I. Faits.
En l’espèce, une affaire concernant des travaux de percement d’un tunnel réalisés ayant entraîné le tarissement d’une source sur le terrain avait donné lieu à un jugement du Tribunal de grande instance de Perpignan du 30 août 2016.
A cette occasion, les deux sociétés réalisant les travaux ont été condamnées à indemniser les propriétaires pour les préjudices subis.
Par la suite, elles ont fait appel de cette décision le 27 décembre 2016, sollicitant la réformation du jugement.
Pour confirmer le jugement en toutes ses dispositions, l’arrêt de la Cour d’appel de Montpellier retient que par leurs conclusions remises au greffe le 2 juin 2017, le GEIE Tunel Del Perthus et la société Eiffage génie civil adressent leurs demandes au Tribunal de grande instance de Perpignan et ne saisissent donc la cour d’appel d’aucune demande et que cette absence de demande adressée par les appelants à la juridiction d’appel équivaut à une demande de confirmation du jugement frappé d’appel.
Le GEIE Tunel Del Perthus et la société Eiffage génie civil se sont pourvus en cassation.
II. Moyens.
Les demanderesses au pourvoi soutenaient que la cour d’appel avait fait preuve d’un formalisme excessif en retenant que leurs conclusions adressaient leurs demandes au Tribunal de grande instance de Perpignan et non à la cour d’appel, une erreur purement matérielle et non substantielle.
Elles ont estimé que la cour d’appel avait violé l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme en privant les parties de leur droit à un procès équitable en raison d’une erreur qui n’avait aucune conséquence sur le fond.
III. Solution.
Au visa de l’article articles 954 du Code de procédure civile, la Cour de cassation rappelle que les conclusions d’appel contiennent, en en-tête, les indications prévues au second, notamment s’il s’agit d’une personne morale, sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions fondées avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation.
Selon la Cour européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le droit d’accès à un tribunal doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire » [1]. Toutefois, le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, car il appelle par nature une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation [2]. Cette réglementation par l’État peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus [3]. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6, § 1, que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé [4].
Les critères relatifs à l’examen des restrictions d’accès à un degré supérieur de juridiction ont été résumés par la cour dans l’affaire Zubac (précitée, §§ 80-99). Afin d’apprécier la proportionnalité de la restriction en cause, la cour prend en considération les facteurs suivants : i) sa prévisibilité aux yeux du justiciable (Henrioud c. France, n° 21444/11, §§ 60-66, 5 novembre 2015, Zubac, précité, §§ 85 et 87-89, et C.N. c. Luxembourg, n° 59649/18, §§ 44-50, 12 octobre 2021), ii) le point de savoir si le requérant a dû supporter une charge excessive en raison des erreurs éventuellement commises en cours de procédure [5] et iii) celui de savoir si cette restriction est empreinte d’un formalisme excessif [6]. En effet, en appliquant les règles de procédure, les tribunaux doivent éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois [7].
Pour confirmer le jugement en toutes ses dispositions, l’arrêt retient que par leurs conclusions remises au greffe le 2 juin 2017, le GEIE Tunel Del Perthus et la société Eiffage génie civil adressent leurs demandes au tribunal de grande instance de Perpignan et ne saisissent donc la cour d’appel d’aucune demande et que cette absence de demande adressée par les appelants à la juridiction d’appel équivaut à une demande de confirmation du jugement frappé d’appel.
En statuant ainsi, sur le moyen relevé d’office tiré de la désignation dans l’en-tête du dispositif des conclusions des appelants du Tribunal de grande instance de Perpignan, alors que ces conclusions, régulièrement transmises à la cour d’appel par le RPVA, contenaient une demande de réformation du jugement, selon les exigences requises, la cour d’appel, qui en était saisie malgré la référence erronée au tribunal de grande instance relevant d’une simple erreur matérielle affectant uniquement l’en-tête des conclusions et portant sur une mention non exigée par la loi, a fait preuve d’un formalisme excessif et a violé les textes susvisés.
L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Nîmes.
IV. Analyse.
Cet arrêt de la 2ᵉ chambre civile de la Cour de cassation souligne l’importance de l’équilibre entre le respect des règles de procédure et la protection du droit fondamental d’accès à une juridiction.
La Cour de cassation rappelle que, bien que les règles de procédure soient essentielles pour assurer l’ordre et la prévisibilité de la procédure judiciaire, leur application ne doit pas être excessive au point de porter atteinte à l’équité et aux droits des parties.
L’accent est mis sur le principe selon lequel les juridictions doivent éviter un formalisme qui priverait les parties de leur droit à un procès équitable, en particulier lorsque des erreurs purement matérielles sans incidence sur le fond sont en cause.
Cet arrêt renforce l’idée que l’accès à la justice doit rester effectif et non limité par des exigences procédurales disproportionnées.
L’arrêt du 3 octobre 2024 peut être rapproché d’un arrêt de la deuxième chambre civile du 17 septembre 2020 (n° 18-23.626) sur le point de l’application des règles procédurales.
En effet, cet arrêt plus ancien met en lumière l’importance du respect strict des règles de procédure dans le cadre de l’appel.
La cour rappelle à cette occasion que l’appelant doit formuler clairement ses prétentions, notamment en demandant l’infirmation ou la confirmation du jugement dans le dispositif de ses conclusions, faute de quoi la cour d’appel doit confirmer le jugement initial.
Cependant, dans cet arrêt, la Cour de cassation fait preuve de flexibilité en n’appliquant pas cette règle de manière rétroactive lorsqu’elle a été interprétée pour la première fois, afin de garantir le droit à un procès équitable.
Cette solution nous rappelle alors les facteurs, énoncés dans son arrêt du 3 octobre, que la cour prend en considération afin d’apprécier la proportionnalité de la restriction d’accès à un degré supérieur.
En effet, ceux-ci sont au nombre de trois : la prévisibilité de la restriction en cause aux yeux du justiciable, le point de savoir si le requérant a dû supporter une charge excessive en raison d’erreurs éventuellement commises en cours de procédure, et enfin celui de savoir si cette restriction est empreinte d’un formalisme excessif.
Ainsi, si dans l’arrêt du 3 octobre 2024, la cour semble dire que la restriction n’est pas proportionnée en raison d’un formalisme excessif - donc une restriction disproportionnée au regard du troisième facteur -, dans l’arrêt du 17 septembre 2020, la Cour de cassation semble se fonder davantage sur le premier de ces facteurs à savoir le manque de prévisibilité aux yeux du justiciable.
Dès lors, la décision du 17 septembre étant la première rendue par la Cour de cassation sur ce point, les juges de la Haute juridiction semblent estimer que la restriction du droit au requérant d’accès à une juridiction supérieure due au manquement de respect des règles de procédures serait disproportionnée puisque la Cour de cassation n’avait pas eu auparavant l’occasion de se prononcer sur ce point, rendant la solution d’une certaine manière imprévisible pour le requérant.
Ce point reste cependant critiquable en ce que des règles de procédures clairement établies pourraient amener en elle-même une certaine prévisibilité pour le requérant d’une sanction s’y attachant.
Là où l’incertitude est considérée excessive serait alors sur la sanction en tant que telle du non-respect de la procédure exigée en appel, raison pour laquelle la Cour de cassation a exigé que la cour d’appel analyse les conclusions du requérant.
Par ailleurs, dans un arrêt du 20 octobre 2022 (n°21-15.942), la deuxième chambre civile se prononce de nouveau sur la prise en compte de la portée des erreurs matérielles et l’application du formalisme dans la procédure d’appel.
Dans cet arrêt de 2022, la Cour de cassation avait jugé que des conclusions déposées devant la cour d’appel et mentionnant par erreur le conseiller de la mise en état étaient néanmoins recevables, car elles respectaient les délais et les règles de fond.
La cour avait estimé que cette erreur de désignation ne devait pas entraîner une irrecevabilité, évitant ainsi un formalisme excessif qui pourrait porter atteinte au droit d’accès au juge.
Ainsi, de la même manière que dans l’arrêt du 3 octobre 2024, la question centrale portait sur l’interprétation des règles de procédure et la prise en compte des mentions erronées dans des actes judiciaires.
L’idée que le formalisme ne doit pas entraver de manière disproportionnée l’accès à la justice ou l’exercice des droits des parties se retrouve dans les deux décisions.
Cela reflète une approche où l’on considère l’équité et la substance des actes plutôt que leur stricte conformité formelle, garantissant ainsi un procès équitable et une application pragmatique de la procédure.