Par Alexandre De Lorgeril, Avocat.
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  • 1re Parution: 18 septembre 2023

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Prescription et vices cachés : la Cour de cassation clarifie les règles applicables.

Par un arrêt siglé B+R rendu le 21 juillet 2023 (Cass. ch. mixte, 21 juill. 2023, n° 20-10763), la chambre mixte de la Cour de cassation a remis à plat les règles de la prescription d’une action en garantie contre les vices cachés, qui avait longtemps opposé les chambres civiles.

La situation factuelle, parfaitement courante, est la suivante : une Société A confie des travaux de charpente, couverture et bardage à une société B (constructeur).

Cette société B s’approvisionne en matériaux de constructions, en l’espèce des plaques de fibrociment, auprès d’une société C (fournisseur) laquelle s’était elle-même fournie auprès d’une société D (fabricant).

Les plaques sont livrées par la société C à la société B le 31 décembre 2003.

Un désordre survient, avec des infiltrations dans la toiture.

Le 29 juillet 2013, la société A fait assigner le constructeur en référé-expertise. Le fournisseur sera assigné en intervention forcée le 17 septembre 2013, et le fabricant quelques mois plus tard.

1. Prescription et vices cachés : état du droit antérieur.

Dans une telle situation, la thèse généralement soutenue en défense des vendeurs était la suivante :

S’agissant d’une vente impliquant un vendeur commerçant, il était fait application de l’article L110-4 du Code de commerce lequel prévoit un délai de prescription de 5 ans depuis la réforme de 2008 (10 ans auparavant).

Il était également considéré que, dans le cadre d’une vente, le point de départ du délai de prescription de droit commun, prévu par l’article L110-4 du Code de commerce, se situait au jour de la livraison [1] :

En outre, il était souligné que le délai spécial de l’action en garantie des vices cachés devait être considéré comme enfermé dans le délai de prescription de droit commun [2], de sorte que lorsque le délai de droit commun avait expiré, l’acheteur n’est plus recevable à agir [3].

Appliqué au faits de l’espèce, cet ensemble de règles conduisait à retenir que l’action engagée est prescrite :

  • Délai de prescription de 10 ans qui a commencé à courir le 31 décembre 2003, puis un nouveau délai de 5 ans a commencé à courir le 18 juin 2008 en application des dispositions transitoires de la réforme de 2008 ;
  • La prescription de l’action a ainsi été acquise le 19 juin 2013 ;
  • Le délai biennal de l’action en garantie des vices cachés est enfermé dans ce délai ;
  • De sorte que l’assignation délivrée le 17 septembre 2013 est tardive.

La Cour de cassation, déjà saisie une première fois dans cette affaire, puis la cour d’appel de renvoi de Poitiers, dans son arrêt rendu le 26 novembre 2019 objet du second pourvoi, avaient d’ailleurs fait application de ces règles et retenu que l’action engagée était prescrite.

De la même façon, plusieurs cour d’appel, comme la Cour de cassation à plusieurs reprises, avaient statué en ce sens et validé cette interprétation des textes.

Pour autant, la jurisprudence n’était pas homogène.

Ainsi, postérieurement à la réforme de 2008, comme le souligne la Cour de cassation dans cet arrêt (§24), les différentes chambres avaient commencé à retenir que le point de départ du délai de prescription de l’article L110-4 du Code de commerce commence à courir non au jour de la livraison mais au jour « où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer », sur le modèle du droit commun de l’article 2224 du Code civil.

Cet ensemble de règles était également vivement critiqué par les conseils de maître de l’ouvrage, qui ne manquaient pas de rappeler en défense que la prescription ne peut courir qu’à compter du jour où celui contre lequel on l’invoque a pu agir valablement. Or la prescription commençait à courir alors même que le vice caché ne s’était pas encore révélé.

Il était donc utile de remettre les choses à plat, ce que fait la chambre mixte de la Cour de cassation dans cet arrêt.

2. Prescription et vices cachés : nouvelles règles applicables.

Dans son arrêt du 21 juillet 2023, la chambre mixte de la Cour de cassation énonce deux règles importantes :

1) Le point de départ du délai de prescription de l’article L110-4 du Code de commerce « ne peut que résulter du droit commun de l’article 2224 du Code civil ».

Il ne court donc pas à compter du jour de la livraison, mais à compter du jour « où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

La Cour de cassation résume ainsi la situation (§25) :

« Il s’ensuit que le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du Code civil et L110-4, I, du Code de commerce se confond désormais avec le point de départ du délai pour agir prévu à l’article 1648, alinéa 1, du Code civil, à savoir la découverte du vice ».

Ce changement, qui résulte de l’entrée en vigueur de l’article 2224 issu de la loi du 17 juin 2008, était attendu au regard de l’évolution jurisprudentielle rappelée supra.

2) Le délai spécial de l’action en garantie des vices cachés n’est pas enfermé dans le délai de prescription de droit commun.

La Cour de cassation souligne en effet que le seul délai butoir prévu par le Code civil est celui de l’article 2232 du Code civil, également issu de la loi du 17 juin 2008 :

« 26. Dès lors, les délais de prescription extinctive des articles 2224 du Code civil et L110-4, I, du Code de commerce ne peuvent plus être analysés en des délais-butoirs spéciaux de nature à encadrer l’action en garantie des vices cachés.

27. Il en résulte que l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l’article 2232 du Code civil, de sorte que cette action doit être formée dans le bref délai, devenu un délai de deux ans, à compter de la découverte du vice, ou, en matière d’action récursoire, à compter de l’assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie ».

Il convient de souligner que la Cour de cassation a rendu quatre arrêts le même jour sur ces questions [4].

Ces arrêts sont très favorables pour les maîtres de l’ouvrage et constructeurs, qui voient leur possibilités d’agir considérablement allongées.

Naturellement, ces nouvelles règles sont mécaniquement défavorables aux fabricants et, dans une moindre mesure, aux vendeurs, qui bénéficieront de ces nouvelles règles pour obtenir la garantie du fabricant.

Si ces arrêts semblent vouloir apporter de la clarté dans les règles applicables, nous ne pouvons que regretter l’application de ces délais de prescriptions « glissants » avec des points de départs impossibles à anticiper.

Se pose en outre la question de la durée de conservation des documents comptables et surtout des factures, qui est de 10 ans, alors qu’un contentieux pourrait désormais survenir après expiration de cette durée.

Nous ne pouvons dès lors que conseiller aux vendeurs et fabricants de rallonger en interne cette durée de conservation, tout en veillant à être en mesure d’établir la traçabilité des produits, enjeu fondamental pour le vendeur qui souhaiterait obtenir la garantie de son fabricant.

Alexandre De Lorgeril,
Avocat au barreau de Nantes
Lallement Soubeille & Associés
Société d’Avocats à Nantes
www.lallement-soubeille.com

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Notes de l'article:

[1Cass. com., 5 février 2013, n° 11-25.491 ; Cass. 3ème civ., 7 janvier 2016.

[2Ici, article L110-4 susvisé.

[3Cass. com., 5 février 2013, n° 11-25.491 ; Cass. 3e civ., 16 novembre 2005, n° 04-10.824.

[4Pourvois n° 21-17789, n° 21-15809 et n° 21-19936.

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