Article extrait du dossier du Journal du Village de la Justice n°103.
Accessible en intégralité ici.
Partons de l’idée que la compliance conduit les organisations à mettre en place des mesures et procédures préventives pour éviter de s’exposer aux risques liés au non-respect de normes. Inobservation générant, pour l’essentiel, des effets sur les plans juridique, financier et réputationnel.
Outre ces enjeux, il est aussi question, avec la conformité à l’un ou l’autre des référentiels, d’exprimer volontairement son « attachement à certaines règles, ainsi qu’aux valeurs ou aux objectifs qui les fondent » [1].
Au-delà de l’enjeu d’engagement et de communication vis-à-vis des parties prenantes, internes et externes, des cabinets, il s’agit aussi et peut-être surtout de déployer une culture organisationnelle et managériale de gestion des différents risques auxquels les cabinets sont exposés.
Conformité des cabinets d’avocats : des entreprises (définitivement) pas comme les autres...!
Anti-corruption, lutte contre le blanchiment (LCB-FT), pratiques anticoncurrentielles, sanctions économiques, protection des données, respect des droits humains, protection de l’environnement, etc. Les sujets, ne serait-ce que sur le plan légal et réglementaire, ne manquent pas… les cabinets d’avocats et leurs clients le savent mieux que personne ! S’y ajoute le corpus déontologique de la profession.
La déontologie, la LCB-FT et le RGPD ne posent pas de difficultés en termes d’assujettissement : l’obligation de conformité concerne tous les membres de la profession, indépendamment des formes et modalités de l’exercice de la profession. Mais tel n’est pas le cas des autres pans de la conformité.
La justification en est assez simple au regard du champ d’application actuel des dispositifs : la loi Sapin II par exemple n’impose les huit piliers de la conformité anti-corruption qu’aux dirigeants des sociétés employant au moins cinq cents salariés et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros. Or les données relatives à la profession le montrent : les cabinets d’avocats ne sont que très peu concernés par ces critères d’assujettissement.
Chiffre d’affaires mis à part, la première raison est liée à la forme juridique des cabinets, dont on sait par exemple qu’ils ne sont pas tous dotés de la personnalité morale.
La seconde raison est le nombre de salarié(e)s des cabinets. Dans son étude prospective 2022, l’Observatoire des métiers dans les professions libérales (OMPL) montrait qu’en 2020, on comptait 10 099 entreprises employeuses, avec 1,1% des cabinets employant plus de 20 salarié(e)s. Le nombre moyen de salarié(e)s par "entreprise" était de 4,66 [2]. Des chiffres très éloignés donc, des seuils prévus par la plupart des textes imposant des obligations de conformité.
En outre, il faut bien reconnaître, à la suite du Conseil européen des Barreaux, que bon nombre des référentiels non réglementaires s’appuient sur « des mécanismes et des concepts issus de secteurs industriels qui n’ont rien à voir avec les services professionnels, et encore moins avec les services juridiques » [3]. Si l’on pense par exemple aux normes ISO, il est vrai que parfois, « ces systèmes ne peuvent (...) pas être appliqués à la profession d’avocat sans adaptation spécifique, notamment en ce qui concerne les obligations de secret professionnel » [4].
Processus de conformité au sein des cabinets.
La compliance des cabinets se déploie en s’appuyant sur 3 vecteurs :
- la législation propre à la profession, bien sûr, notamment déontologique ;
- les outils mis en place par les instances représentatives et les Ordres ;
- la mise en place volontaire de programmes de conformité au sein des cabinets.
L’étude, même cursive, des dispositions et dispositifs applicables met en lumière plusieurs éléments :
- une convergence des référentiels applicables à toutes les entreprises et de ceux propres de la profession ;
- le poids de l’autorégulation de la profession ;
- une maturité néanmoins variable selon le secteur de conformité concerné.
Par ailleurs, qu’il s’agisse de la définition de la stratégie de gestion des risques ou du pilotage des actions de prévention/remédiation, les besoins des cabinets d’avocats sont, pour l’essentiel, pourvus sur-mesure.
Si la désignation de responsables qualité et/ou des délégués à la protection des données (DPO) commence à être répandue, très exceptionnelle est en revanche celle de Compliance officer for legal practice (COLP), à la différence peut-être des pratiques des law firms et cabinets anglo-saxons.
Il est vrai qu’il n’existe pas une façon unique de garantir la conformité et le pilotage des risques au sein des cabinets d’avocat : qu’il s’agisse « d’utiliser les systèmes managériaux normalisés » [5], de suivre les recommandations des différentes autorités de régulation ou de créer ses propres processus, de nombreuses actions témoignent de l’engagement des "instances dirigeantes" des cabinets dans la prévention et la détection de comportements répréhensibles ou "non conformes". Et, ceci, même si les choses ne sont pas systématiquement formalisées ou documentées.
Perspectives.
La mise en place d’approches systématiques et structurées par les cabinets rejoint une demande croissante de la clientèle, qui attend – voire exige – une plus grande transparence et une meilleure gestion des risques de la part de leurs cabinets d’avocats, les incitant à adopter des pratiques de conformité plus rigoureuses.
L’intégration de critères de compatibilité avec les normes techniques dans les appels d’offres reflètent d’ailleurs l’évolution des politiques achats, y compris en matière de prestations juridiques. Et ceci est susceptible de concerner tous les cabinets. Conformité pour légalité, conformité pour exemplarité, conformité pour crédibilité, conformité pour compétitivité... Les motivations poussant à la mise en place de processus de gestion des risques sont, ici comme ailleurs, multiples.
Les tendances émergentes en matière de conformité, liées notamment à l’évolution des attentes des clients en matière de transparence, aux exigences de durabilité et aux nouveaux défis posés par les technologies émergentes comme l’intelligence artificielle dessinent les perspectives de la conformité, dans les cabinets comme ailleurs. Investir dans des programmes de conformité robustes et s’adapter aux tendances émergentes, tout en restant fidèles à ses valeurs éthiques et principes essentiels : voilà un bien bel enjeu à relever par la profession dans un futur plus ou moins proche !
Comme l’indique le Conseil national des barreaux, un « profond mouvement d’autorégulation impose aux acteurs économiques et juridiques d’opérer eux-mêmes, sous peine de poursuites, un contrôle de leur propre comportement, sous l’œil attentif des autorités publiques. Qu’il s’agisse de compliance, de blanchiment ou de corruption la durabilité de cette tendance, a contrario du principe de non-incrimination dont bénéficient les personnes physiques, interroge sur le modèle ainsi créé, et sur la place que les avocats peuvent et doivent occuper dans ce processus, tant en qualité de sujets de droit que comme acteurs économiques » [6].