30 ans de la jurisprudence Morsang-sur-Orge : le respect de la dignité humaine célébré.

30 ans de la jurisprudence Morsang-sur-Orge : le respect de la dignité humaine célébré.

Propos recueillis par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la Justice

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Explorer : # dignité humaine # droit administratif # ordre public # jurisprudence

C’est un GAJA. Comprenez : un Grand Arrêt de la Jurisprudence Administrative.
Pour ceux qui l’ont étudié, il s’écrit ainsi : Conseil d’État, 27 octobre 1995 - Commune de Morsang-sur-Orge. Et il est connu par ses faits (peu croyables) : l’affaire du "lancer de nains". Derrière ces références, il y a une décision de justice, celle par laquelle le Conseil d’État fait de la dignité humaine une composante de l’ordre public.
30 ans après cet arrêt essentiel, la commune a souhaité lui "redonner ses lettres de noblesse" autour d’un évènement qui se tiendra sur plusieurs jours en octobre 2025 [1], sur le thème du respect de la dignité humaine. Nous y avons vu une façon peu commune de rendre le droit plus accessible et de récréer du lien entre les citoyens et le droit (et ses professionnels), un des sujets évoqués dans notre entretien avec Marianne Duranton, la maire de la commune.

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Village de la Justice : Quelles sont les origines de cet évènement ?

M. Duranton

Marianne Duranton : « Fin des années 90, une discothèque de Morsang-sur-Orge (l’Embassy Club), organisait des lancers de nains pour s’attirer une clientèle. Il s’agissait en l’espèce de lancer un cascadeur de petite taille le plus loin possible.

Le maire de l’époque, Geneviève Rodriguez, informée de cette pratique, décide de l’interdire, jugeant qu’elle était "contraire à la dignité humaine". Le cascadeur et son employeur, mécontents de cet arrêté du Maire, décident de saisir le tribunal administratif qui annule l’arrêté, considérant que le maire n’était pas habilité à interdire cette activité dans la mesure où il n’y avait pas de "trouble à l’ordre public". La commune fait appel devant le Conseil d’État qui, le 25 octobre 1995, donne raison au maire, considérant que les faits interdits par lui portent atteinte au principe de la dignité humaine qui constitue un ordre public immatériel justifiant cette interdiction.

Depuis 1995, tous les étudiants en droit, étudient l’arrêt de Morsang-sur-Orge et plaisantent sur "le lancer de nain" alors même que cet arrêt est un des arrêts les plus importants en droit administratif, fondateur de la doctrine et de la jurisprudence sur le respect de la dignité humaine.
Il s’agit, à l’occasion des 30 ans de l’arrêt de Morsang-sur-Orge de lui redonner ses lettres de noblesses et de mettre en évidence tout son apport en la matière. »

V.J : Derrière cet évènement, il y a la question de la place du droit dans la cité. Les habitants de votre commune ont-ils selon vous connaissance de cet arrêt ? Comment pensez-vous faire pour que l’évènement soit vu comme « populaire » et non réservé aux universitaires et juristes ?

C’est un des arrêts les plus importants en droit administratif, fondateur de la doctrine et de la jurisprudence sur le respect de la dignité humaine.

M.D : « Derrière cet événement, il est important de rappeler la notion de dignité humaine et le regard que chacun doit avoir sur l’autre, quelle que soit sa différence. Il ne s’agit pas d’emmener les habitants au droit, mais, d’une part comme indiqué plus haut, de redonner une certaine fierté aux Morsaintois qui connaissent très peu la portée de cet arrêt. Il s’agit d’autre part de sensibiliser les habitants et les nouvelles générations sur la place de l’Homme dans la société.

C’est la raison pour laquelle cet événement est précédé d’une semaine de sensibilisation avec des projections de films et des débats à destination des collégiens et des lycéens en journée et ouvertes au grand public le soir."Quel regard je porte sur la différence ? Sur l’autre ? Comment je me positionne face à cette différence ? Doit-on rire de la différence ? La mépriser ? L’exploiter ?" Telles sont les questions qu’il nous a semblé utile de poser pour que nos jeunes générations s’interrogent sur ces sujets qui constituent la base du "vivre ensemble" et qui, au-delà pourront donner lieu à d’autres éditions qui permettront de réfléchir sur dignité et genre, dignité et origine, dignité et… les sujets de réflexion sont nombreux et méritent d’être explorés.

Comment sensibiliser les Morsaintois à ces sujets et ne pas réserver cet événement à des universitaires ou des avocats ? En communiquant sur l’événement et en le rendant accessible à tous, en diffusant en direct l’événement sur les réseaux et en organisant des concours d’éloquence associant les lycéens, les étudiants en droit et les élèves avocats.
En présentant le droit "différemment", en le rattachant à des événements ayant existé, en expliquant la portée de cet arrêt, on met en contact des mondes qui ne se connaissent pas nécessairement et on permet d’aborder le droit de façon accessible que chacun peut s’approprier. »

V.J : La dignité humaine est un thème universel et vaste : quels en sont ses fondamentaux selon vous ?

En expliquant la portée de cet arrêt, on met en contact des mondes qui ne se connaissent pas nécessairement et on permet d’aborder le droit de façon accessible.

M.D : « La dignité humaine doit être défendue et revendiquée hier comme aujourd’hui et peut-être parfois encore plus aujourd’hui qu’hier.
Nous vivons dans une société libre, démocratique où les droits de l’Homme semblent trop souvent acquis alors que l’actualité illustre tous les jours que ces droits que nous considérons trop souvent comme "acquis" peuvent être remis en cause à chaque moment. L’arrêt de Morsang-sur-Orge est en cela exemplaire en ce qu’il pose le principe de l’inaliénation de la dignité humaine que l’on peut opposer à la dignité de l’individu. Ainsi, la dignité de Manuel Wackenheim (le requérant initial) était de gagner sa vie par son travail : des cascades qui jouaient sur sa différence physique. La dignité humaine, interdit de se servir de cette différence pour se moquer de celui qui s’en prévaut, quand bien même il serait consentant.

Cette notion de dignité humaine reconnait à chaque être humain, quelle que soit son apparence, la même valeur que l’autre et interdit qu’il soit fait commerce de cette différence pour renier ou dégrader son humanité.

C’est un vrai débat car pour le requérant initial, cette jurisprudence a porté atteinte à sa dignité d’homme puisqu’à compter de ce jour, il n’a plus pu travailler alors même que cette jurisprudence avait pour objectif de ne pas se servir de cette différence contre lui. Selon moi, la dignité humaine justifie le respect de l’être humain, quels que soient son apparence, son sexe, son origine, sa couleur de peau, sa religion, sa place dans la société.

Si le "lancer de nain" de l’Embassy club avait été un "lancer de cascadeur" (de petite taille), il est fort vraisemblable que l’arrêt de Morsang sur Orge n’aurait jamais existé... »

Propos recueillis par Nathalie Hantz, Rédaction du Village de la Justice

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