Cette technologie fait parler d’elle depuis de nombreuses années [2] car elle rend problématique, par sa capacité de stockage quasi illimitée, la question des vidéothèques personnelles numériques en risquant d’impacter les autres fenêtres d’exploitation (rediffusions TV, SVOD, etc.).
Surtout, du fait de sa similarité d’usage avec le magnétoscope - qui a toujours été encadré par le régime de l’exception de copie privée sans que cela ne fasse débat - la question de son extension au NDVR se pose avec acuité.
Ainsi, la France a adopté le 7 juillet 2016, à l’occasion de la « loi Création », une disposition faisant entrer le NDVR dans la rémunération pour copie privée.
Juridiquement, cette approche a cependant suscité de nombreuses interrogations – dont les nôtres - sur la conformité du système notamment à la Directive 2001/29.
Les enjeux en présence sont les suivants :
- Les opérateurs peuvent avoir intérêt à bénéficier du régime de copie privée, en évitant une négociation avec les ayants droit et en valorisant un service avec plus de liberté ;
- Les organismes de gestion collective ont intérêt à soutenir l’extension de la rémunération pour copie privée qui constitue une source importante de revenus ;
- Les chaînes sont les acteurs lésés de cette option. Elles sont à l’origine de la création de valeur, financent en tout ou partie le programme, sa promotion, la fabrication du signal, en permettant l’accès, voire la diffusion. Elles pâtissent en grande partie du système : la visualisation du programme peut échapper à la comptabilisation de l’audience, et diminue l’intérêt d’une seconde diffusion. De plus, à la différence des producteurs et des auteurs, elles ne bénéficient pas – étrangement – de la rémunération pour copie privée ;
- Les ayants droit étrangers – hors UE et surtout américains – subissent quelque peu le même sort puisqu’ils ne bénéficient pas de la rémunération pour copie privée tout en perdant le contrôle sur la valorisation de chaque fenêtre d’exploitation.
D’aucuns espéraient que l’arrêt du 29 novembre 2017 rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne allait éclaircir le sujet.
L’affaire VCast c. RTI [3] s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence de la CJUE au sujet de la copie privée et de ses évolutions, mais n’apporte pas de réel bouleversement au système existant.
La société anglaise VCast propose à ses utilisateurs sur internet un système d’enregistrement vidéo à distance d’émissions de télévision italiennes transmises par voie terrestre en clair, parmi lesquelles figurent celles de l’opérateur RTI (Mediaset). Les programmes choisis par l’utilisateur sont alors captés par les antennes hertziennes de VCast et enregistrés dans un espace de stockage puis mis à disposition de l’utilisateur.
Tandis que VCast souhaitait faire reconnaître la légalité de son activité en invoquant à son profit le bénéfice de l’exception de copie privée (article 5.2 b) de la directive 2001/29), RTI avait obtenu en référé l’interdiction pour VCast de poursuivre ses activités d’enregistrement, forçant la juridiction italienne à s’en remettre à la CJUE pour déterminer si le service proposé par VCast – sans autorisation des titulaires de droits concernés – était ou non conforme à la législation européenne.
La CJUE considère qu’en reproduisant et en mettant à disposition des œuvres protégées, le service en question réalise une communication au public qui nécessite d’être soumise à l’autorisation du titulaire de droits. La transmission d’origine par RTI et celle réalisée par VCast constituent des communications au public différentes, en ce qu’elles sont « effectuées dans des conditions techniques spécifiques, suivant un mode différent de transmission des œuvres et chacune d’elle est destinée à son public » [4] .
Une lecture hâtive de l’arrêt pourrait conduire, à tort, à considérer que la CJUE s’est clairement prononcée contre l’encadrement du NDVR par l’exception de copie privée. En réalité, les juges luxembourgeois se sont contentés de souligner que la fourniture d’un accès aux émissions dont il était proposé de procéder à leur copie n’avait pas été autorisée, et ont dit n’y avoir « plus lieu de vérifier le respect des conditions qu’impose l’article 5 paragraphe 5 » de la directive - lequel contient le fameux « test des trois étapes ».
En l’espèce, on peut distinguer trois étapes techniques majeures dans le service de VCast, aucune n’ayant fait l’objet d’une demande d’autorisation. Cette société capte le signal hertzien, reproduit le programme qu’il contient (acte éventuellement exempté d’autorisation), puis met ce programme à disposition d’un utilisateur, en streaming ou par téléchargement.
Finalement, la CJUE se concentre sur le troisième acte pour juger de l’illicéité du service. Le premier acte est presque passé sous silence. Quant à la reproduction pour copie privée, elle est rapidement évacuée en considérant qu’elle peut s’appliquer par l’intermédiaire d’un tiers, ouvrant la possibilité d’inclure des services de cloud dans l’exception de copie privée [5] .
Et c’est en cela qu’on reste sur notre faim.
Si VCast avait capté le signal en streaming [6], donc par le flux Internet de la chaîne, pour le retransmettre en streaming, la similarité technique aurait-elle justifié la légalité du service ? La CJUE aurait-elle dû dans ce cas vérifier l’existence d’un public nouveau ?
Si l’opérateur – tel qu’un fournisseur d’accès internet offrant des services de télévision – a obtenu un accord de la chaîne pour distribuer son signal en IPTV, peut-il mettre en place un service de NDVR, sans une autorisation spécifique, alors que la communication de l’enregistrement se fera selon des modalités techniques différentes (streaming par exemple, et à la demande) ?
Ainsi, la Cour ne donne que peu d’éléments de réponse à la question de savoir si un État membre de l’Union européenne demeure libre d’étendre ou non la redevance pour copie privée au Cloud dans le cadre d’un service de diffusion linéaire autorisé par les chaînes, comme l’a fait la France avec la loi Création permettant à des acteurs tels que Molotov.tv de proposer des services d’enregistrement dans le Cloud.
C’est que le cas de l’espèce était trop différent et rappelait étrangement l’affaire Wizzgo jugée en 2011 par la cour d’appel de Paris [7] . Celle-ci avait essentiellement fondé sa décision sur la notion matérielle du copiste : celui qui fait la copie (Wizzgo ou VCast), doit être celui qui en bénéficie (l’utilisateur final).
En réalité, cette notion de copiste semble dépassée pour appréhender la question du NDVR et la CJUE se concentre essentiellement sur la mise à disposition de la copie.
En ce qui concerne la France, rappelons que la Commission pour la copie privée a finalement arrêté son barème [8] de rémunération pour copie privée pour les services d’enregistrement dans les nuages dont Molotov.tv est le principal redevable. A quelques jours seulement de la décision commentée, Molotov.tv a d’ailleurs pris la décision de réduire son offre gratuite (en passant de 10h à 8h de stockage), lui permettant de réduire sa facture en passant dans la première tranche de tarifs.
Enfin, à titre d’ouverture, on pourra noter que la Cour confirme également un autre point qu’elle avait déjà jugé dans l’arrêt ITV Broadcasting. Ce n’est pas parce qu’un signal est non crypté et accessible en mode hertzien qu’il peut être librement repris et exploité par un tiers. Ce qui devrait faire plaisir aux chaînes gratuites qui cherchent à être rémunérées.