1. Les enjeux juridiques soulevés par les questions prioritaires de constitutionnalité.
1.1. L’origine des questions transmises au Conseil constitutionnel.
Les trois questions prioritaires de constitutionnalité examinées par le Conseil constitutionnel trouvaient leur origine dans des affaires distinctes mais présentant des problématiques similaires.
Le Conseil d’État avait transmis une première question par décision du 18 juin 2025 n° 502832 dans une affaire opposant une salariée protégée à son employeur concernant une autorisation de licenciement pour motif disciplinaire.
La Cour de cassation avait, quant à elle, renvoyé deux questions distinctes par arrêts du 20 juin 2025 [1], l’une concernant un licenciement pour faute grave d’une assistante médicale [2], l’autre relative au licenciement d’une chef de service pour faute grave [3].
1.2. Les dispositions du Code du travail contestées.
Les requérantes contestaient la constitutionnalité de plusieurs articles du Code du travail en ce qu’ils ne prévoient pas l’obligation d’informer le salarié de son droit de se taire lors des entretiens préalables.
L’article L1232-3 du Code du travail dispose que lors de l’entretien préalable au licenciement, "l’employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié" [4].
L’article L1332-2 du même code prévoit que lors de l’entretien préalable à une sanction disciplinaire, "l’employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié" [5].
Les requérantes soutenaient que ces dispositions méconnaissaient l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui consacre la présomption d’innocence et le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser.
2. L’évolution jurisprudentielle ayant motivé les renvois.
2.1. Le changement de circonstances résultant de la décision du 8 décembre 2023.
L’examen de ces questions par le Conseil constitutionnel était justifié par un changement de circonstances résultant d’une précédente décision.
La décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 avait établi que les exigences attachées au principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser s’appliquent "non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition".
Cette évolution jurisprudentielle constituait un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions du Code du travail, bien que certaines d’entre elles aient déjà été déclarées conformes à la Constitution par la décision [6].
2.2. Les précédents en matière disciplinaire publique.
Le Conseil constitutionnel avait déjà consacré l’obligation d’informer un magistrat judiciaire de son droit à garder le silence dans une décision du 26 juin 2024 [7].
Cette décision concernait un magistrat comparaissant devant la formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature.
Plus récemment, le Conseil d’État avait reconnu ce droit pour les agents publics mis en cause dans le cadre d’une procédure disciplinaire [8].
3. La décision du Conseil constitutionnel : une distinction fondamentale.
3.1. Le principe de la distinction entre droit privé et puissance publique.
Le Conseil constitutionnel a opéré une distinction fondamentale entre les sanctions relevant de l’exercice de prérogatives de puissance publique et celles prises dans le cadre de relations de droit privé.
La décision précise que les exigences découlant de l’article 9 de la Déclaration de 1789 "ne s’appliquent qu’aux peines et aux sanctions ayant le caractère d’une punition" et "ne s’appliquent pas aux mesures qui, prises dans le cadre d’une relation de droit privé, ne traduisent pas l’exercice de prérogatives de puissance publique".
Le licenciement pour motif personnel d’un salarié et les sanctions prises par un employeur dans le cadre d’un contrat de travail "ne relèvent pas de l’exercice par une autorité de prérogatives de puissance publique".
3.2. La nature contractuelle des mesures disciplinaires en entreprise.
Le Conseil constitutionnel a souligné que les mesures disciplinaires en entreprise "sont prises dans le cadre d’une relation régie par le droit du travail et ont pour seul objet de tirer certaines conséquences, sur le contrat de travail, des conditions de son exécution par les parties".
Cette analyse conduit à considérer que ni le licenciement pour motif personnel ni la sanction prise par un employeur "ne constituent une sanction ayant le caractère d’une punition au sens des exigences constitutionnelles".
4. Les conséquences pratiques de cette décision.
4.1. Le maintien des pratiques actuelles.
La décision du Conseil constitutionnel confirme que les employeurs ne sont pas tenus d’informer les salariés de leur droit de se taire lors des entretiens préalables au licenciement ou à une sanction disciplinaire.
Les convocations aux entretiens préalables n’auront donc pas à être modifiées pour inclure une telle mention.
Les équipes de ressources humaines et les managers pourront continuer à conduire les entretiens préalables selon les modalités actuelles, sans risquer de voir leurs procédures remises en cause pour défaut d’information sur le droit de se taire.
4.2. La sécurisation des procédures disciplinaires.
Cette décision apporte une sécurité juridique importante aux entreprises en confirmant la validité des procédures disciplinaires existantes.
Les salariés ne pourront pas invoquer le défaut d’information sur leur droit de se taire pour contester la régularité de la procédure de licenciement ou de sanction disciplinaire, du moins sur le terrain constitutionnel et au regard des textes contrôlés par le Conseil constitutionnel.
La spécificité du droit du travail par rapport au droit pénal et au droit disciplinaire public se trouve ainsi préservée.


