entreprises françaises en Espagne et des entreprises espagnoles en France et je me rends une fois par mois en France.
Je me suis intéressée très tôt à la communication digitale et continue à tester des méthodes nouvelles de gestion de cabinet (automatisation des tâches, digitalisation).
Même si ma vie se passe majoritairement en Espagne, j’ai conservé mon appartenance au Barreau de Paris, car j’y ai un attachement personnel. De plus, même si cela a un coût, je souhaite conserver les avantages liés à l’appartenance à ce barreau, que ce soit pour la "marque" barreau de Paris, pour ses formations ou encore pour sa couverture professionnelle ».
Quels conseils transmettriez-vous à un(e) avocat(e) tenté(e) par l’aventure de l’avocature dans deux barreaux, dont l’un à l’étranger ?
« Voici mes conseils à celles et ceux qui souhaitent exercer en France et à l’étranger. Il faut veiller à bien se renseigner sur les conditions d’accès au barreau étranger [3].
Je leur conseillerai de se spécialiser sur un domaine de compétence de niche et de communiquer dessus un maximum et de se rapprocher d’un collectif de confrères exerçant dans ce même domaine.
Enfin, il ne faut pas rester isolé, il est important de faire partie d’une association d’avocats exerçant à l’étranger. Pour ma part je fais partie de l’APPEAL-E, une association du Barreau de Paris, regroupant les confrères exerçants aux quatre coins du globe.
Dans tous les cas, lancez-vous, l’expérience est belle et enrichissante et il y a de la place pour les avocats français à l’étranger ».
Le parcours d’Émilie Poignon :
Après un Master II en droit international à Paris X, elle devient juriste d’entreprise. Suite à un remplacement en cabinet d’avocat, elle découvre vraiment ce métier et veut en faire le sien. Elle passe le CRFPA tout en étant en parallèle assistante de justice spécialisée en Propriété Intellectuelle (TGI Paris).
En 2013, départ pour Barcelone où elle exerce en tant qu’avocate indépendante avec pour domaine d’expertise le droit du travail et des affaires.
Liens utiles :
- Directive (98/5/CE) du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 pour pouvoir exercer la profession dans un autre pays ;
- Directive (77/249/CEE) du Conseil du 22 mars 1977 tendant à faciliter l’exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats
- Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat ;
- Admission d’un avocat d’un État membre de l’Union européenne ;
- Vade-mecum de l’exercice international.


