I. Présentation de l’affaire.
1° Les faits.
Monsieur X. était propriétaire d’un appartement situé au deuxième étage d’un immeuble parisien en dessous duquel se trouvait un bar-restaurant, sur deux niveaux, exploité par la société Y. jusqu’en 2019 puis par la société Z., dans un local appartenant à la société N.
Dès 2014, Monsieur X. avait fait face au départ de son locataire qui ne parvenait plus à supporter les nuisances sonores en provenance du bar-restaurant.
Celles-ci prenaient la forme de bruits de climatisation mais également de diffusion de sons amplifiés et de cris de clients.
Elles étaient particulièrement audibles le soir mais pouvait également l’être à d’autres moments de la journée, à tel point que l’appartement était devenu inhabitable.
2° La procédure.
Après le départ de son locataire, Monsieur X. avait saisi le juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris afin que soit ordonnée la réalisation d’une expertise judiciaire. Le juge avait fait droit à cette demande en février 2015.
Cette expertise, anormalement longue, s’était achevée en février 2019 et concluait au fait que l’intensité des nuisances sonores rendait impossible l’usage et la location de l’appartement de Monsieur X.
En avril et mai 2020, Monsieur X. avait assigné respectivement la société Y., devenue à cette date l’ancienne exploitante du bar-restaurant, la société Z., devenue la nouvelle exploitante de cette activité ainsi que la société N., propriétaire des locaux, afin que le juge ordonne la cessation des nuisances sonores et l’indemnise de son préjudice.
3° La décision du juge.
Par son jugement du 5 novembre 2024, le Tribunal judiciaire de Paris a fait en partie droit aux demandes de Monsieur X.
Il a tout d’abord rejeté les demandes de Monsieur X. tendant à faire condamner les parties adverses à la réalisation de travaux sous astreinte et à la réalisation d’une mesure acoustique de réception, car il a constaté que ces travaux avaient été effectués en cours de procédure, après le dépôt du rapport d’expertise.
En considération de la réalisation de ces travaux le juge a arrêté la date de fin des nuisances sonores à fin novembre 2019. C’est sur la base de cette date qu’il a procédé au calcul du préjudice et qu’il a débouté Monsieur X. de ses demandes à l’égard de la société Z. laquelle avait commencé son activité postérieurement à la réalisation des travaux.
Le juge a condamné solidairement la société Y. et la société N. à verser à Monsieur X. 95 000 euros au titre de la perte de chance de percevoir des revenus locatifs, 3 500 euros au titre de la taxe sur les logements vacants et à 13 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Les sociétés Y. et N. ont également été condamnées solidairement aux entiers dépens, y compris les frais d’expertise judiciaire.
II. Observations.
Ce jugement est intéressant tout d’abord en ce que le juge n’a pas hésité à débouter les défendeurs de leurs demandes tendant à voir annuler le rapport d’expertise en se fondant simplement sur une règle de procédure civile (1°).
Il l’est ensuite du point de vue de l’indemnisation des préjudices car il démontre la nécessité de mettre en cause tous les acteurs susceptibles d’avoir une responsabilité dans la situation (2°).
1° L’importance du rapport d’expertise judiciaire.
En matière de nuisances sonores, le rapport d’expertise judiciaire comprenant des mesurages d’émergence revêt une valeur probante essentielle pour les juges, bien qu’ils ne soient jamais tenus de suivre les conclusions du rapport pour rendre leur décision.
Le présent jugement le démontre une nouvelle fois puisqu’il se base uniquement sur des citations du rapport d’expertise judiciaire pour confirmer l’existence des nuisances sonores et retenir la responsabilité du propriétaire et de l’exploitant des locaux.
Les défendeurs avaient pourtant soulevé beaucoup de critiques à l’encontre du rapport d’expertise, allant jusqu’à demander son annulation.
Ils arguaient notamment du fait que l’expert n’ait pas retenu l’affaiblissement de la structure de l’immeuble due à des infiltrations pour expliquer l’existence des nuisances sonores.
La société propriétaire des locaux allait même jusqu’à reprocher à l’expert d’avoir manqué à ses obligations d’impartialité et de respect du principe du contradictoire en ignorant les dires des défendeurs.
Le juge n’a retenu aucune de ces critiques en se fondant sur une règle de procédure civile selon laquelle la demande en nullité d’un rapport d’expertise est soumise aux règles régissant la nullité tous les actes de procédure.
Ainsi, une demande en nullité d’un acte de procédure doit être soulevée avant tout débat sur le fond du litige.
C’est pourquoi, en opposant des arguments sur la réalité des nuisances sonores alors même qu’ils n’avaient jamais invoqué la nullité du rapport d’expertise devant le juge de la mise en état, les défendeurs se sont empêchés de l’invoquer par la suite.
Le juge les a donc déboutés de cette demande sans même avoir à répondre précisément aux critiques formulées.
2° Le calcul du préjudice de jouissance et la condamnation in solidum des défendeurs.
Pour condamner les défendeurs à indemniser Monsieur X., le juge s’est attaché à rechercher la réalité du préjudice.
Il a d’abord arrêté la période à prendre en compte. Pour cela il s’est appuyé sur un courrier de l’ancien locataire de Monsieur X., en date de septembre 2014, affirmant quitter le logement du fait des nuisances sonores qu’il subissait.
Pour déterminer la date de fin des nuisances sonores, le juge a retenu la date d’achèvement des travaux réalisés par la société exploitante du bar-restaurant à l’issue des opérations d’expertise, soit novembre 2019.
Les défendeurs prétendaient que Monsieur X. ne justifiait pas suffisamment de l’inoccupation de son logement et mettaient notamment en avant le fait qu’il avait refusé une proposition de location faite par la société exploitante du bar-restaurant.
Le juge n’a pas retenu ces arguments en soulignant que le rapport d’expertise affirmait que les nuisances sonores rendaient l’usage et la location de l’appartement de Monsieur X. impossibles, ce qui l’empêchait de fait de louer son appartement dans le respect de ses obligations de bailleur.
Il a également estimé que le fait pour le demandeur de payer une taxe sur les logements vacants permettait de démontrer l’inoccupation du logement.
Les défendeurs avaient ensuite remis en question la valeur locative de l’appartement de Monsieur X., mais là encore, le juge a estimé que les anciens contrats de location produits par le demandeur permettaient de déterminer une valeur locative qui n’était pas incohérente avec les prix du marché immobilier parisien.
Une fois ces deux arguments écartés, le juge a arrêté le préjudice au titre de la perte de chance de percevoir des loyers à hauteur de 95 000 euros, correspondant à environ 1 500 euros de préjudice par mois sur 63 mois.
Toutefois, la difficulté dans ce dossier était que la société qui exploitait le bar-restaurant sur la période de 2014 à 2019 était entrée en liquidation amiable durant la procédure judiciaire.
Dans cette situation, le risque était d’obtenir un jugement reconnaissant les nuisances sonores et condamnant les responsables à la réparation du préjudice mais que ce jugement ne puisse jamais être exécuté faute de solvabilité de l’entreprise concernée.
C’est pourquoi il est primordial de toujours assigner tous les potentiels responsables en demandant au juge de les condamner in solidum.
Ainsi le risque de non-paiement diminuait puisque Monsieur X. pouvait poursuivre l’exécution du jugement indifféremment contre la société exploitante ou la société propriétaire.
Conclusion.
Ce jugement démontre une nouvelle fois la valeur probante d’un rapport d’expertise judiciaire en matière de nuisances sonores.
Par la même occasion, il rappelle que le rapport d’expertise est soumis aux mêmes règles de nullité que tous les autres actes de procédure et qu’ainsi sa nullité ne peut être demandée qu’avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir devant le juge de la mise en état.
L’importance accordée au rapport d’expertise démontrant scientifiquement l’existence des nuisances sonores combinée aux différentes preuves qu’a pu produire Monsieur X. lui ont permis d’obtenir la condamnation des défendeurs à l’indemniser de son préjudice global à hauteur de 98 500 euros pour une période de préjudice retenue d’environ 63 mois.
Enfin, ce jugement souligne l’importance de mettre en cause tous les potentiels responsables afin d’obtenir leur condamnation solidaire et ainsi diminuer le risque de non-paiement à l’issue de la procédure, particulièrement dans les affaires où le préjudice peut être important comme dans le cas présent.