Le Conseil d’État confirme la condamnation des communes du fait de la mauvaise application de la loi Littoral.

Par Pierre Jean-Meire Avocat.

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Ce que vous allez lire ici :

Le Conseil d’État a confirmé que les communes peuvent être responsables des préjudices causés par des certificats d’urbanisme illégaux. Les victimes peuvent demander une indemnisation, même sans condition suspensive d’un permis, ce qui renforce la protection des acheteurs.
Description rédigée par l'IA du Village

Par une décision du 10 décembre 2024 (n° 471458), le Conseil d’Etat vient de confirmer la jurisprudence administrative condamnant les communes à verser des dommages et intérêts en raison de la mauvaise application de la loi Littoral.

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Les juges administratifs du fond statuent régulièrement sur des actions indemnitaires contre des collectivités ayant fait une mauvaise application des principes de la loi Littoral et tout particulièrement de l’article L121-8 du Code de l’urbanisme [1].

Il est toutefois plus rare que le Conseil d’État se prononce dans ces contentieux.

Le récent dossier de la commune de Sari-Solenzara a toutefois eu cet honneur.

Dans cette affaire, un particulier avait acquis en 2012 un terrain à bâtir au lieu-dit Canaloro sur le territoire de la commune de Sari-Solenzara.

Lors de cette vente, un certificat d’urbanisme opérationnel avait été édicté déclarant constructible le terrain en question.
Cependant, par un arrêt n° 13MA00113 du 25 juillet 2014, la cour administrative d’appel de Marseille a jugé que les zones AU2b du lieu-dit Canaloro méconnaissaient les dispositions de la loi littoral, confirmant sur ce point le jugement n° 1100056 du 27 novembre 2012 du tribunal administratif de Bastia.

L’intéressé a donc engagé une procédure indemnitaire contre la commune.

Il avait perdu en première instance devant le tribunal administratif de Bastia au motif que sa créance était prétendument prescrite.
Or, en appel, ce jugement avait été inversé.

Les juges avaient alors relevé que :

« M. B demande réparation des préjudices qu’il a subis du fait de l’illégalité du certificat d’urbanisme délivré par le maire de Sari-Solenzara le 29 novembre 2011 déclarant réalisable sur le terrain cadastré section B n° 1242 une opération de construction d’une maison d’une surface de 300 m². Le fait générateur de la créance dont se prévaut M. B est la délivrance illégale de ce certificat d’urbanisme et celui-ci doit être regardé comme ayant légitimement ignoré l’existence de sa créance jusqu’à la date à laquelle il est établi que l’illégalité de ce certificat, génératrice du dommage, a été portée à sa connaissance. En l’espèce, la commune n’établit pas que M. B aurait, antérieurement à l’année 2018, eu connaissance du jugement n° 1100056 du 27 novembre 2012 du tribunal administratif de Bastia ni de l’arrêt n° 13MA00113 du 25 juillet 2014 de la cour administrative d’appel de Marseille déclarant illégal pour méconnaissance des dispositions de la loi littoral le classement en zone constructible des parcelles AU2b du lieu-dit Canaloro, parmi lesquelles se situe le terrain ayant fait l’objet du certificat d’urbanisme litigieux. L’étendue du dommage causé par cette illégalité n’ayant pu être révélée à M. B au plus tôt qu’à la date à laquelle l’arrêt n° 13MA00113 du 25 juillet 2014 a été rendu public, sa créance n’était en tout état de cause pas prescrite à la date à laquelle sa demande indemnitaire préalable a été reçue par la commune, le 26 décembre 2018 ».

La Cour administrative d’appel de Marseille avait alors condamné la commune de Sari-Solenzara à verser une indemnisation de plus de 278 000 euros à la victime.

Cette décision ne fut, bien évidemment, pas du goût de la commune et de son assureur, qui ont décidé de se pourvoir en cassation dans cette affaire.

Leur pourvoi a été admis, ce qui a été l’occasion pour le Conseil d’État, dans la décision du 10 décembre 2024 ici commentée de, réaffirmer la jurisprudence assez favorable aux individus victimes d’une mauvaise application de la loi littoral.

1/ Sur les fondements de l’action en responsabilité.

Le Conseil d’État vient ici rappeler les deux principaux fondements de responsabilité qui peuvent être invoqués dans cette situation.
En premier lieu, et conformément à une jurisprudence administrative constante « toute illégalité commise par l’administration constitue une faute susceptible d’engager sa responsabilité, pour autant qu’il en soit résulté un préjudice direct et certain » [2].

En vertu de cette veine jurisprudentielle, un certificat d’urbanisme déclarant réalisable une opération de construction, alors que cette opération est contraire à la loi Littoral, et notamment de son article L121-8 du Code de l’urbanisme, est entaché d’une illégalité fautive.

La même solution est valable lorsque l’illégalité fautive affecte un permis de construire.

C’est le principal fondement utilisé pour engager la responsabilité des communes [3].

En second lieu, et parallèlement à ce fondement, il est également possible d’invoquer le caractère inexact ou incomplet des informations données par la collectivité dans le cadre d’un certificat d’urbanisme ou d’une note de renseignements d’urbanisme.
Déjà en 2007, le Conseil d’État avait jugé que :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction que la société requérante n’a acquis les parcelles en cause que pour y réaliser un important programme immobilier ; que, conformément aux demandes de la requérante, la commune de Bidart a prorogé à son bénéfice les certificats d’urbanisme qu’elle avait délivrés le 23 août 1989 et qui mentionnaient un coefficient d’occupation des sols de 0,9, sans faire aucune réserve tenant à la sensible réduction de constructibilité impliquée par les dispositions de la loi d’aménagement et d’urbanisme du 3 janvier 1986, dite « loi littoral », lesquelles rendaient impossible la réalisation du projet dont les certificats d’urbanisme attestaient la faisabilité ; que cette omission a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Bidart ; (…) ; que, dès lors, la requérante est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Pau a estimé que la responsabilité de la commune ne pouvait pas être recherchée sur le fondement de la délivrance de renseignements erronés ; » [4].

Dans la décision du 10 décembre 2024 ici commentée, la plus haute juridiction administrative vient confirmer cette jurisprudence en jugeant que :

« 5. Par ailleurs, la délivrance par les services d’une commune de renseignements d’urbanisme inexacts ou incomplets, qui notamment omettraient l’existence d’une circonstance de nature à compromettre les conditions de vente d’un bien immobilier, est susceptible de constituer une faute et d’engager à ce titre la responsabilité de la collectivité lorsque des préjudices sont directement imputables à cette faute ».

Le Conseil d’État reprend alors à son compte un considérant déjà utilisé par la Cour administrative d’appel de Marseille dans un arrêt du 02 mai 2022, que nous avions d’ailleurs commenté [5].

2/ Sur l’absence de condition suspensive liée à un permis de construire.

Cette décision du Conseil d’État a également le grand avantage de confirmer une position maintes fois retenue par les juges du fond.
Il est fréquent qu’en défense, les collectivités invoquent l’existence d’une faute de la victime qui n’a pas sécuriser la vente par une condition suspensive d’obtention d’un permis de construire.

Il arrive encore aujourd’hui que certains juges retiennent ce raisonnement [6].

La jurisprudence a toutefois majoritairement jugé que tel n’était pas le cas.

Ainsi par exemple, la cour administrative d’appel de Bordeaux a déjà eu l’occasion de juger récemment que :

« 6. En premier lieu, l’acte de vente du 25 novembre 2014 stipulait que "les dispositions de la loi littoral étant d’une valeur juridique supérieure au [...] plan local d’urbanisme, l’acquéreur déclare avoir été averti que la constructibilité du terrain objet des présentes peut être remise en cause par une interprétation restrictive que pourrait faire le juge administratif. L’acquéreur déclare avoir eu connaissance, dès avant ce jour, de cette situation, vouloir en faire son affaire personnelle et s’interdire toute action à ce sujet contre le vendeur". Cependant, et contrairement à ce que soutient la commune de Meschers-sur-Gironde, M. B..., qui n’est pas un professionnel de l’immobilier, n’a pas commis d’imprudence fautive en accordant crédit au certificat d’urbanisme erroné délivré par la commune, attestant de la faisabilité de son projet, et sur la base duquel il a acquis en tant que terrain constructible la parcelle susmentionnée en vue d’y construire une maison d’habitation. En outre, la mention du certificat d’urbanisme selon laquelle "les dispositions de la loi littoral sont applicables sur le territoire de la commune" n’est pas de nature à exonérer, même partiellement, la commune de sa responsabilité, dès lors que le certificat mentionnait également, et sans équivoque, que "le terrain objet de la demande peut être utilisée pour la réalisation de l’opération envisagée" et que l’intéressé pouvait ainsi légitimement penser qu’aucune de ces mentions ne permettait de douter du caractère constructible du terrain » [7].

Les juges administratifs d’appel de Marseille ont adopté la même position en jugeant que :

« 10. Dans ces conditions, M. et Mme C..., qui ne sont pas des professionnels de l’immobilier, n’ont pas commis d’imprudence fautive en accordant crédit au certificat d’urbanisme erroné délivré par la commune, attestant de la faisabilité de leur projet, et sur la base duquel ils ont acquis en tant que terrain constructible la parcelle susmentionnée en vue d’y construire une maison d’habitation et une piscine. Le certificat d’urbanisme litigieux, s’il indiquait qu’étaient applicables les dispositions du Code de l’urbanisme particulières applicables au littoral et du plan d’aménagement et de développement durable de Corse, ne portait aucune mention de nature à laisser penser que le terrain ne serait pas constructible et permettait, au contraire, expressément la réalisation de l’opération projetée. Dès lors que M. et Mme C... ont pu légitimement se fier aux assurances contenues dans le certificat d’urbanisme, ils ne peuvent être regardés comme ayant commis une imprudence fautive en se portant acquéreurs de la parcelle sans assortir le contrat d’une condition suspensive d’obtention d’un permis de construire » [8].

Enfin les juges administratifs d’appel nantais avaient également jugé que : « Enfin, la commune ne peut utilement, pour atténuer sa responsabilité, se prévaloir de ce que M. C n’avait pas subordonné l’acquisition de la parcelle litigieuse à la "condition suspensive" de l’obtention d’un permis de construire dès lors qu’il résulte des faits rappelés au point 1 qu’il était, à la date de l’achat, bénéficiaire d’un permis de construire et d’un certificat d’urbanisme positif » [9].

Dans cette décision du 10 décembre 2024, le Conseil d’État vient entièrement entériner ce courant jurisprudentiel en estimant que la cour administrative d’appel de Marseille n’avait pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que la circonstance que l’acheteur se serait abstenu d’insérer au contrat de vente une clause suspensive subordonnant la réalisation de la vente à l’obtention d’un permis de construire n’étaient de nature à exonérer, fût-ce partiellement, la commune de Sari-Solenzara de sa responsabilité.
Le pourvoi de la commune et de son assureur est donc logiquement rejeté.

Cette décision du Conseil d’État confirme le courant jurisprudentiel assez favorable aux personnes victimes de la mauvaise application de la loi Littoral par les communes.

Même lorsque l’acquisition en cause a été faite, il y a de très nombreuses années, il est possible de demander la réparation des préjudices subis [10].

Pierre Jean-Meire
Avocat au Barreau de Nantes
Cabinet d’avocat Olex
www.olex-avocat.com

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[2CE 30 janvier 2013 M. Imbert n° 339918, publié au recueil.

[4CE 07 mai 2007 Société Immobilière de la banque de Bilbao et de Viscaya d’Ilbarritz n° 282311, inédit ; V. également CAA de NANTES 27 avril 2021 n° 20NT00402.

[6Voir pour un exemple récent TA Pau 15 janvier 2024 n° 2301312.

[7CAA Bordeaux 30 novembre 2021 Commune de Meschers-sur-Gironde n° 20BX00238.

[8CAA de Marseille, 5ème chambre, 02/05/2022, 21MA00404, Inédit au recueil Lebon.

[9Cour administrative d’appel de Nantes, 2ème Chambre, 6 mai 2022, 20NT01551.

[10Voir par exemple pour une vente ayant eu lieu en 1999 ; Tribunal administratif de Rennes, 1ère Chambre, 13 mai 2024, 2106017.

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