Ainsi, la Juridiction Unifiée du Brevet a récemment rendu sa première interdiction provisoire dans une affaire de biosimilaire opposant Alexion à Amgen et Samsung Bioepsis, deux fabricants d’un biosimilaire de l’eculizumab. Alexion s’appuyait sur la demande de brevet EP 3,167,888 [1], qui a fait l’objet d’un opt-out (i.e., exclusion de la compétence de la JUB pour ce titre) en mai 2023, avant que l’opt-out ne soit retiré en janvier 2024. Cette demande de brevet porte sur le traitement des patients atteints d’hémoglobinurie paroxystique nocturne à l’aide de l’éculizumab. L’éculizumab est commercialisé par le titulaire du brevet sous le nom de « Soliris ». Alexion a déposé deux demandes d’interdiction provisoire auprès de la division locale de Hambourg de la JUB le 19 mars 2024. Les deux demandes ont été rejetées et le breveté a été condamné aux dépens.
Cette affaire « eculizumab » s’inscrit dans le cadre d’un litige global entre les entreprises concernées. Aux États-Unis, les mêmes demandes ont également été rejetées. En Allemagne, le tribunal régional supérieur de Munich a récemment annulé une injonction préliminaire fondée sur l’exclusivité des médicaments orphelins d’Alexion, qui avait été imposée par le tribunal de première instance de Munich en mai 2023. Amgen a également lancé une procédure d’annulation au Royaume-Uni à l’encontre d’un brevet Soliris en mai 2023.
Peu après le dépôt des demandes d’Alexion à Hambourg, le 9 avril 2024, Novartis et Genentech ont déposé des demandes du même type visant Celltrion, sur la base du brevet EP 3 805 248 [2], lequel revendique l’anticorps anti-IgE commercialisé sous la dénomination Xolair® (omalizumab) [3] avec une formulation tampon spécifique. Le brevet européen de base de Genentech pour Xolair® a expiré en mars 2024 et n’a pas fait l’objet d’un opt-out. Il a également fait l’objet d’une procédure d’opposition de l’OEB lancée par Celltrion en octobre 2023. Celltrion a déposé un mémoire de défense préventif auprès de la JUB (dit « Protective Letter ») en décembre 2023 et la JUB a fixé un délai au 10 mai 2024 pour la réponse de Celltrion à cette demande. Le litige a été entendu par quatre juges de la CUP le 31 juillet 2024, le jugement a été rendu le 6 septembre 2024 : la division locale de Düsseldorf a rejeté la demande de Novartis et Genentech jugeant qu’il n’y avait pas de menace imminente de contrefaçon.
Par ailleurs, le 13 mai 2024, Sanofi a lancé quatre actions en contrefaçon contre Dr. Reddy’s Laboratories, Stada, Accord Healthcare et Zentiva. Ces actions concernent le Jevtana® (cabazitaxel) [4], lequel est destiné au traitement du cancer de la prostate métastatique résistant à la castration (mCRPC). Ce médicament est confronté à la concurrence des génériques depuis l’expiration de son exclusivité réglementaire par Sanofi en mars 2021. Sanofi a l’intention de contrer cette concurrence par le biais d’un nouveau brevet de deuxième application thérapeutique (EP 2,493,466 [5]). Il convient de noter que ce brevet a déjà été confirmé par l’Office Européen des Brevets dans le cadre d’une opposition, mais que cette décision fait actuellement l’objet d’un appel.
L’affaire Jevtana® n’est pas seulement le premier litige « classique » entre médicaments princeps et médicaments génériques à être soumis à la JUB, mais aussi l’une des premières affaires concernant des petites molécules à être portées devant celle-ci, alors que les affaires précédentes concernaient des médicaments biologiques. Si la JUB confirme la validité du brevet EP’ 466, les fabricants de génériques pourraient faire l’objet de demandes d’interdictions provisoires et de dommages-intérêts dans tous les pays membres de la JUB. En revanche, si le brevet est annulé, les fabricants de génériques éviteront de telles sanctions. Une audience devrait avoir lieu en mars 2025, de sorte que les décisions devraient être rendues au cours du second semestre 2025.
L’issue de ces dernières procédures, engagées par Novartis et Genentech ainsi que par Sanofi, est très attendue, car elle pourrait bien préfigurer l’avenir des litiges pharmaceutiques devant la JUB. Ainsi, pour répondre à la question du titre de ce document, il est encore trop tôt pour tirer des conclusions sur la position de la JUB vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique. Il n’en demeure pas moins que les premières décisions ont envoyé des signaux défavorables aux brevetés et que les décisions à venir seront sans doute déterminantes pour l’avenir même des litiges pharmaceutiques devant la JUB.