I. Cadre juridique et fonctions du commentaire d’expertise.
1. Une pièce jointe recevable, même hors expertise judiciaire.
Lorsqu’une expertise est versée au dossier, son contenu peut être discuté à l’audience, mais aussi complété ou critiqué par des pièces annexes, comme le prévoit l’article 16 du Code de procédure civile (principe du contradictoire). Ainsi, un commentaire d’expertise, émanant d’un professionnel qualifié, peut :
- soulever des erreurs méthodologiques,
- pointer des biais d’interprétation,
- ou révéler un défaut d’impartialité.
L’article 243 du Code de procédure civile permet également de demander une contre-expertise lorsque “le rapport d’expertise n’apparaît pas suffisamment motivé ou objectif”, ce que peut démontrer un commentaire rigoureux.
2. Trois fonctions principales du commentaire.
Évaluer la rigueur de l’expertise (forme et fond) :
Objectivité du ton, respect des protocoles, citations des tests utilisés, logique des conclusions.
Vérifier la pertinence scientifique des tests et diagnostics :
Par exemple : un diagnostic de TSPT sans passation de test PCL-5, ou un MMPI interprété sans mention des échelles de validité.
Analyser le lien causal et temporel :
Le commentaire peut questionner l’imputation des troubles à l’événement en cause, surtout en cas de facteurs antérieurs négligés.
II. Ce qu’un commentaire peut révéler : points de vigilance.
1. Biais de confirmation et hypothèses non vérifiées.
De nombreuses expertises confondent récit subjectif et faits établis. Par exemple, un expert peut reprendre tel quel le récit d’une partie sans le croiser avec d’autres sources, ni vérifier la plausibilité clinique.
Exemple typique : « M. présente un trouble anxieux réactionnel au licenciement subi ». Or, aucune passation de test validé ne figure dans l’annexe, et l’entretien s’est limité à 45 minutes.
Le commentaire pourra ici rappeler la nécessité d’un croisement méthodologique (triangulation) : entretien, tests, documents tiers.
2. Absence de tests ou choix inadaptés.
Certaines expertises reposent uniquement sur un entretien libre, sans test psychométrique, ou mobilisent des outils mal adaptés au contexte.
Le commentaire pourra ici démontrer :
- l’inadéquation de l’évaluation,
- le non-respect des standards de la psychologie clinique,
- voire un manque de neutralité méthodologique.
3. Méconnaissance des troubles de la personnalité.
Un point fondamental souvent négligé dans les expertises : la structure de personnalité du sujet. Or, un profil borderline, narcissique ou dépendant peut influencer le vécu d’une situation conflictuelle, sans invalider nécessairement la plainte.
Le profilage clinique, s’il est mené avec prudence et méthode (ex. MMPI-2-RF, SCID-II, TCI), permet de mieux comprendre :
- la vulnérabilité préexistante ou la fragilité de fond,
- la manière d’interpréter les événements,
- le type de rapport à l’autre (position de victime, conflit d’abandon, besoin de reconnaissance, etc.).
Un commentaire peut ainsi enrichir l’analyse du lien causal entre faits et conséquences.
III. Cas fictif : un exemple de renversement grâce à un commentaire.
Contexte.
Mme D., cadre dans une entreprise de conseil, saisit les prud’hommes pour harcèlement moral. L’expertise psychiatrique diligentée par le défenseur conclut à une “plainte non spécifique, sans éléments psychopathologiques majeurs”, et évoque un “fonctionnement hystériforme”.
L’avocate de Mme D. commande un commentaire d’expertise à un psychologue indépendant.
Apports du commentaire.
Le commentaire révèle :
- Aucune échelle d’évaluation des troubles n’a été utilisée.
- Le qualificatif “hystériforme” n’est défini nulle part, et relève d’une terminologie obsolète (non conforme au DSM-5).
- Le rapport ignore plusieurs documents produits par la plaignante (mails, attestations, arrêts de travail).
- L’entretien a duré 30 minutes sans recueil structuré de l’anamnèse.
Le psychologue rédacteur du commentaire propose une lecture rigoureuse du cas, avec hypothèses alternatives, rappelant la nécessité d’une évaluation fondée sur les critères DSM, d’un test de retentissement émotionnel (BDI-II) et d’un examen de la dissociation (DES-II).
Conséquence.
Le conseil de prud’hommes, saisi de cette pièce, demande une contre-expertise. Celle-ci conclut à un TSPT complexe avec évitement et dissociation partielle, compatible avec les faits allégués. Le dossier bascule.
IV. Recommandations pratiques aux avocats.
1. Savoir quand commander un commentaire.
- Expertise trop rapide, floue ou non motivée,
- Terminologie désuète ou floue (“psychorigide”, “immature”, “émotive”),
- Diagnostic posé sans test,
- Conflit d’intérêts potentiel,
- Incohérence entre faits et conclusions.
2. Bien choisir l’expert-commentateur.
Privilégier un psychologue clinicien formé à l’expertise judiciaire, connaissant le DSM-5, la psychopathologie adulte, les outils psychométriques et les contraintes rédactionnelles juridiques.
3. Anticiper l’usage du commentaire.
Le commentaire peut :
- être versé en pièce complémentaire à l’audience,
- servir de base à une demande de nouvelle expertise (article 243 CPC),
- orienter la stratégie de défense ou de négociation amiable.
Conclusion.
Trop souvent perçu comme un simple avis, le commentaire d’expertise est en réalité un outil puissant d’analyse, de critique et de rééquilibrage des rapports de force judiciaires. S’il est bien construit, argumenté et documenté, il peut permettre de révéler des angles morts dans une expertise, d’ouvrir la voie à une contre-expertise, voire de faire basculer l’issue d’un dossier.
Il impose, pour cela, une maîtrise à la fois clinique, méthodologique et juridique. En intégrant les principes de la psychologie fondée sur les preuves, mais aussi les exigences du droit (contradictoire, impartialité, clarté), le commentaire d’expertise s’impose comme un levier d’objectivation dans un monde où le subjectif est omniprésent.


